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L A DISCRIMINATION PAR LES PRIX

Dans le document Le marché de soins bucco-dentaires en France (Page 145-151)

ADAPTATION AU MARCHÉ DE SOINS DENTAIRES

VI. L A DISCRIMINATION PAR LES PRIX

L’exercice d’un certain pouvoir de monopole procure au praticien la capacité à mener une discrimination par les prix auprès de ses patients. Cela veut dire que le praticien peut fixer des prix différents selon le patient. Ce procédé apporte une complexité supplémentaire dans l’analyse du comportement de l’offreur, qui ne sera pas prise en compte dans les travaux empiriques suivants où l’on considèrera le prix le plus pratiqué par le soignant, mais ne peut être ignoré dans ce chapitre sur les mécanismes de la fixation des prix dans le marché de soins dentaires.

La volonté de pratiquer ce type de discrimination, quel qu’en soit le niveau de spécificité, dépend de la fonction d’utilité du praticien. Il cherchera à fixer des prix élevés s’il croit possible de se constituer ainsi un revenu important ou de conserver un revenu suffisant tout en générant un faible volume de soins. Le niveau de revenu et le temps de travail (découlant du volume de soins effectués et traduisant les préférences du praticien pour le loisir) ne sont pas les seules motivations du chirurgien-dentiste. Son empathie et sa déontologie, son sens moral et éthique influenceront aussi ses décisions thérapeutiques et tarifaires. Plusieurs mesures de discrimination par les prix sont envisageables.

La première est de pratiquer un seul prix pour toute la patientèle. En supposant que la patientèle est composée de profils socio-économico-psychologiques hétérogènes, le prix unique appliqué devra être suffisamment élevé pour permettre au praticien d’atteindre son revenu-cible et raisonnablement bas afin d’être accessible à une part de la demande élargie et d’engendrer un volume de soins suffisant. Dans l’objectif de travailler peu et de conserver un revenu confortable (ou de travailler beaucoup et d’atteindre un revenu plus élevé), le chirurgien-dentiste fixera des prix très élevés qui peuvent mimer un signal qualité et sélectionner une patientèle avec une forte élasticité-prix, donc solvable, supposée aisée et investie dans son traitement. Selon ses préférences et la part de la demande qui lui est adressée, le praticien ajustera ensuite son volume d’activité.

Dans une optique d’ouverture de la patientèle à l’ensemble de la population, le chirurgien-dentiste peut aussi pratiquer plusieurs prix. Ces prix doivent être adaptés à une segmentation de la patientèle en sous-groupes (ou segments de marchés) constitués de profils socio-économico-psychologiques homogènes. Il y aura alors autant de prix que de sous-groupes de patientèle. Plus la solvabilité et l’intérêt pour la santé dentaire du groupe seront élevés, plus le prix sera important. À l’inverse, le prix baissera avec le revenu disponible et l’isolement face au système de santé. Si le praticien applique cette discrimination quasi-parfaite par les prix, les différences de niveau de prix devraient se compenser selon la répartition de la patientèle dans les sous-groupes Dans le cas d’une distribution homogène de la patientèle, le praticien qui discrimine peut aboutir à un revenu similaire à celui d’un confrère qui pratique un seul type de prix moyen et qui répondrait à la même demande. Dans cette comparaison, le praticien qui discrimine ne

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présente pas de hausse de revenu alors que la pratique de la discrimination présente un coût d’opportunité lié à sa mise en œuvre.

Il y a évidemment des comportements intermédiaires entre le prix unique et la discrimination parfaite. Le plus souvent, le praticien va pratiquer deux à trois prix différents, facilement applicables à des groupes de patientèle élargis.

La discrimination par les prix implique que le praticien mène lors de la rencontre une analyse rapide et intuitive de ce que le patient pourra être disposé à payer. Si le recours établit déjà l’existence d’un besoin, le choix du chirurgien-dentiste consulté révèle aussi certaines préférences du patient : proximité géographique, disponibilité d’agenda, spécificité d’exercice, compatibilité d’humeur, qualité et prix dans le cas d’une relation préexistante.

L’utilité du patient s’exprime donc selon ces critères : importance du besoin et en conséquence du service rendu, préférences idiosyncratiques, coûts de transports, qualité et prix.

VII.CONCLUSION

Le marché de la santé en pratique libérale suit un modèle de concurrence monopolistique (Satterthwaite, 1979). Les offreurs possèdent un pouvoir de monopole sur le marché, ce qui nous amène à considérer que le prix d’équilibre n’est pas vraiment le fruit de la rencontre de l’offre avec la demande. Il s’agit plutôt d’un prix établi par les chirurgiens-dentistes puis mis à disposition des patients. La stratégie de fixation du prix par le dentiste repose tout de même sur l’étude à la fois de la concurrence et de la disposition à payer de la patientèle potentielle. En réponse, et selon ses préférences personnelles en termes de revenu, d’éthique et de loisirs, le dentiste va établir ses objectifs de volume et de qualité dans sa pratique, puis fixer ses prix en conséquence. Tous ces éléments contribuent à une grande hétérogénéité des prix des soins dentaires ouverts à la liberté tarifaire.

Le chapitre 3 analyse les déterminants de la fixation du prix de l’inlay-core en mesurant spécifiquement l’effet de la concurrence (approché par la densité départementale de chirurgiens-dentistes) et du prix des concurrents afin de vérifier les conséquences attendues de la concurrence monopolistique notamment la propriété de compléments stratégiques des prix. Une forme réduite est estimée en tirant profit d’instruments de la densité de dentistes et des prix. Comme précisé plus haut, le choix de l’inlay-core permet de s’affranchir de la question de l’hétérogénéité de la qualité compte tenu de l’uniformité de la qualité de cet acte spécifique.

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Dans un premier temps, le chapitre 2 cherche à estimer l’effet du prix de l’inlay-core sur la demande. L’estimation d’une forme réduite permet de tester l’hypothèse d’une élasticité prix négative de la demande qui sous-tend le mécanisme de la concurrence monopolistique. Le risque de causalité inverse, les prix sont élevés là où la demande est peu élastique, ne peut cependant être complètement traité ce qui réduit la portée des résultats.

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Partie III

Chapitre 2

LE ROLE DES PRIX DANS L’ACCES AUX SOINS

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