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Les effets d’acculturation en prison

I.3. La prison, reflet de la société ?

L’univers carcéral est un lieu d’interactions sociales, interactions qui se structurent à la fois dans la relation entre le détenu et l’Administration, mais également dans la relation du détenu avec ses pairs. La détention, par son fonctionnement totalitaire et liberticide, est vectrice d’une configuration qui lui est propre, souvent qualifiée de « culture de la prison ». Philippe COMBESSIE, s’agissant de ce concept, lui préfère le substantif de « sous-culture carcérale ». Concernant cette sous-culture, deux approches sociologiques, selon cet auteur, s’opposent.

La première est la thèse dite structuro-fonctionnaliste, en ce sens qu’elle postule que la sous- culture est directement liée au fonctionnement de la structure carcérale. Pour les défenseurs de cette thèse, l’univers carcéral, à la fois coercitif et fondamentalement matériel, mais aussi monosexué – masculin, en ce qui concerne cette étude – va conduire les détenus à une appréhension excessive, car de l’ordre de la survie, de la matérialité et induire des rapports de force et de pouvoir constitutifs de l’accès à ces biens matériels (tabac, correspondance, télévision, hygiène, alimentation…). Ceci renvoie à la question de la mise en œuvre de nouvelles formes de contrôle social, contrôle auquel les détenus doivent s’adapter. Ainsi, comme le souligne Talcott PARSONS, la socialisation signifie et passe par « une adaptation à la

société (qui comprend les relations sociales organisées d’une certaine façon, des groupements qui constituent une société globale), une adaptation à la culture (qui englobe les systèmes de valeurs et de normes qui régissent la conduite d’une collectivité donnée), une adaptation à sa personnalité (qui est formée par l’organisation des différentes composantes psychiques de l’être humain : impulsions, besoins, attitudes, intérêts…) » 65. La socialisation passe également par l’incorporation et l’adaptation aux codes propres à cet univers, qu’il s’agisse de ceux qui concernent le fonctionnement de l’institution ou de ceux qui relèvent des interactions avec les autres détenus. Gresham SYKES, en étudiant le langage propre au détenu, identifie également une sous-culture propre au milieu carcéral, destinée à lutter contre les privations entraînées par l’enfermement. Mais il la distingue de la relation de solidarité entre détenus, qu’il désigne comme une « contre-culture ». En référence à Max WEBER, il dépeint l’analogie de la prison à la bureaucratie, système dans lequel les détenus sont confrontés à l’ambiguïté

65 PARSONS Talcott. & SHILS Edward., Toward a general theory of action, Cambridge Harward University Press, 1951, in HOLZKNECHT, Brigitte, « Imaginaires d’insertion », in Revue Mana n°5, Prisons : entre oubli et réformes, LASAR, Université de Caen, 1998, p. 201

de leur situation, les conduisant à opter pour des logiques collectives d’opposition à l’institution (comportement « hypernormatif » de dénonciation de l’injustice qui leur est faite) et des logiques individuelles qui leur permettent de limiter l’emprise de ce contrôle.

S’oppose à la thèse structuro-fonctionnaliste une seconde thèse, dite diffusionniste, par laquelle l’explication de la sous-culture est liée à la diffusion intra-muros des cultures pré- acquises et importées de l’extérieur (souvent issues des milieux de la délinquance), voire qui y sont renforcées et adaptées au cadre pénitentiaire. Cette théorie pourrait expliquer, comme le souligne Anne-Marie MARCHETTI, pourquoi « l’âge n’est pas un critère de rapprochement,

contrairement à la nature du délit, du milieu culturel et des pratiques sociales associées, de l’origine rurale ou citadine, d’une même origine ethnique ou d’une longueur de peine identique. »66. Cette seconde théorie renvoie donc à la dimension révélatrice de la société que porte en

elle la prison, une sorte de reflet que Philippe COMBESSIE distingue dans ses dimensions symétrique ou inversée. Dans ce dernier cas, il stipule qu’« on peut remarquer, par exemple,

que, dans une société démocratique, tout ce qui n’est pas expressément interdit par une loi ou un règlement est autorisé, alors qu’en prison, c’est exactement l’inverse (tout ce qui n’est pas expressément autorisé par la loi ou un règlement est interdit) »67.

Ainsi, comme le souligne Claude FAUGERON : « La prison est une sorte de lieu paroxystique, un

laboratoire d’analyse du social privilégié, dans la mesure où elle concentre, dans un espace circonscrit et de façon amplifiée, bien des phénomènes observés dans d’autres champs de la société. Ainsi, elle permet de lire […] les principes de structuration des rapports sociaux. » 68. Cependant, si, dans la société globale, les parades sont toujours envisageables, les murs de la prison limitent conséquemment ces dernières et représentent un facteur intrinsèque de la construction de rapports sociaux spécifiques à ce milieu : « In fine, on trouve au sein des

détenus, comme dans toute communauté humaine, des grandes gueules et des gens fragiles, des petits chefs et des boucs émissaires, de vrais rebelles et des pseudo-caïds…. Mais dans cet univers clos, les alliances, les antagonismes ou les exclusions prennent un relief plus intense et

66 MARCHETTI Anne-Marie, Perpétuités, op.cit., p. 319 67 COMBESSIE Philippe, op. cit., p.73

peuvent avoir des conséquences dramatiques, les échappatoires étant extrêmement limités. »69

Ainsi, cet espace réduit, confiné, où les interactions se polarisent et s’amplifient, représente un laboratoire d’appréhension d’un corps social au sein d’un espace plus vaste qu’est celui de la société. Ce milieu induit, pour le détenu, des formes d’adaptations parfois vacillantes entre des attendus en termes de normes sociales et les règles institutionnelles propres au milieu.