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Les prises fragiles de la contestation au sein des lieux institutionnalisés du débat public et politique

Conclusion : la production de l’espace et les formes subtiles de la police de la ville

Chapitre 5. Chapitre conclusif. Résistances et expression des intérêts au sein de la démocratie urbaine

5.1 Les prises fragiles de la contestation au sein des lieux institutionnalisés du débat public et politique

Nous souhaitons ici avancer l’idée selon laquelle l’échelle des grands débats pré-décisionnels se déroulant dans les arènes proprement politiques et partisanes des institutions démocratiques, n’est peut-être plus l’échelle déterminante pour repérer les résistances et prendre la mesure de l’expression d’intérêts contradictoires. Nettement, au sein des arènes institutionnelles de la démocratie délibérative et représentative, les voix de la discorde peinent à s’exprimer et à infléchir le cadrage des problèmes.

Classiquement, l’entreprise de généalogie des réformes procède à l’examen, à posteriori, des débats au sein des assemblées (parlementaires ou communautaires), et ce faisant permet de jauger et de caractériser la réforme votée au prisme de la mobilisation des intérêts qui se sont manifestés en amont du vote de la décision378. Ces travaux sont utiles mais ils font l’hypothèse que ces arènes institutionnalisées du débat public sont les lieux privilégiés de la confrontation des intérêts. Or, cette hypothèse est discutable. Nous avancerons deux arguments liés. D’une part, ces scènes institutionnalisées du débat public et démocratique restreignent et formatent l’espace des possibles à débattre. D’autre part, si en leur sein est produit du consensus, c’est au prix d’une marginalisation des intérêts trop divergents, d’un évitement de la confrontation.

Du « cens caché » des consensus à l’évasion institutionnelle

Qu’il s’agisse des arènes de la démocratie représentative ou de celles de la démocratie délibérative, un certain nombre de travaux récents font le constat du caractère globalement non conflictuel des débats au sein des enceintes classiques de la démocratie urbaine.

Régulièrement, les institutions intercommunales sont l’objet de critiques relatives à leur « déficit démocratique »379. Ce dernier renvoie, de fait, à deux aspects liés mais distincts de la démocratie. Dans sa première composante, le déficit démocratique invoqué concerne le lien entre représentants et représentés tandis que la question de la gouvernance intercommunale et du cheminement des décisions au sein des institutions communautaires en constitue la seconde facette. Dans la première acception, qui n’est pas la plus centrale pour ce qui nous intéresse ici, la sémantique du déficit démocratique est mobilisée pour désigner un mode de scrutin qui ne serait pas ou plus adapté à la réalité du déploiement quantitatif et qualitatif des structures intercommunales. Historiquement, depuis la loi du 31 décembre 1966 et la création des communautés urbaines, les délégués communautaires sont des conseillers municipaux élus au suffrage universel indirect par les conseils municipaux des communes membres. À la critique du décalage entre l’espace d’agrégation des votes et celui de la décision et de son application, s’ajoute celle non moins forte des règles auxquelles échappe le mandat de délégué communautaire. Parmi elles, le fait que les dispositions de la loi sur la parité comme celles visant à limiter le cumul des mandats ne

378. Patrick Le Lidec creuse ce sillon avec talent en matière de réforme des institutions territoriales. Voir par exemple, Patrick le Lidec, 2009, « Réformer sous contrainte d'injonctions contradictoires : l'exemple du comité Balladur sur la réforme des collectivités locales », Revue française d'administration publique, 3, n° 131, p. 477-496. Patrick Le Lidec, 2010, « L'hybridation du modèle territorial français. RGPP et réorganisations de l'Etat territorial », Revue française d'administration publique, 4, n° 136, p. 919-942.

379. Thomas Frinault, 2010, « Le serpent de mer de la démocratie intercommunale », Pouvoirs locaux, 86, p. 17-23.

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s’appliquent pas aux représentants intercommunaux élus au suffrage universel indirect au sein d’un EPCI est régulièrement pointé. Mais la notion de déficit démocratique intercommunal désigne également un ensemble de pratiques internes au fonctionnement de la gouvernance intercommunale. Le procès en légitimité démocratique des Etablissements Publics de Coopération Intercommunale (EPCI) mérite pour certains auteurs d’être élargi à l’ensemble d’une machine communautaire réglée pour fabriquer du compromis et du consensus partisan380. Ce qui est pointé ici est le non respect de l’arithmétique électorale à tous les niveaux de la machinerie communautaire. Premier grief récurrent, les villes centres sont sous-représentées au sein des conseils communautaires. En effet, le principe de proportionnalité entre la démographie communale et la répartition des sièges au conseil communautaire peut être tempéré par des dispositions garantissant une représentation de toutes les communes membres, source de distorsion entre la représentation démographique et territoriale. De surcroît, une fois les sièges répartis, les élus désignés par le conseil pour siéger au sein de l’assemblée communautaire restent des représentants de leur commune respective : l’appartenance partisane ne donne que très rarement lieu à la constitution de groupes politiques et encore moins à une discipline de vote. L’intercommunalité serait donc un régime politique singulier caractérisé par des arrangements interpartisans et au sein duquel la quasi-unanimité est préférée à la règle majoritaire et à l’arithmétique électorale. Les conseils communautaires seraient des assemblées policées et prévisibles ponctuées de votes à la quasi-unanimité. Cette absence de fausse note lors des séances publiques serait le signe que les conseils communautaires ne sont pas le lieu du débat démocratique. Bon nombre d’observateurs s’accordent à dire que la démocratie intercommunale est une démocratie de couloir : le travail de neutralisation des conflits se fait en amont des conseils communautaires au sein d’organes filtres. Parmi eux, le Bureau, qui rassemble les vice-présidents et les maires, serait à la fois le plus central et le moins visible. Caractérisé tout à la fois par le suffrage universel indirect, la faible structuration partisane, la prise de décision au consensus et des logiques de couloirs et de huis clos, l’édifice communautaire bousculerait donc les canons de la démocratie représentative.

Ce constat établi pour les assemblées communautaires vaut également pour les assemblées municipales. Les figures mobilisatrices imposées de la gouvernance urbaine et de ses grands projets (projets de transport, grands évènements culturels ou sportifs, planification stratégique) semblent d’autant mieux s’épanouir qu’elles s’affranchissent des enceintes de la démocratie représentative et des jeux d’assemblée. De fait, l’évasion institutionnelle aurait une dimension fonctionnelle. Mobiliser les acteurs, susciter une capacité d’action collective, stabiliser des coalitions stables, faire système, seraient finalement devenu, dans des contextes incertains, des impératifs prioritaires des gouvernements urbains. Les projets nécessiteraient des logiques délibératives d’ajustements réciproques mutuels et nombreux qui ne peuvent s’inscrire au sein des enceintes classiques de la démocratie représentative où la décision, qui prend alors la forme d’une règle de droit, est le produit d’un vote majoritaire clivant. Gilles Pinson voit ainsi dans le succès de structures ad hoc telles que les conférences consultatives d’agglomération une bonne illustration de la « subversion de la démocratie représentative qui semble caractériser de plus

380. Fabien Desage, David Guéranger, 2011, La politique confisquée. Sociologie des réformes et des institutions

intercommunales, Editions du Croquant ; Fabien Desage, 2006, « La vocation redistributive contrariée d’une

institution fédérative infranationale. Les faux-semblants du « consensus » partisan à la communauté urbaine de Lille », Lien social et politiques, 56, p. 149-163.

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en plus l’action publique urbaine381 ». Ainsi, les logiques plutôt vertueuses de délibération et d’apprentissage, d’ajustements mutuels et de confiance patiemment construite, de construction d’identité et cadres cognitifs partagés appelant des relations horizontales peu hiérarchisées, tendent à s’évader des institutions classiques des gouvernements urbains.

Pour autant, cette évasion des débats hors des enceintes classiques de la démocratie représentative, quand bien même elle aurait quelques effets vertueux, aurait pour corollaire d’exclure du jeu ceux qui, précisément, en bousculeraient trop les règles. Les processus de construction des politiques urbaines de transport et de déplacements fournissent de bonnes illustrations de ces phénomènes.

Des conflits raisonnables

L’organisation de la « démarche PDU » fait l’objet d’un ensemble de recommandations dans les textes officiels qui fixent les modalités d’organisation de l’exercice de planification des déplacements urbains. Le réseau technique de l’Etat, par l’intermédiaire du CERTU, a cherché à préciser dans un guide, à destination des collectivités locales et des Autorités Organisatrices des Transports Urbains (AOTU), les modalités de travail vertueuses qui doivent faire la force de la démarche PDU. L’élaboration du PDU y est présentée comme un processus itératif basé sur des échanges répétés entre des acteurs nombreux organisés autour d’une instance politique (le comité de pilotage) et une instance technique (le comité technique)382. C’est au sein d’instances consultatives, souvent dénommées groupes de travail thématiques (GTT), que doit se faire le travail d’élaboration de différents scénarios de plans de déplacements urbains. Ces GTT sont présentés comme des lieux de débats ouverts qui vont définir le projet de PDU à la croisée des études techniques, des orientations politiques et de la concertation avec les instances représentatives de la population.

Au sein de ces structures qui visent à construire du consensus, certains enjeux trop conflictuels et certains groupes sociaux porteurs de positions jugées trop radicales vont être d’emblée ou progressivement exclus. Ces exercices de construction collaborative de projet organisés dans le cadre de la planification des déplacements urbains fournissent de nombreux exemples d’exclusion de groupes qui au nom d’arguments sociaux ou écologiques contestent trop frontalement, ici, le tracé d’une ligne de tramway qui fait la part belle aux hauts lieux de la ville centre et ignore les quartiers périphériques concentrant les populations paupérisés, là, un contournement autoroutier coûteux améliorant l’accessibilité à un grand équipement métropolitain. Bref, ceux dont les positions sont inconciliables avec des projets de transport au service du développement et de l’attractivité du territoire seront progressivement marginalisés dans les instances délibératives de la gouvernance urbaine383.

De nombreux travaux insistent sur le fait que la principale innovation des politiques urbaines contemporaines ne serait pas de nature substantielle mais procédurale. Le développement durable serait une illusion certes, mais une illusion motrice, porteuse

381. Gilles Pinson, 2009, Gouverner la ville par projet. Urbanisme et gouvernance des villes européennes, Paris, Presses de Sciences Po., p. 377.

382. Certu, 1996, Plans de Déplacements Urbains : guide, Lyon, CERTU.

383. Hélène Reigner, Frédérique Hernandez, Thierry Brenac, 2009, « Circuler dans la ville sûre et durable : des politiques publiques contemporaines ambiguës, consensuelles et insoutenables », Métropoles, 5.

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d’innovations et de phénomènes d’apprentissage384 à travers notamment les procédures participatives et délibératives qui l’accompagnent et qui déboucheraient sur la production d’une intelligence collective385. Nos observations des diverses scènes d’action intégrées à la démarche participative d’élaboration des Plans de Déplacements Urbains nous font plutôt dire que si ces procédures sont efficaces, c’est plutôt pour éviter les blocages et les conflits. En effet, en multipliant les groupes de travail thématiques, en énonçant des priorités d’action par mode de transport, la démarche permet l’avancement différencié de projets très liés sans en dévoiler la cohérence d’ensemble. Ce faisant, les projets urbains se concrétisent pas à pas, en restreignant les possibilités de contestation par la fragmentation des enjeux et des objets mis au débat386.

Le point commun de ceux qui s’entêtent à critiquer le déploiement des instruments de la mobilité durable est d’être discrédités et illégitimes : pro-automobilistes au service des lobbys de la route, du pneu et du pétrole (les automobiles-clubs), égoïstes défendant des intérêts particuliers et NIMBY (les taxis), poujadistes conservateurs (les commerçants). Les paroles divergentes mais néanmoins considérées comme légitimes sont rares en matière de requalification verte et de mobilité durable.

384. Pierre Lascoumes, 2005, « Le développement durable, un vecteur d’innovations politiques ? », in Marie-Claude Smouts, (dir.), Le développement durable : les termes du débat, Paris, Armand Colin, p. 95-107.

385. Alain Faure, Philippe Teillet, 2011, « La durabilité urbaine au travers des conseils de développement : une démocratie d’agglomération recomposée ou réenchantée ? », in Vincent Béal, Mario Gauthier, Gilles Pinson, Le

développement durable changera-t-il la ville ? Le regard des sciences sociales, Publications de l’Université de

Saint Etienne, p. 211-238.

386. Hélène Reigner, Frédérique Hernandez, 2007, « Les projets des agglomérations en matière de transport : représentations, projets, conflits et stratégie de « détournement » des réseaux », Flux, n°69, p. 21-34.

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Les groupes de travail Les ateliers

PDU d’Aix en Provence

Activités économiques, éducation et

déplacements Déplacements domicile-travail, co-voiturage, transports de marchandises Déplacements domicile-école ou études, problèmes de dépose aux abords des établissements, universités, lycées, collèges, écoles, personnels enseignants

Environnement, cadre de vie et

déplacements Qualité de l’air, bruit

Piétonnisation, cheminement piétons inter-quartiers, sécurité des piétons, qualité de l’espace public

Vélos, deux-roues motorisés Transports collectifs et déplacements Amélioration des services à l’usager

Réseau « Aix en bus », les cars, le train, les taxis

Transports scolaires Transport de personnels Voirie, circulation, stationnement et

déplacements Hiérarchisation du réseau viaire, gestion de la circulation, sécurité routière

Stationnement privé, sur voirie, parcs publics

PDU de Marseille

Priorités d’investissement

Cohérence et mesures

d’accompagnement Partage de l’espace public Stationnement

Hiérarchisation des réseaux Parc de véhicules

Transport et livraison de marchandises Interaction déplacements-urbanisation

Figure 15 : La multiplication des groupes de travail thématiques dans la démarche PDU. Les exemples d’Aix en Provence et de Marseille.

Les conflits avec les commerçants des centres-villes sont une constante des démarches PDU. Ils ont toujours trait à la question de l’accessibilité des commerces : à court terme, elle se pose pendant les périodes de travaux ; à plus long terme, les commerçants sont souvent inquiets des effets des projets de suppression du stationnement en surface. De nombreuses agglomérations anticipent et désarmorcent ces conflits en créant des structures d’indemnisation. À Reims et à Dijon, par exemple, les risques de contentieux avec les commerçants ont été prévenus grâce à la création de structures d’indemnisation : Commission d’indemnisation amiable du préjudice économique pour évaluer les préjudices

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subis par les commerçants en rapport avec les travaux du tramway, Fonds d’intervention pour les services, l’artisanat et le commerce pour accompagner pendant les travaux et anticiper l’arrivée du tramway pour profiter de ses effets sur l’activité 387.

Tous les opposants aux PDU ne sont pas aussi bien lotis que les commerçants. Ceux qui affichent leur scepticisme vis-à-vis des mesures restreignant l’usage de l’automobile et du mot d’ordre selon lequel « il faut libérer la ville de l’automobile » sont particulièrement stigmatisés et sont souvent, quand ils y sont présents et quand ils osent s’exprimer, les vilains petits canards (pour ne pas dire les « beaufs ») des scènes de débat. Ils se heurtent à l’étroitesse du débat public contemporain relatif à la place de l’automobile dans la ville, structuré binairement entre les pro-automobilistes et les anti-automobilistes… alors même, nous l’avons montré dans le chapitre 1, que les politiques publiques déployées en la matière sont ambivalentes et ne s’opposent à l’automobile que dans certains espaces, pour certains usages. Dénoncer cette ambivalence de la « lutte contre l’automobile » est difficilement énonçable. Invariablement, les débats sont mis en scène en opposant deux camps. Les industriels de l’automobile, de la route, des travaux publics, du bitume, les assureurs (tous membres de l’Union Routière de France) partagent le même banc que les amateurs de sport automobile et les représentants des automobilistes, aux côtés de sénateurs ou députés de droite, ceux-là mêmes qui viennent d’obtenir un assouplissement des délais de récupération des points du permis de conduire au motif qu’il faut « arrêter d’emmerder les Français388 ». En face, les représentants des victimes de la route, scandalisés, côtoient un collectif de cyclistes, des pro-transports publics, diverses associations écologistes dont un représentant de Carfree France arborant un tee-shirt « Sauve la nature, brûle ta voiture389 ». Les élus écologistes et même parfois des universitaires en aménagement et urbanisme venus affirmer que la voiture tue la ville complètent souvent le tableau390. Cette structuration binaire, antérieure à la massification de l’automobile391, interdit toute critique « progressiste » des politiques contemporaines de « lutte contre l’automobile », notamment du point de vue de ses enjeux sociaux et environnementaux. De fait, les projets centraux visant la qualité urbaine et la lutte contre l’automobile ne rencontrent que très peu de résistances, à l’exception de celles, déjà mentionnées, des commerçants.

387. Jean-Luc Pissaloux, François Ducol, 2012, « Réflexions sur le retour récent du tramway comme mode de transport urbain et périurbain », in Transport et politiques locales de déplacement, Droit et Gestion des

collectivités territoriales 2012, GRALE-CNRS, Éditions du Moniteur, p. 183-196.

388. Propos tenus en 2011 par le député UMP des Yvelines, Jacques Myard, à l’occasion du débat parlementaire relatif à l’assouplissement du permis à point, dans le cadre de l’examen du projet de loi LOPPSI 2 (Loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure).

389. Voir le site : carfree.free.fr.

390. Matthieu Flonneau relate, non sans humour, comment il s’est retrouvé, sur un plateau de télévision, dans le « mauvais » camp pour commenter son ouvrage historique sur Paris et l’automobile (L’automobile à la conquête

de Paris, Paris, Presses de l’école nationale des Ponts et Chaussées, 2003), ouvrage où il montre comment, dans

un passé pas si lointain, l’automobile avait servi l’urbanité parisienne. Mathieu Flonneau, 2010,

L'autorefoulement et ses limites, Descartes & Cie.

391. Dans une perspective historique, Pierre Lannoy a bien renseigné ce populisme automobile. S’intéressant aux valeurs portées par les élites industrielles qui misent sur la massification automobile, Pierre Lannoy montre que la volonté de développer la « voiture populaire » est empreinte d’une géomoralité de droite, populiste et antiurbaine, historiquement située : c’est un objet conçu pour une famille de quatre personnes qui permet à ces familles populaires de s’éloigner des menaces urbaines que la ville fait peser sur le peuple et d’ouvrir de nouvelles territorialités, rurales et vertueuses, pour le peuple motorisé. Pierre Lannoy, 2009, « Produire la voiture populaire et sauver le peuple. Les desseins du populisme automobile chez Ford, Hitler et Renault », Articulo —

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On a déjà évoqué, dans le chapitre trois, comment les élus verts de la mairie de Paris avaient renoncé à voter contre le projet de vélo en libre service, Vélib’. Très critiques à l’encontre du contrat qui lie la mairie de Paris et le groupe Decaux tout autant qu’à l’égard du modèle économique qui lie le marché du mobilier urbain à celui de la publicité dans l’espace public, les Verts ont considéré et craint que cette position allait être incomprise : les verts seraient donc contre des projets qui encouragent et favorisent la pratique du vélo en ville392 ? La grandeur de la justification écologique et la moralisation des enjeux rendent jusqu’alors intouchables les projets centraux associés à la promotion de la mobilité durable et des modes doux.

Ainsi, l’élargissement des scènes de décision (de nombreuses associations prennent part à la procédure de débat public) ne peut avoir que très peu d’influence sur la construction des choix collectifs. L’espace des débats est restreint, la procédure formatée, la concertation réduite à un pré-requis de l’acceptabilité sociale des décisions393, les acteurs porteurs des enjeux sociaux sont quasi systématiquement absents394. Le conflit a donc toutes les chances d’être tué dans l’œuf. Autrement dit, la pluralisation effective des systèmes politiques urbains serait sélective : l’ouverture du jeu serait limitée aux acteurs et groupes sociaux porteurs de ressources pour l’action publique urbaine395. Qui plus est, étant donné que ce pluralisme sélectif s’épanouit hors des murs des institutions classiques de la démocratie représentative, la ressource, égalitairement partagée socialement, que constitue le vote n’aurait donc plus une place centrale dans les processus de fabrique de l’action publique urbaine. Or, « par le vote, les groupes sociaux les plus faibles socialement et

économiquement, mais souvent les plus nombreux numériquement dans les grandes villes, pouvaient peser d’un poids sans rapport avec leur pouvoir économique, social et culturel396 ».

Les logiques de légitimation des élus et la source de leur pouvoir politique seraient désormais fortement liées à leur aptitude à produire des politiques urbaines plus qu’à leur