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Conclusion : De la dépolitisation des enjeux à la disqualification des voix de la discorde

Chapitre 4. L’instrumentation du tri spatial et du tri social

4.2. La mise en œuvre spatialisée des instruments de la mobilité durable

Les instruments et outils déployés pour opérationnaliser l’enjeu de mobilité durable sont souvent flanqués d’un adjectif-sésame tels que vert, citoyen, éco-responsable, propre,

civilisé, doux ou apaisé mais ce qui à nos yeux permet de les qualifier relève avant tout de la

spécificité de leur inscription spatiale. Le déploiement spatialisé de ces instruments dans la ville révèle en effet des fortes constantes. Nous avons pris ces dernières au sérieux et en avons fait une clé d’entrée privilégiée pour renseigner le sens et la portée des politiques urbaines de transport et de déplacements. De ce point de vue, les instruments de la mobilité durable alimentent non seulement des opérations de tri des espaces en fonction des types de flux qu’ils sont censés accueillir mais aussi, ce faisant, des opérations de tri des usages et des usagers dans la ville.

Globalement, il est possible d’identifier trois grandes catégories d’instruments déployés au nom de la mobilité durable et de la qualité de vie en ville : les projets prestigieux de transport en commun en site propre, le travail d’aménagement sur l’espace public et les voiries, la tarification pour réguler l’accès en automobile à la ville.

Les projets prestigieux de transport public : où ? Pour faire quoi ? Pour qui ?

Les politiques contemporaines de transport et de déplacements sont caractérisées par une volonté d’améliorer significativement l’offre en transport public. On pourrait voir dans cette mise à l’agenda du développement des transports publics le signe que les politiques urbaines n’ont pas abandonné toute ambition redistributive. Il est vrai que les politiques de transport ont été historiquement marquées et associées à des idéaux progressistes. Ainsi, en France, inspirée du droit à la ville d’Henri Lefebvre314, la notion de droit au transport fait son apparition en France en 1982 dans la Loi d’Orientation sur les Transports Intérieurs (LOTI)315. Ce cadrage a permis d’asseoir des politiques publiques fondées sur la production de services publics, en partie financés par les entreprises via le versement transport, au bénéfice des salariés. L’analyse fine des phasages, des tracés et de l’inscription spatiale des réseaux contemporains de transport public urbain témoigne d’une évolution des priorités et des objectifs assignés à ces politiques publiques.

Ces politiques, en bonne place dans les Plans de Déplacements Urbains, cherchent à améliorer quantitativement et qualitativement une offre à même de concurrencer l’automobile pour susciter du transfert modal. L’attractivité de l’offre en transports publics est un point décisif dans ces politiques : amélioration des vitesses commerciales, temps de parcours garantis grâce aux couloirs de bus et au tramway en site propre, augmentation des fréquences et du cadencement, extension des amplitudes horaires, meilleures correspondances et présence de services dans ses lieux, design soigné du matériel roulant et des stations.

Pourtant, jusqu’alors, ces politiques n’ont eu que des effets limités, cantonnés à une échelle locale. Pourquoi ? Essentiellement parce que les tracés de ces projets prestigieux de transport en commun en site propre privilégient les espaces centraux et péri-centraux et que

314. Henri Lefebvre, 1968, Le droit à la ville, Paris, Anthropos.

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l’offre en transport public en France est nettement moins performante à l’échelle des régions urbaines. Sûrement aussi que dans de nombreux projets de transport, la dimension fonctionnelle de l’enjeu transport est supplantée par celui plus symbolique de l’amélioration de l’image et de la qualité urbaine des centres-villes patrimoniaux.

Le renouveau du tramway en France illustre bien ce phénomène316. Quels sont donc les espaces privilégiés pour l’accueillir ? Nettement, le phasage des travaux tout autant que les tracés des lignes de ces projets prestigieux de transport en commun en site propre privilégient les espaces centraux et péri-centraux. Il accompagne souvent des opérations urbaines déjà planifiées et ne constituent qu’un complément à une accessibilité souvent déjà offerte par le réseau de bus317 Empruntant les axes urbains historiques majeurs du centre-ville, les grandes artères majestueuses, la desserte offerte par les lignes de tramway ne concerne qu’une partie limitée du territoire : les abords des lignes lourdes et les destinations centrales. Si le tramway a effectivement permis de chasser la voiture de certains secteurs centraux, la qualité de service du réseau de transports collectifs diminue graduellement en direction de la périphérie, exception faite des campus universitaires bien desservis dans certaines villes de province. Cette baisse du niveau de service s’observe dans les villes qui accusent un différentiel de qualité entre les lignes de transport en commun en site propre, concentrant une grande partie des moyens, et les lignes de bus classique, plus modestement dotées. Au sens propre, comme au sens figuré un réseau de transports collectifs à deux vitesses s’installe318.

Ainsi, alors que le tramway est présenté comme un mode favorable à l’environnement et aux usagers des modes doux, son impact sur la diminution de la circulation automobile reste aujourd’hui limité et ne concerne qu’un périmètre réduit. En effet, le tramway est mobilisé au service d’un modèle d’organisation des déplacements qui vise à protéger certains secteurs des nuisances de l’automobile, sans renoncer à garantir, globalement, une relative desserte du territoire par la voiture. Ainsi, les mesures restrictives à l’automobile dans le centre ou dans certains quartiers résidentiels, présentées comme préalables au tramway, s’accompagnent souvent de mesures permettant d’accueillir, dans les zones péricentrales ou périphériques, les voitures détournées. La réalisation d’un nombre conséquent de places de parkings en souterrain, le bouclage d’une rocade existante, offrant un itinéraire de contournement, sont également présentées comme des préalables à la mise en place d’un tramway. Pour libérer leur centre-ville de la circulation automobile, certaines villes percent ou prolongent des tunnels existants en souterrain entretenant par là la mobilité automobile, tout en mettant en place un tramway en surface. La justification écologique de l’investissement dans le tramway s’en trouve considérablement affaiblie319.

Mais le tramway vise-t-il prioritairement à résoudre des problèmes de transport et les nuisances environnementales associées aux déplacements motorisés ? L’examen des tracés témoigne de ce que le tramway ne sert pas uniquement à desservir des pôles générateurs de flux (campus universitaires, hôpitaux, centres secondaires). En effet, ce mode est présenté

316. Frédérique Hernandez, 2004, « Le tramway, Cheval de Troie du PDU : la construction d'un modèle de ville par les projets techniques », in Joël Yerpez, (dir.), 2004, Le plan de déplacements urbains, un processus sous le

regard des chercheurs, Actes du colloque des 12 et 13 juin 2003 Aix-en-Provence, n°95, p. 37-52.

317. Patrick Frenay, 2005, « Le tram, outil en faveur d’une ville durable ? Réflexions tirées d’une comparaison entre quelques villes moyennes française et alémaniques », TEC, n°185, p. 2-8.

318. Cécile Féré, 2012, « Agglomération lyonnaise : vers des services à la mobilité à plusieurs vitesses »,

Urbanisme, n°385, p. 53-55.

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par les édiles comme le vecteur d’une nouvelle image de marque et ainsi d’une nouvelle attractivité pour la ville. Projet phare, le tramway serait aussi une solution permettant de redynamiser le commerce, de revaloriser les secteurs traversés, économiques ou résidentiels. De fait, le tramway tend bien à renchérir le prix des espaces qu’il traverse320. Il est physiquement mis en scène dans la ville par son tracé, le traitement de sa plate forme et de ses stations, le design de ses rames. Cette mise en scène est aussi celle du projet politique de la ville. De fait, le tramway est un formidable outil de marketing urbain. L’effet label du tramway existe et certains acteurs s’en saisissent pour bien vendre la ville, ou plus modestement, bien vendre de nouvelles opérations urbaines qui lui sont associés. A l’échelle de la ville, comme à l’échelle de l’agglomération le tramway accompagne les nouvelles stratégies urbaines à l’œuvre et participe de la représentation des territoires.

À Marseille, l’analyse du tracé des lignes de tramway montre que ce dernier est au service d’une revalorisation commerciale du centre-ville pour en faire « le lieu de la

convergence de la commercialité marseillaise ». En effet, en reliant les artères commerciales

et les centres commerciaux du centre, le tramway participe à la mise en place d’un véritable circuit commercial. Ainsi, son tracé part du futur centre commercial « les terrasses du port » (implanté sur le littoral d’Euroméditerranée), traverse la rue de la République (objet d’une revitalisation commerciale), rejoint le secteur commercial Bourse-Canebière (en cours de rénovation), atteint le plateau piétonnier destiné au commerce de luxe (St Férréol, Paradis, Félix Baret,) et se poursuivra rue de Rome (actuellement artère commerciale populaire). Concrétiser ce projet de parcours commercial à ciel ouvert implique également d’infléchir le rapport de force entre piétons et automobilistes dans le centre-ville, à l’avantage des premiers. De fait, le tracé du tramway participe d’une stratégie de fermeture des vannes de la circulation automobile sur les artères qui offraient des itinéraires permettant de traverser l’hypercentre321. L’histoire et la morphologie urbaine de la ville sont telles que ces itinéraires traversants sont aussi les artères urbaines historiques de la ville. Le passage du tramway sur ces dernières est l’occasion de révéler le patrimoine urbain du centre, qui pour une grande part avait été investi et approprié par les populations les plus pauvres de la ville : le Marseille populaire. Ainsi, le passage du tramway dans la rue de la République participe clairement d’une opération de revalorisation commerciale et immobilière d’une des rares artères haussmanniennes de la ville.

320. CERTU, 1999, Evaluation des transports en commun en site propre, Ministère de l’Equipement, des Transports et du Logement, CERTU, CETE de Lyon, Lyon.

321. Ainsi, le premier itinéraire nord-sud (République-Paradis-Breteuil) est interrompu au nord avec le passage du tramway rue de la République. Le second itinéraire nord-sud (Porte d’Aix-Belsunce-rue de Rome) est lui interrompu par le passage du tramway sur le cours Belsunce et prochainement sur la rue de Rome. L’implantation du tramway sur la Canebière vise à réduire les flux de circulation sur cette pénétrante arrivant de l’est.

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Source : Hélène Reigner, Frédérique Hernandez, 2012, « Tri social, tri spatial dans la ville durable. Les politiques de transport et de déplacements au miroir du cas marseillais », communication au colloque international de l’APERAU, 6-7 juin, Lausanne.

Figure 13. Le tramway à Marseille : l’organisation d’un circuit commercial dans le centre-ville

Depuis l’élaboration du premier PDU en 1998, l’Etat en charge de la Politique de la Ville dans les quartiers nord de Marseille demande l’arrivée du tramway dans le périmètre du Grand Projet Urbain. C’est pourtant le tracé en direction des quartiers sud (les quartiers riches de la ville) qui a été adopté. Il permet ainsi de fermer les vannes de la circulation automobile arrivant dans l’hypercentre par le sud (ce qui n’avait pas encore été fait) et participe à la volonté de revitaliser la rue de Rome. Nettement à Marseille, les espaces traversés par le tramway (cours Belsunce, République et Canebière en tête) sont (ou étaient…) les espaces d’une « économie de bazar » que la stratégie de reconquête territoriale du centre-ville par la puissance publique tente de déloger au profit de l’économie « hight-tech » qui s’installe via l’opération Euroméditerranée322.

Parallèlement à ces approches qui privilégient une analyse spatiale du déploiement contemporain des transports publics, d’autres travaux ont cherché à savoir à qui profitaient

322. Michel Péraldi, 2001, « La métropole déchue (Belsunce breakdown) », in André Donzel, (dir.),

Métropolisation, gouvernance et citoyenneté dans la région urbaine marseillaise, Maisonneuve et Larose, Paris,

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ces investissements publics dédiés au transport en commun. En Ile de France, Sandrine Wenglenski montre que le potentiel d’emploi accessible en transport public, en un temps donné, est nettement supérieur pour les cadres que pour les ouvriers. La géographie des emplois et de l’habitat expliqueraient que les investissements réalisés pour développer un réseau de transport collectif de haute qualité profiteraient avant tout aux cadres ayant les moyens de se loger dans les zones denses bien desservies en transport public323. Dans la région lyonnaise cette fois, David Caubel montre que le fait d’habiter dans des zones aisées offre, outre un taux de motorisation plus élevé, une meilleure accessibilité à un panier d’aménités urbaines324. Ces résultats récents et robustes insistent sur le fait que les investissements publics dédiés au transport en commun tendent à profiter davantage aux classes supérieures ayant les moyens de résider en centre-ville qu’aux classes populaires contraintes de s’éloigner dans des franges urbaines325.

Ainsi, parce que les investissements contemporains en transport public sont toujours massivement concentrés dans les espaces centraux des villes, parce que l’objectif de qualité urbaine associé à ces projets tend à supplanter ceux, plus fonctionnels, liés aux besoins de mobilité des populations urbaines et périurbaines, un certain nombre d’auteurs s’accordent à dire que ces projets prestigieux de transport public accompagnent et renforcent un processus de dualisation urbaine326.

Les politiques dites « d’apaisement » des circulations par l’aménagement des voiries et des espaces publics.

« À Mexico, l’homme le plus riche du monde, Carlos Slim, fait repaver les rues pour qu’elles soient plus conformes au goût des touristes »

David Harvey, 2011, Le capitalisme contre le droit à la ville. Néolibéralisme,

urbanisation, résistances. Paris, Editions Amsterdam, p.30.

On ne fera pas ici le tour de l’ensemble des instruments renvoyant au traitement de la voirie et labellisés en faveur de la mobilité durable qui relèvent de la sémantique du « quartier tranquille », « apaisé », « vert », grâce à la rue « nue » et « partagée »327. En nous appuyant sur la présentation de certains d’entre eux, on voudrait souligner combien ces derniers ne sont pas seulement de vulgaires outils de régulation du trafic ; ils dessinent des paysages urbains et ce faisant, ils renforcent à la fois la légitimité de certains usages et pratiques de l’espace tout autant que la valeur foncière de certains lieux. Ce faisant, ils influencent, de façon plus ou moins déterminante, la sociologie des habitants des lieux.

Le partage de la voirie est souvent présenté comme une sorte de remède miracle pour toutes sortes de maux urbains. Grâce à lui, il s’agit tout à la fois d’opérer une redistribution

323. Sandrine Wenglenski, 2003, Une mesure des disparités sociales d’accessibilité au marché de l’emploi en

Ile-de-France, Thèse de doctorat en urbanisme, aménagement et politiques urbaines, Université de Paris XII,

Institut d’Urbanisme de Paris.

324. David Caubel, 2006, Politique de transports et accès à la ville pour tous ? Une méthode d’évaluation

appliquée à l’agglomération lyonnaise, Thèse de doctorat en sciences économiques, Université de Lyon 2.

325. John Pucher, Christian Lefèvre, 1996, The urban transport crisis in Europe and North America, Macmillan, London.

326. Patrick Frenay, 2005, « Le tram, outil en faveur d’une ville durable ? Réflexions tirées d’une comparaison entre quelques villes moyennes française et alémaniques », TEC n°185, p. 4.

327. Ce travail a par ailleurs été effectué et va faire l’objet de la publication d’un ouvrage en 2013. Hélène Reigner, Thierry Brenac, Frédérique Hernandez, 2013, Nouvelles idéologie urbaines. Dictionnaire critique de la

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de l’espace public moins favorable à l’automobile, de réduire la pollution, de limiter l’insécurité routière, de créer de la « convivialité », de « ré-humaniser » la ville par la réduction (« l’apaisement » dit-on aujourd’hui) de la vitesse, mais aussi de « requalifier » les centres-villes et de « redynamiser » leurs commerces. Avec le partage de la voirie, on gagne sur tous les tableaux : environnemental, social et économique. Il n’est donc pas étonnant que cette généreuse notion soit partagée.

Pourtant, dès lors qu’on s’intéresse aux aménagements physiques qui relèvent de la terminologie du partage de la voirie, la polysémie du terme se matérialise sous la forme de deux types d’aménagements bien distincts. D’une part, on trouve des voiries segmentées selon le principe de ségrégation des voies en fonction du mode de déplacement. D’autre part, certains espaces publics sont conçus pour que tous les usagers circulent conjointement dans le même espace. Une approche historique de ces concepts techniques offre l’intérêt de montrer comment ces pratiques, aujourd’hui peu ou prou mises dans le même panier, renvoient à deux conceptions radicalement distinctes de l’aménagement des voiries de circulation328.

Dans le premier cas de figure, le partage est assuré par l’affectation d’un espace à chacun : le piéton a son trottoir, le cycliste a sa bande cyclable, le tramway ou le bus ont leur voie (ce qui fait d’eux des transports en commun en « site propre »), l’automobile conserve sa voie. Il s’agit d’éviter les conflits d’usage par la ségrégation des modes et des flux. Ce principe peut permettre d’organiser la coexistence des modes sur certains types de voie (typiquement, le « boulevard urbain » contemporain) mais il peut aussi se traduire par des objets tels que la zone piétonne, la piste cyclable ou l’autoroute. Récemment, ce principe de ségrégation des voies en fonction des modes est mobilisé non plus seulement selon les types d’espaces mais aussi dans le temps : les voies sur berge le dimanche, le boulevard réservé au roller le vendredi soir par exemple. Ce principe et les aménagements de voirie qui en découlent sont anciens. C’est dans un contexte de massification de l’automobile que les principes de ségrégation des modes de transport et de hiérarchisation des voies se structurent progressivement lors des Congrès internationaux d'architecture moderne. Ainsi dès 1924, Le Corbusier écrit : « Aujourd'hui, la circulation est inclassée, —dynamite jetée à la

fournée dans les corridors des rues. Le piéton est frappé de mort. Et avec cela, la circulation ne circule plus. Le sacrifice des piétons est stérile329 ». En 1933, dans la Charte d'Athènes, le principe de la ségrégation des modes de circulation est posé : « Il faudra classer et

différencier les moyens de circulation et établir pour chacun d'eux un lit approprié à la nature même des véhicules utilisés » (Article 81). Le Corbusier préconise trois types de voies :

« La première mesure utile serait de séparer radicalement, dans les artères congestionnées, le sort des piétons de celui des véhicules mécaniques. La deuxième, de donner aux poids lourds un lit de circulation particulier. La troisième, d'envisager pour la grande circulation, des voies de transit indépendantes des voies courantes destinées seulement à la petite circulation » (Article 60)330.

328. Dominique Fleury, 1998, Sécurité et urbanisme. La prise en compte de la sécurité routière dans

l'aménagement urbain, Paris, Presses de l'école nationale des ponts et chaussées.

329. Le Corbusier, 1966, Urbanisme. Première édition en 1924. Collection de "l'esprit nouveau", Éditions Vincent, Fréal & Cie, Paris, p.160, cité par Dominique Fleury, 1998, op. cit.

330. Le Corbusier, 1957, La charte d'Athènes. Urbanisme. Une injonction à penser droit, Paris, Éditions de Minuit.

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Ce modèle d’organisation du trafic est contesté dès les années 1970. Des voix s’élèvent contre des politiques urbaines trop axées sur une répartition fonctionnelle de l'espace urbain. La critique du principe de ségrégation des flux est donc en même temps une critique du fonctionnalisme et de l’urbanisme moderne.

Sous l’influence de ces évolutions, la notion de « partage de la voirie » est devenue aujourd’hui beaucoup plus ambivalente : elle désigne aussi bien la ségrégation traditionnelle des modes de déplacement, ou la cohabitation limitée de deux modes sur un même espace (les vélos et les bus par exemple), que la mise en commun de tout l’espace pour tous les modes (on parle dans ce cas d’intégration, par opposition à la ségrégation)331. Le principe d’intégration s’est introduit progressivement en Europe depuis une quarantaine d’années, à travers un ensemble de réalisations et d’expériences, comme l’aménagement des

woonerven332 en Hollande depuis les années 1970, ou le programme « Ville plus sûre,

quartiers sans accidents » en France dans les années 1980 et 1990, par exemple. Un cadre