• Aucun résultat trouvé

La prise en compte des auteurs dans l’adaptation d’un livre

I. Les freins à la numérisation de l‟album

I.2 Le frein lié à la création

I.2.1 La prise en compte des auteurs dans l’adaptation d’un livre

La situation n‟a pas vraiment évolué depuis 1996, quand François Schuiten et Benoît Peeters constataient la place réduite qu‟avaient alors les créateurs dans le monde du multimédia12. Les auteurs de L‟aventure des images déploraient déjà le manque d‟implication des créateurs dans le processus d‟adaptation pluri-médias d‟une œuvre. Selon eux, le changement de support ouvre un nouveau terrain d‟investigation et d‟expérimentation, dont l‟auteur ne peut être écarté. Ils refusent de fait l‟étiquette de « produits dérivés » apposée sur les adaptations, et revendiquent la propriété des choix esthétiques orchestrés lors de telles transpositions. Plus récemment, ce sont de nombreux auteurs de bande-dessinée qui ont rouvert le débat, en se mobilisant pour défendre le droit d‟auteur dans l‟adaptation d‟un livre sur un autre support. L‟ « Appel du numérique », pétition lancée par le Groupement des Auteurs de Bande Dessinée, partie intégrante du Syndicat National des Auteurs et des Compositeurs (SNAC), revendique l‟accord nécessaire des auteurs pour chaque transposition d‟une bande-dessinée en numérique, qui devraient « avoir un bon à tirer à donner, au cas par cas. »13 Selon les signataires, les auteurs sont les principaux oubliés de la numérisation, comme ils l‟expliquent dans le communiqué du SNAC : « La "révolution numérique" du livre de bande dessinée se passe ici et maintenant... dans la confusion, à marche forcée et sans les auteurs. » Marie Sellier, présidente de la Charte des auteurs et illustrateurs Jeunesse, militait elle aussi en novembre 200914 pour la prise en compte des auteurs dans les discussions sur le livre numérique. L‟évolution du modèle économique entraînant de nouveaux aspects législatifs à prendre en compte, la Charte des auteurs et illustrateurs Jeunesse a rajouté trois

12 François Schuiten et Benoît Peeters, L‟aventure des images : de la BD au multimédia, coll. Mutations n°167, Paris : Autrement, octobre 1996, p.167

13 Extrait de l‟ « Appel du numérique », pétition lancée par le SNAC et consultable sur l‟adresse : http://www.syndicatbd.org/pdf/appelnum.pdf

14 Table ronde : Et les créateurs dans tout ça ? Nouveau contexte, nouveau statut, nouvelles formes ? lors du colloque op. cit.

points spécifiques à ses six conseils à respecter pour signer un contrat. Elle recommande ainsi la signature d‟un avenant au contrat initial pour la cession des droits numériques, dont il vaut mieux limiter la cession à trois ans reconductibles, pour pouvoir en adapter les clauses en suivant les évolutions des pratiques et des supports qui accompagnent la révolution numérique. Elle souligne également que le montant des droits d‟auteurs pour la cession numérique doit être le même que celui de l‟édition papier. En pratique, on observe pour l‟instant dans l‟édition un flou juridique, qui conduit les éditeurs à privilégier la signature de contrats séparés pour les nouveaux titres, mais les anciens contrats ne donnent pas toujours lieu à un avenant dans le cas d‟une numérisation.

Au delà de l‟implication des auteurs dans la réflexion sur l‟adaptation plurimédia d‟une œuvre composée de texte et d‟images, un réel besoin de créateurs se fait sentir. Ainsi, les dossiers présentés à la commission numérique du CNL témoignent par exemple de ce manque au niveau de la création : selon François Bon, un tiers seulement des dossiers sont de la création, les autres sont des projets à partir de l‟existant15. Ce frein n‟affecte pas au premier abord la numérisation de romans, car le texte est indépendant du support. Cependant, le texte numérique peut aussi être une création propre, et beaucoup s‟accordent à dire que la révolution numérique va s‟accompagner d‟un nouveau mode d‟écriture. Dans le cas de la fiction, peu d‟auteurs s‟engagent dans l‟écriture d‟histoires interactives. Pourtant, à l‟image de Naomi Alderman, qui a lancé en 2010 le site Internet The Winter House aidée du développeur Jey Biddulph, des auteurs peuvent explorer les propriétés offertes par le multimédia pour inventer de nouveaux parcours de lecture. En effet, The Winter House combine une histoire dont la narration n‟est plus linéaire à l‟interactivité permise par l‟ordinateur. Intervenant lors de la London Book Fair, l‟auteur témoignait : "We're inventing new forms and coming up with new ways to tell stories. If you embrace it, there is something very exciting you can

15 Observation postée par François Bon sur son blog Le tiers livre.

do"16. Amanda Wood, éditrice britannique chez Templar, confirmait qu‟il y a peu d‟intérêt à proposer une copie de livre, selon elle, il faut plutôt créer une nouvelle expérience grâce au numérique. Ce défi est particulièrement intéressant dans le cas de l‟album. La dématérialisation de ce genre littéraire nécessite une transposition, il faut donc des créateurs qui conçoivent un produit numérique en tenant compte de l‟unité de l‟œuvre d‟une part, et d‟autre part de l‟apport de sens lorsqu‟ils exploitent les propriétés offertes par le multimédia.

Ce deuxième point est primordial afin de ne pas dénaturer le livre pour en faire autre chose.

C‟est un risque qu‟a souligné Denis Zwirn lors de notre entrevue. Or, le besoin de créateurs qui à la fois maîtrisent les technologies du multimédia et comprennent le genre littéraire est un besoin commun à la bande-dessinée et à l‟album. Comme nous le soulignions plus haut, les auteurs craignent encore de ne pas être impliqués dans le processus d‟adaptation de leur œuvre. Mais la révolution de l‟ebook va peut-être faire évoluer ce constat. Ainsi, lors de la sortie du premier tome de Lanfeust Odissey en novembre 2009, les éditions Soleil insistaient sur le concept de création de la version numérique de cette bande-dessinée. Leur communiqué de presse précisait :

« Le montage et l‟adaptation ont été directement pilotés par les auteurs eux-mêmes. Ainsi, ce sont Christophe Arleston et Didier Tarquin qui proposent cette autre vision de leur album. »

Cette version est destinée à la lecture sur ordinateur, comme le prouvait le lancement simultané par l‟éditeur de son propre lecteur Flash17, spécifiquement développé pour une lecture agréable de la bande-dessinée sur PC et Mac. L‟implication des auteurs dans le processus de mise en forme de cette œuvre est une stratégie de séduction des lecteurs qui

16 Naomi Alderman, lors de la table ronde « Children‟s Bookfutures » de la London Book Fair en avril 2010.

17 Le communiqué de presse de Lanfeust Odyssey et le lecteur spécifique sont disponibles sur le site http://www.lanfeust-odyssey.com/

seraient méfiants envers la qualité de cette version par rapport à l‟œuvre papier. C‟est aussi une tentative de respect de l‟entité de l‟œuvre.