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I. Les freins à la numérisation de l‟album

I.3 Les freins socioculturels

I.3.4. Le frein de la lecture sur écran

Si la lecture sur écran fait déjà partie intégrante des pratiques de lecture des enfants, elle est souvent oubliée car la navigation sur Internet n‟est pas toujours considérée comme une lecture à part entière. Aussi, la démocratisation du livre numérique réactualise la question du confort et de l‟efficacité de la lecture sur écran. Selon une étude Ipsos31, pour 30% des

30 Dominique Korach, table ronde « Les livres pour enfants à l‟heure du numérique », lors du colloque op. cit.

31 Étude Ipsos publiée en mars 2011 dans la revue Livre Hebdo.

Français, la fatigue due à la lecture sur écran serait le premier frein du livre numérique. Or, nous l‟avons vu grâce à notre questionnaire, pour les parents l‟écran est connoté négativement. Parmi les désavantages du livre numérique qu‟ils évoquent, leur appréhension majeure est liée à la nature de l‟écran ; six parents écrivent qu‟ils craignent la fatigue oculaire ou la difficulté de concentration, et plusieurs trouvent que leurs enfants sont déjà trop souvent en contact avec un écran. Aussi, même si l‟écran élargit aujourd‟hui son champ de référence dans l‟utilisation quotidienne des outils technologiques, les parents émettent des réserves quant à la mise en présence trop fréquente de l‟enfant avec la télévision ou avec un téléphone portable. La difficulté de concentration est d‟autant plus grande lors de la lecture sur un support connecté à Internet. Nicholas Carr rend compte dans son livre The Shallows de la façon dont l‟ordinateur modifie notre cerveau et nos perceptions.

« Un livre, en tant qu‟objet technique, concentre notre attention, nous isole de la myriade de distractions qui emplissent notre vie au quotidien. Un ordinateur relié à un réseau a le résultat exactement inverse. »

Nicholas Carr, citation extraite d‟un article du magazine Books, juin 2011.

Concernant l‟album numérique, il faudrait donc que l‟offre séduise les parents, afin qu‟ils y voient une plus value par rapport aux autres activités qui placent l‟enfant face à un écran. D‟autre part, la fiction nécessite des compétences en lecture longue, ce que n‟aide pas la fatigue liée à la lecture sur écran qui demande, selon le psychologue Thierry Bacino, « un surcroît de travail au cerveau et même un fonctionnement différent. »32

Une des solutions à envisager pour aider à une lecture soutenue à l‟écran est la reproduction d‟une stratégie de maintien d‟éveil. Conscients de cette difficulté de lecture longue sur un petit écran de console, les créateurs des Flips books ont développés une stratégie

32 Thierry Bacino, interview sur France Info, 03/09/2009

pour stimuler l‟intérêt du lecteur et maintenir son attention. Permettant aux préadolescents de lire sur la console Nintendo DS leurs auteurs favoris ou des classiques libres de droits, les logiciels Flips books ont étés commercialisés en Angleterre à la rentrée 2009, et début 2010 en France. Ainsi, l‟enfant est informé qu‟il débloquera des bonus (mini-jeux, images…) en finissant chaque chapitre, ce qui l‟incite à prolonger sa lecture. Ce système révèle néanmoins un certain nombre de dangers. L‟enfant détenteur de la console est habitué aux jeux vidéo dont la logique est de gagner, en débloquant des niveaux et de nouvelles fonctionnalités au fil du jeu. Dans le cas d‟une lecture, cette offre de challenge peut conduire l‟enfant à accélérer celle-ci selon deux figures de cas. Dans un premier temps, un enfant seulement intéressé par le jeu pourra accélérer consciemment l‟affichage du livre : il pourra faire défiler les pages de textes seulement pour atteindre les bonus. Cette facette peut avoir un aspect positif si elle contribue à attirer vers le livre un enfant plus adepte du jeu, mais cela suffira-t-il à lui faire lire l‟histoire ? Dans un deuxième cas, un enfant attiré par le livre et attentif à la fiction pourra être entrainé par ce challenge, et inconsciemment accélérer son rythme normal de lecture afin d‟atteindre la fin du chapitre, au détriment de l‟attention portée à la fiction et de l‟application portée à la lecture.

En second lieu, l‟écriture hypertextuelle pourrait être une des réponses à ce problème.

Proposer à l‟enfant une lecture participative semble effectivement une stratégie de maintien d‟éveil efficace. Les recherches dans le secteur du livre numérique se concentrent dans cette direction, après avoir constaté l‟efficacité des échanges sur Internet, que ce soit sur les réseaux participatifs ou dans des activités plus littéraires, par exemple l‟écriture collaborative.

Les blogs animés par des auteurs qui y recueillent l‟avis de leur lectorat en est un parfait exemple, le succès de ces tentatives résultant du fait que les auteurs tiennent réellement compte du feedback des lecteurs. Ce procédé est d‟autant plus intéressant dans un processus d‟écriture collaborative. Internet permet ainsi à des auteurs de publier un chapitre de leur

histoire, et d‟attendre les propositions des internautes pour écrire la suite de l‟aventure. Le succès des fan-fictions sur Internet montre que les jeunes ont particulièrement à cœur l‟avenir de leurs héros, ce qui explique l‟attrait du mode d‟écriture collaboratif sur cette génération. Le site à but non-lucratif Clicsouris est un exemple innovant dans ce domaine. La rubrique

« machine à histoires » propose aux enfants un réel apprentissage de la lecture à l‟écran, en leur offrant plusieurs histoires réalisées grâce à la contribution d‟auteurs et d‟enfants. Dans le cadre du numérique, les fictions hypertextuelles permettant au lecteur de choisir son parcours de lecture sont donc une piste à explorer. Ce nouveau genre est un renouvellement de l‟expérience des Livres dont vous êtes le héros. Monique Dejaifve, responsable du secteur jeunesse de Casterman, confiait à Livre Hebdo33 qu‟elle travaillait avec l‟auteur Sophie Dieuaide à la création d‟une œuvre de ce genre. Selon elle, « il faut trouver une forme pertinente, adaptée à une lecture séquencée, qui soit complémentaire du livre, et donc imaginer d‟autres formes d‟écriture. »34 Enfin, comme le faisait remarquer Dominique Korach35, les livres numériques améliorés soulèvent des interrogations quant à l‟appropriation sur le long terme. Or, si le choix de la police est déterminant pour le confort de lecture, il serait possible qu‟il soit également essentiel pour faciliter cette appropriation dans le temps.

Une étude démontre que la mise en page dynamique d‟un texte peut aider à sa mémorisation.

L‟animation du texte – mise en valeur d‟un mot à sa lecture à voix haute, jeux graphiques – que permet la plupart des livres numériques pour enfants pourrait dans ce cas se révéler un atout pour l‟appropriation de l‟histoire par l‟enfant. Enfin, la technologie évoluant à grande vitesse, la fatigue due aux écrans s‟amenuisera peut-être avec le développement d‟écrans sans rétro-éclairage. Mais en attendant, des pauses régulières sont un réflexe à inculquer aux enfants, quelle que soit leur activité devant un écran.

33 Voir l‟article « Numérique : "Les éditeurs sont en cuisine" », Livre Hebdo n°813, Vendredi 19 mars 2010

34 Ibidem.

35 Ibid.