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Prise en charge thérapeutique de la surcharge en fer

2. Intérêts de la chélation en fer dans les hémopathies malignes

2.2. Prise en charge thérapeutique de la surcharge en fer

Avant la mise sur le marché de chélateurs admnistrables par voie orale, le DFX et le deferiprone, le seul chélateur de fer disponible était le DFO. Du fait de l’obligation de son administration parentérale et de sa demi-vie très courte, ce chélateur n’était essentiellement utilisé que dans les pathologies où la surcharge en fer était évidente, c'est-à- dire les thalassémies et les anémies réfractaires congénitales. Dans ces pathologies, la surcharge en fer est due au défaut de productivité de la moelle osseuse requérant une augmentation d’absorption du fer intestinal et surtout aux transfusions de globules rouges répétées pour corriger l’anémie. Les effets délétères de la surcharge en fer se voient essentiellement au niveau du coeur, l’insuffisance cardiaque étant la principale cause de décès dans les béta-thalassémies sévères513. Dans une étude publiée dans le New England Journal of Medicine en 1994, l’administration de DFO et une ferritinémie inférieure à 2500 ng/mL était clairement associée à une meilleure survie (100% à 10 ans et 91% à 15 ans) malgré la poursuite des transfusions sanguines514. Les analyses rétrospectives faites dans ces pathologies sont aisées car il existe un recul de quasiment 20 ans pour l’administration des chélateurs de fer qui font partie du traitement standard. De plus, ces études ne semblent pas affectées par un biais de recrutement car elles peuvent facilement comparer les patients ayant reçu des chélateurs de fer avec ceux qui n’ont pas pu les recevoir du fait principalement d’une intolérance. Dans les MDS et a fortiori dans les LAM, il en est tout autre. D’une part, la question des chélateurs se pose depuis beaucoup moins longtemps, ce qui pénalise la réalisation d’études rétrospectives. D’autre part, les études sont soumises à de nombreux biais du fait d’une grande hétérogénéité de la pathologie et d’une non- standardisation d’administration des chélateurs (proposés aux patients ayant eu plus de transfusions ou ayant des marqueurs de gravité ou traités dans un centre habitué à cette prescription en fonction de la ferritinémie…)515.

La surcharge en fer dans les MDS est un problème reconnu par tous les médecins qui prennent en charge ces patients mais il n’existe pas vraiment de consensus pour la prévenir et/ou la traiter. Un certain nombre de groupes de cliniciens ont publié récemment leurs recommandations et il persiste une hétérogénéité de prescription des chélateurs de fer.

151 Pour initier le traitement par chélateurs, ces groupes se basent sur les antécédents transfusionnels mais ne sont pas d’accord sur le nombre de transfusion au-delà duquel le patient doit être traité (>20 concentrés globulaires, >25, > 50, plus de deux concentrés globulaires pendant au moins un an ou aucun seuil requis). De même lorsqu’ils prennent en compte la ferritinémie pour débuter la chélation : le taux de ferritine sérique minimal varie de 1000 à 2500 ng/mL selon le groupe de recommandations516-519.

Il faut d’ailleurs noter que la plupart des études se basent sur la ferritinémie pour évaluer la surcharge en fer, ce qui ne semble pas être le meilleur marqueur. En effet, la ferritinémie ne reflète pas vraiment l’état des stocks de fer car la ferritine est une protéine de la phase aigüe de l’inflammation. Son augmentation n’est donc pas spécifique. Il semblerait aussi qu’il existe des variations inter-laboratoires pour la mesure de ce paramètre. Le foie et le cœur sont les deux organes pour lesquels leur concentration en fer est directement liée à la sévérité de la pathologie de surcharge. Le « gold standard » pour évaluer la surcharge en fer du foie est la biopsie hépatique. En pratique, ce geste n’est quasiment jamais réalisé chez les patients MDS en raison du risque de saignement et d’infection du fait de leur thrombopénie et de leur neutropénie. L’imagerie par résonance magnétique T2 semble être une bonne technique non-invasive pour évaluer la surcharge en fer cardiaque et hépatique. Quelques études dans les MDS ont utilisé cette technique520,521. Comme observé dans les anémies congénitales, il existe une discordance entre la surcharge en fer dans le foie et dans le cœur. De plus, la surcharge cardiaque en fer semble moins fréquente et moins importante qu’elle n’avait été envisagée. Il demeure toutefois que les patients qui ont reçu plus de 100 concentrés globulaires ont un risque plus important de développer une pathologie cardiaque de surcharge. Dans une étude réalisée chez 12 patients MDS requérant des transfusions régulières, l’imagerie par résonance magnétique a montré la baisse significative de la concentration du fer hépatique après traitement par DFX (List et al. Abstract n°1470, ASH 2007). Les résultats d’une étude prospective à plus grande échelle ont été publiés en 2008 et ont confirmé l’efficacité du DFX pour réduire la surcharge en fer. Malheureusement, il manque toujours une étude prospective établissant un lien entre la surcharge cardiaque en fer et la survie et montrant le bénéfice des chélateurs pour la fonction cardiaque dans ces pathologies. En effet, des dépôts de fer intracardiaque ont bien été observés chez des patients décédés de leucémie aigüe ou d’une autre pathologie avec anémie et ayant recours aux transfusions. De manière indirecte, cette surcharge en fer a été étiquetée comme facteur de risque cardiaque influençant la morbidité et la mortalité dans les MDS. Seulement, il est impossible de savoir si ce n’est pas l’anémie elle-même qui a augmenté le risque cardiaque et si le besoin transfusionnel n’est pas finalement juste le reflet de la sévérité de la MDS515.

Avec toutes les limites que nous leur connaissons, un certain nombre d’études cliniques rétrospectives réalisées chez les patients MDS montrent toutefois que le traitement par chélateurs de fer prolonge la survie. Une étude réalisée par C. Chee n’a pas trouvé de

152 corrélation entre la ferritinémie, le besoin transfusionnel et la survie, mais le suivi des patients était incomplet et les causes de décès pas toujours élucidées522. Malgré cela, il persiste des médecins réfractaires qui ne voient pas l’intérêt d’administrer ces traitements coûteux et pourvoyeurs d’effets secondaires non négligeables (agranulocytose, insuffisance rénale et hépatique pour le DFX) chez des patients dont la médiane de survie est de seulement deux ans, soit une durée beaucoup trop courte pour que les effets délétères de la surcharge en fer sur le cœur doivent être pris en compte. D’une part, cet argument n’est valable que chez les patients MDS de haut grade, dont la survie est effectivement très courte. D’autre part, plusieurs publications montrent que dans les MDS le bénéfice des chélateurs ne vient pas seulement de la réduction du risque cardiaque et d’insuffisance hépatique mais aussi de leurs effets directs sur l’évolution de la pathologie elle-même.