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3. Le ciblage de l’homéostasie du fer en cancérologie

3.1. Le cycle du fer

Le fer est un élément essentiel impliqué dans de nombreux processus biologiques parmi lesquels figurent la synthèse de l’ADN, le transport des électrons ou l’érythropoïèse. Il existe sous deux états d’oxydation, le fer ferreux Fe2+ ou Fe(II) et le fer ferrique Fe3+ ou Fe(III). Sa capacité à passer d’un état à l’autre en donnant ou en acceptant un électron est fondamentale pour toutes les fonctions biologiques auxquelles il participe. Chez l’Homme, 25 à 30% dur fer contenu dans le corps est lié à la ferritine, protéine dédiée au stockage du fer. Quand les besoins cellulaires en fer augmentent, la ferritine relargue le fer qui se lie alors à une protéine de transport sérique, la transferrine.

La présence de fer libre est délétère pour l’organisme en raison de sa capacité à produire des espèces réactives de l’oxygène (ROS) pouvant interagir avec l’ADN, les protéines et les lipides et pouvant donc produire des mutations et des dommages cellulaires. Il faut toutefois noter qu’il existe une certaine confusion entre les « ROS » et le stress oxydatif335. En effet, nos cellules d’organisme aérobie utilise l’oxygène pour produire de l’énergie et cet oxygène sert d’’accepteur final aux électrons produits lors de ce phénomène. La réduction des molécules d’oxygène en eau est catalysée par la cytochrome oxydase, dernière enzyme de la chaine respiratoire mitochondriale. Une petite fraction de cet oxygène échappe à cette réduction, ce qui aboutit à la formation d’anion superoxyde (O2.-) et de peroxyde

d’hydrogène (H2O2). Ces ROS relativement inactifs sont alors pris en charge par d’autres

systèmes enzymatiques spécifiques. Le peroxyde d’hydrogène à faible concentration participe également à diverses voies de signalisation et favorise la prolifération cellulaire336,337. Il arrive malheureusement parfois que ces systèmes enzymatiques soient débordés, l’équilibre redox est rompu et la cellule se retrouve alors en situation de stress oxydatif. L’excès d’H2O2 est particulièrement dangereux en présence de fer puisque, selon la

réaction de Fenton, ces deux éléments vont interagir pour produire des radicaux hydroxyl (.OH) très toxiques.

Fe(II) + H2O2→ Fe(III) + .OH + OH- (Equation de Fenton)

Ainsi, dans l’organisme, le fer est toujours associé à des protéines qui l’empêchent de participer à ces réactions d’oxydo-réduction (redox) pouvant produire des ROS extrêmement réactifs tels que les radicaux hydroxyls. En conséquence de ces réactions, l’excès de fer est clairement identifié comme un facteur de risque de développer un cancer. De nombreuses

57 études ont établi une corrélation entre l’excès de fer stocké dans l’organisme et la survenue de cancers du colon, du foie, du rein, du poumon ou de l’estomac338.

L’absorption du fer a lieu au niveau du duodénum selon deux voies différentes, l’une pour le fer héminique, l’autre pour le fer non héminique339. La capture du fer par les entérocytes nécessite la transformation du Fe(III) en Fe(II) par la ferriréductase Dcytb. Les souris ko pour cette enzyme n’ont pas de défaut d’absorption du fer alimentaire, ce qui suggère l’existence d’une ferriréductase alternative340. Le Fe(II) est ensuite pris en charge par le transporteur DMT1 présent au niveau du pôle apical des entérocytes et introduit dans ces cellules341 (figure 14).

Figure 14 : Transport du fer dans le entérocytes du duodénum (N.C. Andrews, Nature reviews Genetics 2000).

L’entrée du fer dans les entérocytes est régulée au niveau de l’ARN messager par le système IRP1/IRP2, régulateur-clé de l’homéostasie du fer342 (figure 15). Les protéines IRP1 et IRP2 (IRP pour Iron Regulatory Protein) se fixent de manière spécifique à une séquence IRE (Iron Regulatory Element) hautement conservée et présente dans les régions non traduites des ARNm de nombreuses protéines impliquées dans le métabolisme du fer. Lorsque la séquence IRE est située dans la région 3’ de l’ARNm, la fixation des IRP stabilise l’ARNm et augmente sa traduction. En revanche, lorsque la séquence IRE est présente dans la région 5’ de l’ARNm, la fixation des IRP inhibe sa traduction. Les IRP se fixent aux séquences IRE quand

58 la concentration en fer est faible et perdent cette capacité quand la concentration en fer est élevée. L’ARNm de DMT1 comporte une séquence IRE dans sa partie 3’ de telle sorte que lorsque le niveau de fer est trop faible dans les entérocytes, la synthèse de DMT1 s’accroit et la quantité de fer capturée augmente. Il existerait au niveau du pôle apical des entérocytes une protéine capable de capturer le fer héminique343. La relevance physiologique de cette protéine HCP1 (haem carrier protein 1) n’a pas été clairement démontrée, d’autant qu’elle serait capable de transporter également les folates344,345.

Figure 15 : Le système de régulation IRE/IRP (D.R. Richardson et al. Biochimica et Biophysica Acta 2009).

Le fer transporté par DMT1 vient grossir le pool de fer labile intracellulaire résultant de l’équilibre redox entre le Fe(II) et le Fe(III) où le fer serait lié à différents ligands de bas poids moléculaire, à des molécules chaperonnes ou à des organelles. La nature exacte du pool de fer labile demeure inconnue346. Le fer en est libéré lorsqu’il est exporté dans la circulation sanguine grâce à la ferroportine, transporteur présent au niveau de la membrane baso- latérale des entérocytes347. Un autre transporteur, l’héphaestine, participe également à l’export sanguin du fer348. La ferroportine est aussi exprimée sur la membrane des macrophages hépatiques impliqués dans le recyclage du fer lors de l’érythrophagocytose. Le passage du fer dans la circulation est régulé via le contrôle de l’expression de la ferroportine

59 par deux mécanismes. D’une part, l’ARNm de la ferroportine contient une séquence IRE dans sa partie 5’. Quand les entérocytes manquent de fer, les IRP se fixent à cette séquence IRE, la traduction de la ferroportine est interrompue et le fer n’est pas relargué. Quand les entérocytes contiennent suffisamment de fer, les IRP se détachent de l’IRE, la synthèse de ferroportine reprend et le fer peut être exporté349. D’autre part, la ferroportine subit le contrôle de l’hepcidine. L’hepcidine est une hormone majeure dans l’homéostasie du fer de découverte assez récente347. Ce peptide est synthétisé essentiellement par le foie sous deux formes prédominantes de 20 ou 25 acides aminés. Après sécrétion par le foie, l’hepcidine gagne le pôle baso-latéral des entérocytes et provoque l’internalisation et la dégradation de la ferroportine. La sécrétion de l’hepcidine est augmentée quand le fer sérique est trop élevé et entraîne donc la diminution d’expression de la ferroportine qui empêche l’export du fer. L’hepcidine régule l’export du fer par les macrophages et les hépatocytes par le même mécanisme350,351.

L'hémojuvéline (HJV) est une protéine qui joue un rôle majeur dans le contrôle de l'expression de l'hepcidine et donc dans le maintien de l'homéostasie du fer par l'impact que l'hepcidine exerce sur le contrôle de la biodisponibilité plasmatique du fer. Exprimée sur la membrane de l'hépatocyte, elle joue le rôle de corécepteur des bone morphogenetic proteins (BMP) et participe ainsi à la transmission du signal né de l'interaction entre les BMP et leurs récepteurs352,353. Cela entraîne une expression de l'hepcidine par les hépatocytes au travers de la voie de transduction du signal BMP/SMAD et des BMP-responsive éléments localisés dans le promoteur du gène codant l'hepcidine (figure 16). Une forme soluble de l'HJV, produite par les hépatocytes mais aussi par le muscle strié, second site d'expression de l'HJV, pourrait moduler l'efficacité biologique de la forme membranaire, par compétition avec le récepteur aux BMP.

60 Figure 16 : Régulation de l’expression de l’hepcidine par les BMP (C. Camaschella, Nature Genetics 2009).

Dans la circulation sanguine, le fer est instantanément pris en charge par la transferrine pour éviter la production de ROS par le fer libre. La transferrine (Tf) est une glycoprotéine sérique comportant deux sites de haute affinité pour la fixation du fer354. La liaison de la ferro- transferrine au récepteur de la transferrine de type 1 (TfR1 ou TfR) est la première étape de capture du fer par toutes les cellules de l’organisme (figure 17). Le TfR est en effet une glycoprotéine transmembranaire exprimée de façon ubiquitaire par toutes les cellules nucléées. Après l’étape de fixation, le complexe ferro-transferrine/TfR est internalisé. Dans les endosomes, l’acidification par une pompe à protons entraine le relargage par la Tf des ions Fe(III) qui sont réduits en Fe(II) par une ferriréductase appelée steap3 (six transmembrane epithelial antigen of the prostate 3)355. Grâce au transporteur DMT1, le Fe(II) passe dans le cytoplasme où il rejoint le pool de fer labile. Il peut alors être soit stocké par liaison à la ferritine, soit consommé. Une étape d’exocytose permet le recyclage du TfR à la membrane et la libération de l’apo-transferrine prête à prendre en charge à nouveau du fer. En plus de lier la transferrine, le TfR peut lier les immunoglobulines de classe A (IgA) et son interaction avec les IgA polymériques modulerait la sensibilité des érythroblastes à l’Epo dans des situations physiologiques et pathologiques (travail de thèse de S. Coulon, ANNEXE 3).

61 Figure 17 : Le cycle de la transferrine (N.C. Andrews, Nature Reviews Genetics, 2000).

La capture du fer est régulée par le niveau d’expression cellulaire du TfR soumise au contrôle du système IRE/IRP. Les ARNm du TfR comportent une séquence IRE à leur extrémité 3’ et sont donc stabilisés quand les cellules sont déficientes en fer. De plus, la fixation de la protéine HFE sur le TfR provoque un encombrement stérique empêchant la fixation de la ferro-transferrine. Les mutations qui touchent HFE sont responsables de l’hémochromatose, maladie de surcharge en fer356,357. Un autre récepteur de la transferrine a été décrit il y a une dizaine d’années, le TfR2358. Ses fonctions n’ont pas toutes été élucidées mais son rôle dans l’homéostasie du fer semble crucial : les souris ko pour le TfR2 ont une surcharge en fer et des mutations de TfR2 ont été identifiées dans une forme d’hémochromatose359,360.