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Le métabolisme du fer dans les cellules cancéreuses

3. Le ciblage de l’homéostasie du fer en cancérologie

3.2. Le métabolisme du fer dans les cellules cancéreuses

L’anomalie touchant le métabolisme du fer la plus connue dans les cellules cancéreuses est la surexpression du TfR1361. Dès les années 1980, les travaux utilisant des anticorps bloquant le TfR1 ont montré un ralentissement de la croissance tumorale et ont permis de faire le lien entre cette surexpression et la prolifération accrue des cellules cancéreuses362-364. Par la

62 suite, d’autres études ont mis en évidence le rôle indispensable du fer pour la synthèse de l’ADN et la surexpression du TfR est apparue comme le reflet logique de l’index mitotique élevé propre aux cellules tumorales365. L’expression du TfR est indispensable pour la capture du fer. D’ailleurs, chez la souris, le ko du TfR est létal au stade embryonnaire par défaut de développement neurologique et absence d’érythropoïèse366. Il semble pourtant que les cellules tumorales ont la capacité de capturer la ferro-transferrine sans passer par le TfR. Des expériences de saturation du TfR1 sur les cellules de mélanome et d’hépatome ont permis d’intensifier ce mécanisme qui correspond en fait à une pinocytose367-369.

L’expression du TfR1 est normalement régulée par le système IRE/IRP déjà décrit. Il est intéressant de noter que le proto-oncogène c-Myc est capable d’augmenter l’expression du TfR1, mais aussi de DMT1 et d’IRP2 et de diminuer celle de la chaine lourde de la ferritine. L’expression de c-Myc est elle-même dérégulée dans de nombreuses tumeurs et peut donc tout à fait contribuer à un dérèglement de l’homéostasie du fer favorisant la tumorigénèse370. D’autres études ont montré une association entre la progression des cancers colorectaux et l’augmentation de l’expression des protéines nécessaires à la capture du fer tels que le TfR, DMT1 et Dcytb tandis que les protéines vouées à l’export du fer, la ferroportine et l’hephaestine sont moins exprimées371. De plus, l’expression forcée du TfR1 dans les cellules tumorales leur confère un avantage prolifératif alors que son extinction diminue la prolifération cellulaire et altère l’expression de gènes impliqués dans le contrôle du cycle cellulaire tel que GADD45370. Très récemment, une étude a montré que dans le cancer du sein, l’expression du TfR est un marqueur de mauvais pronostic et peut prédire la résistance au tamoxifène372. L’ensemble de ces observations a fait du TfR1 une cible thérapeutique très attractive sous réserve d’une certaine non-spécificité et donc d’une toxicité certaine pour toutes les cellules en division. Nous reviendrons par la suite sur les nombreuses études utilisant cette approche thérapeutique.

De nombreuses lignées et cellules tumorales expriment le TfR2. La transfection des cellules CHO (Chinese hamster ovary) avec le TfR2 les rend moins sensibles aux effets antiprolifératifs de la deferoxamine, un chélateur de fer. En outre, les tumeurs exprimant le TfR1 et TfR2 ont une croissance plus importante chez la souris nude que les tumeurs n’exprimant que le TfR1. Ce récepteur constitue donc pour les cellules tumorales un moyen supplémentaire de capturer le fer et leur confère un avantage prolifératif373. Dans le même ordre d’idée, Les cellules de mélanome expriment la mélanotransferrine, capable de se lier au fer exactement comme le fait la transferrine. Cette molécule est impliquée dans la prolifération, la migration et l’invasion des cellules mélanomateuses in vitro et dans la croissance tumorale in vivo374.

La ferritine subit également des modifications dans les cellules cancéreuses. Dans les neuroblastomes, le taux de ferritine sérique est élevé dans les stades III et IV mais pas dans les stades I et II. Ainsi, on utilise ce taux comme un facteur pronostique, un taux élevé étant

63 associé à un mauvais pronostic375. Dans de nombreuses autres tumeurs, le taux de ferritine sérique est élevé alors même que le stockage du fer n’est pas augmenté376,377. Deux équipes, l’une travaillant sur une lignée leucémique, l’autre sur une lignée de cancer du poumon, ont rapporté que ces cellules tumorales secrétaient une molécule immunologiquement proche de la ferritine. Le traitement des cellules par un anticorps anti-ferritine a inhibé la croissance cellulaire indiquant clairement que cette molécule est en fait un facteur de croissance autocrine378,379. D’autres études ont mis en évidence l’expression de site de fixation de la ferritine par plusieurs types de tumeurs et la possibilité de capturer la ferro-ferritine par endocytose avec le récepteur380. Le rôle de la ferritine secrétée comme facteur de croissance tumoral reste toutefois encore à démontrer.

Un des rôles majeurs du fer dans les cellules normales et a fortiori dans les cellules tumorales hautement prolifératives est son implication essentielle dans la synthèse de l’ADN. L’enzyme clé de la synthèse de l’ADN est la ribonucléotide réductase (RR), constituée de 2 sous-unités, R1 et R2. Le site actif de l’enzyme se situe sur la sous-unité R1 mais une série d’interactions entre les résidus cystéines de R1 et les radicaux tyrosyl de R2 sont nécessaires à son activité catalytique. Le fer se lie à R2 et, en réagissant avec l’oxygène, permet la transformation des résidus tyrosine de R2 en radicaux tyrosyl et leur transfert à la sous-unité R1 et est donc indispensable à l’activation de l’enzyme365. Une autre sous-unité R2 a été décrite, la p53R2. La RR utilisant cette sous-unité spécifique est activée en réponse à p53 pour réparer les dommages de l’ADN381. Les cellules mutées pour p53 peuvent néanmoins exprimer cette sous-unité car elle peut être aussi activée par les analogues de p53 tel que p73. Ainsi, l’inhibition de la RR se traduit par l’arrêt de la synthèse d’ADN et de la prolifération cellulaire, et l’inhibition de P53R2, empêche la réparation de l’ADN conduisant à un arrêt du cycle cellulaire et à l’apoptose382. L’activité de ces deux enzymes est augmentée dans les cellules tumorales, et toutes deux ont besoin de fer pour être activées. Le fer est aussi impliqué dans la progression dans le cycle cellulaire en modulant l’expression de plusieurs molécules du contrôle du cycle. La privation en fer modifie ainsi l’expression de p53, de GADD45, des cyclines D1, D2 et D3, de P21 et de CDK2383. L’effet de la privation en fer sur p21 est assez paradoxal puisqu’elle augmente le taux d’ARNm mais diminue l’expression de la protéine. Le promoteur de p21 comporterait des séquences régulatrices sensibles aux réactions redox expliquant l’augmentation du transcrit, mais la privation en fer séquestrerait les ARNm dans le noyau et provoquerait leur dégradation au niveau du protéasome expliquant la diminution de la protéine384. Il en découle l’arrêt du cycle cellulaire à la transition G1/S et l’induction de l’apoptose. L’ensemble de ces informations indique que le ciblage du métabolisme du fer est une approche thérapeutique anti-tumorale qui mérite d’être développée.

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