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PARTIE I COMPRENDRE LES ÉMOTIONS DANS LES CONFLITS

Chapitre 1 La microsociologie des émotions

3. La prise en charge des émotions dans les conflits

Les routines quotidiennes sont des systèmes d’attentes qui permettent de rendre le monde prévisible. Le décalage entre une situation et des attentes engendre alors une rupture qui produit une émotion, celle-ci enclenche un processus de révision. De plus, la révision a lieu en situation d’incertitude : comment interpréter l’émotion ? Évaluer sa cause ? Quelles sont les attentes en jeu ? L’émotion est là pour motiver et orienter la résolution de ce processus de révision. La confiance permet de réduire la complexité sociale et facilite la révision en permettant d’attribuer du sens à la situation. Ce portrait décrit avec précision le passage à l’action, mais encore très peu les caractéristiques de celle-ci en situation de conflit.

Pour compléter le processus de révision, il manque encore deux briques logiques. Premièrement, si les émotions sont une motivation pour agir, elles n’en sont pas la raison profonde. Nous avons décrit les attentes et les préférences comme raisons, mais celles-ci sont facilement révisables : par exemple, s’il suffisait d’anticiper que l’éleveur épande son lisier le jeudi et que celui-ci sent la rose (certains éleveurs ajoutent un additif odorant au lisier), les conflits seraient beaucoup moins nombreux et moins virulents. Si la révision persiste, c’est parce que certaines attentes sont profondément ancrées et difficilement révisables. Les émotions les plus fortes révèlent cet ancrage profond et persistant que nous qualifions de valeur. Elles indiquent à l’acteur (et aux chercheurs qui les étudient) ce qui est important et les raisons de lutter.

Deuxièmement, la résolution de la révision émotionnelle nécessite l’implication d’acteurs institutionnels pour restaurer la confiance et stabiliser une interprétation à la situation : c’est ce qu’on appellera la « prise en charge ». Celle-ci se réalise sur au moins deux plans, à savoir dans la reconnaissance des émotions et des valeurs en conflits ; puis dans la redistribution des usages concurrents de l’espace (détaillé au Chapitre 2). Cette section entreprend alors de démontrer en quoi les émotions permettent de révéler les valeurs, le rôle que peuvent jouer les institutions et la nécessaire prise en charge pour résoudre le conflit.

3.1 Les émotions comme révélateurs de valeurs

En quoi ressentir des émotions mène-t-il à prendre conscience de valeurs ? Comment passe-t-on de l’un à l’autre ? Et puis, qu’est-ce qu’une valeur ? Il faut alors distinguer le concept de valeur tel que nous l’employons ici de son interprétation du sens commun et même de certaines théories sociales qui compliquent son utilisation. Une valeur peut se résumer à l’expression « ce à quoi nous tenons ». Ce sont des objets et des principes importants pour guider l’action. Dans notre approche, la valeur n’est pas un principe transcendantal qui existe en dehors du monde, elle n’est pas universelle, comme chez P. Livet (2002)1, J. Habermas (1984) ou encore R. Inglehart (1977). Nous suivons plutôt

l’interprétation proposée par J. Dewey (2011) : les valeurs sont immanentes de l’expérience, comme le résultat d’un acte d’évaluation, l’appréciation d’une situation, d’un objet ou d’une personne.

1 Nous avons beaucoup emprunté à P. Livet pour la construction du cadre théorique sur les émotions, mais nos chemins

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Il existe trois manières d’attribuer une valeur : soit par la mesure (le prix, la notation), par l’attachement (attitude à porter une attention, à prendre soin, à entretenir – le care) ou par jugement (attribuer une qualité) (Heinich, 2017). Dès lors, la valeur ne peut se penser qu’en relation aux mondes sociaux, de manière contextuelle, et non pas envers un monde métaphysique. C’est une activité quotidienne et somme toute banale que d’exprimer des valeurs, mais dans une situation où les routines sont bloquées, que nos préférences par défaut ne suffisent plus et que l’incertitude est grande, la formulation de valeurs est plus complexe. De la même manière, « plus est problématique une situation et plus est complète l'enquête dans laquelle il faut s'engager, plus explicite devient la phase de valuation » (Bidet et al., 2011 : 28).

On peut alors dire que les émotions mènent aux valeurs par un processus de montée en généralité : la rupture d’une routine entraine une émotion (le signal d’une dissonance), qui pousse à faire un

choix : pour restaurer ma routine, vaut-il mieux changer la situation ou changer mes attentes ? C’est

ainsi que se révèle ce qui est important pour l’individu, ses valeurs, car s’engager dans le processus de révision nécessite d’enquêter (au sens de J. Dewey) pour résoudre la tension. En effet, les valeurs ne sont pas directement accessibles, car trop abstraites, mais peuvent être représentées comme des préférences et des attentes sédimentées dans des routines quotidiennes. Une valeur se construit par l’accumulation de choix ancrés dans l’individu qui lui permettent d’être cohérent et d’agir en société. De cette manière, on suppose que les individus ont des compétences critiques qui leur permettent d’être réflexifs, car aucune valeur n’est à l’abri de la révision. Cela explique que c’est uniquement lorsque les routines sont rompues qu’il est nécessaire d’enquêter sur les valeurs.

Prenons un exemple fictif : depuis plusieurs années, Georges vit dans une maison qu’il a rénovée en face d’un ruisseau. Tous les matins il prend son petit déjeuner en l’observant et il y pêche régulièrement. Un jour, il découvre qu’un déversement accidentel de lisier a eu lieu, polluant le cours d’eau et empoisonnant des milliers de poissons. Il ne sait pas encore tout à fait pourquoi, mais ça le met en colère et il parle de ce scandale autour de lui, à ses voisins, ses amis et à qui veut bien l’entendre. D’un côté, si ce cours d’eau est important pour lui parce qu’il le trouve beau (valeur esthétique) ou encore parce qu’il lui permet de pêcher (valeur fonctionnelle), il s’engagera dans l’action pour changer la situation, ses valeurs résisteront à l’état du monde. Il ne le sait peut-être pas encore, mais en se mobilisant il découvre que l’environnement était important pour lui (les valeurs ne préexistent pas nécessairement à la situation). De même, il ne sait pas exactement où ses valeurs peuvent le conduire, jusqu’où il sera prêt à lutter pour les défendre. De l’autre côté, rester passif implique pour Georges que la pollution de l’eau ou la pêche ne sont pas si importantes pour lui. Ou encore, la situation peut lui sembler hors de son champ d’action, hors de sa responsabilité (l’État se chargera de nettoyer). Cela démontre aussi que réviser ses attentes, s’engager dans l’action et enquêter sur ses valeurs a un coût (symbolique, en temps, énergie, financier), ce qui pèse aussi dans le processus de révision.

Dans cette perspective, la valeur a donc trois sens en tant que grandeur (ce que valent les choses et leur hiérarchie), en tant qu’objet (comme conception du désirable) et en tant que principe (au nom de quoi l’on valorise) (Heinich, 2017). Évaluer la valeur suppose alors de prendre en compte ces différentes composantes, mais il est important de retenir qu’elles agissent comme une prescription à l’action. Par exemple, si le cours d’eau est important pour Georges parce qu’en tant qu’élu local il juge que c’est son devoir de protéger l’intérêt général (et que l’environnement en fait partie), il se

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sentira contraint à agir. Les valeurs possèdent alors une dimension normative, mais uniquement dans la mesure où elles sont suffisamment ancrées chez l’individu.

Par contre, les valeurs étant contextuelles, comment s’assurer qu’elles sont bien désirables et partagées ? Ainsi, le partage social des valeurs est tout aussi important que le partage des émotions, car « partager les émotions […] c'est les transformer en valeurs socialement reconnues et résistantes à un destin contraire » (Livet, 2002 :135). Dans une dynamique de conflit, on constate alors que « chaque groupe résiste aux valeurs de l’autre en partageant ses propres émotions entre ses membres, et chacun est empiriquement constitué de telle manière qu’il ne peut partager les émotions de l’autre » (Ibid. : 193). Dès lors, si les autres résistent comme moi à une situation, c’est bien le signe que nous partageons les mêmes émotions et les mêmes valeurs. Les institutions ne sont pas étrangères à ce processus dans la mesure où elles portent des valeurs en reconnaissant des grandeurs (la monnaie ou les diplômes par exemples), qu’elles portent des conceptions du désirable (la mobilité sociale) et des principes (l’égalité). Nous allons voir le rôle qu’elles jouent en reconnaissant (ou pas) les valeurs des différents groupes sociaux.

Finalement, les valeurs se révèlent parce que l’émotion questionne nos préférences les plus ancrées. Pour le chercheur, analyser les valeurs suppose de prendre en compte les caractéristiques que nous venons de détailler. Celles-ci sont résumées dans la Figure 6. Ces précisions sont essentielles pour se détacher des autres sens qu’on pourrait accorder à ce concept. Or, si nous avons mis beaucoup d’emphase sur la dimension relationnelle des valeurs, nous allons aussi montrer qu’elles peuvent être portées par des institutions qui leur donnent une dimension « objective ». En ce sens, les institutions permettent de faire vivre les valeurs au-delà des contextes et des individus. Nous allons démontrer cette proposition dans les pages suivantes.

Figure 6 : Les caractéristiques des valeurs

Les valeurs sont :

o contextuelles et relationnelles, non pas métaphysiques et universelles

o attribuées de manière quotidienne par la mesure, l'attachement ou le jugement o des préférences et des attentes ancrées dans l’individu

o comprises selon trois sens : grandeur, objet, principe o évaluatives et prescriptives

Source : figure réalisée par l’auteur

3.2 La place des institutions

Le concept d’institution, comme celui de valeur, renvoie à une importante littérature dont il est nécessaire d’en distinguer les grands traits. Commençons par les réflexions sur l’origine des institutions telles que décrites par P. Berger et T. Luckmann (1966) : si deux personnes, une femme et un homme, étaient perdus sur une île sauvage et complètement déserte, inévitablement ils construiraient de nouvelles manières de vivre, se répartiraient des rôles et ils élaboreraient de nouvelles routines. Ainsi, ils ont fondé des institutions, c’est-à-dire des schémas routinisés permettant

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d’agir de manière coordonnée. Le jour où ces personnes ont un enfant, l’état du monde sur l’île lui sera donné et les institutions lui apparaitront comme un fait objectivé, l’état naturel du monde. Les institutions sont donc le résultat de situations routinières objectivées et externalisées par le langage, puis internalisées par les nouveaux membres au cours de la socialisation. Elles sont essentielles à toute vie sociale dans la mesure où elles apportent des solutions permanentes aux problèmes permanents d’une collectivité.

Elles sont légitimées par la manière dont elles sont expliquées et justifiées aux nouvelles générations afin de maintenir un sens cohérent et commun entre les situations. Les institutions sont alors un réservoir de connaissance sur les situations, dont l’enjeu est de se prémunir contre la tentation des nouveaux membres de les redéfinir. Dévier de l’ordre institutionnel (des normes dirons-nous) apparait alors comme s’écarter de la réalité. Les rôles qu’endossent les individus permettent alors de reproduire les institutions dans la mesure où « les rôles sont le médiateur entre un secteur spécifique du réservoir commun de connaissances […] compris comme normes, valeurs et mêmes émotions » (Ibid. : 94). La distribution sociale des rôles correspond alors à la distribution des connaissances et à la division du travail. Selon P. Berger et T. Luckmann, les conflits sociaux sont donc des conflits entre écoles de pensée, chacun tentant d’imposer son interprétation de la situation sur les autres.

Cette position sur les institutions recoupe certaines définitions déjà très utilisées en sciences sociales. La tradition instaurée par E. Durkheim et M. Mauss définit l’institution comme « toutes les formes sociales constituées, précédant les individus et leur résistant » (Dubet, 2007: 1). En sciences politiques, elles sont considérées comme des « mécanismes légitimes de construction du pouvoir et de la prise de décision » (Ibid. : 1). Ce qui les distingue des organisations serait la dimension symbolique des institutions, soit les valeurs qu’elles portent (comme l’intérêt général). Alors que pour F. Dubet, elles sont un ensemble de « mécanismes relationnels chargés d’instituer les individus et de produire un type socialement déterminé de subjectivité et de sujet. » (Ibid. : 2). Pour N. Heinich (2017) ou pour L. Boltanski (1990) le rôle des institutions est d’établir des conventions qui permettent d’évaluer la qualité des choses et des personnes.

Il existe encore un champ très large de définitions, insistant sur les dimensions processuelles, matérielles, normatives ou encore juridiques, prenant une perspective par le haut ou par le bas, déterministe ou pragmatique, ou encore considérant les institutions comme toutes puissantes ou en déclin (Tournay, 2011). Sans prétendre trancher une définition de l’institution, nous lui accorderons certaines caractéristiques qui seront affinées au fil de l’analyse : a) une forme historiquement ancrée et socialement construite; b) un ensemble de normes et de rôles qui cadre les interactions (régulation), qui assure la coordination de l’action et stabilise les pratiques (routine); et c) un ensemble de valeurs en tant qu’elle hiérarchise des grandeurs, porte des conceptions du désirable et garantie des principes de légitimation. Autrement, on pourrait simplement dire qu’elles offrent les contraintes et les ressources à l’action (Dulong, 2012). Les institutions sont fortement liées à l’État, mais le précèdent historiquement et le débordent empiriquement, bien que l’État régit aujourd’hui une large part de la vie institutionnelle.

Selon ces définitions, les institutions seraient uniquement cognitives : on les construit par nécessité pratique et on y adhère rationnellement, elles bornent l’action par la coercition des corps et des esprits. Or nous l’avons vu, les émotions précédent la cognition, alors quel rôle jouent-elles dans les institutions et inversement ? Premièrement, les émotions jouent un rôle dans l’émergence des

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institutions dans la mesure où la coordination d’actions nécessite le partage d’émotions. Elles permettent aussi de penser le renouvellement des institutions, car l’émotion fournit l’énergie nécessaire à l’action. Deuxièmement, les institutions prescrivent des rôles et des normes qui sont aussi émotionnelles et la gestion de ces contraintes est internalisée (Hochschild, 1979). En effet, les institutions cadrent ce qu’il est possible de faire ou de ressentir dans une situation donnée, limitant ainsi les possibilités mêmes de révision émotionnelle. De manière plus générale, les émotions sont culturellement conditionnées, notamment en ce qui concerne la répression des émotions négatives, comme la colère. Troisièmement, les individus adhèrent aux institutions par les valeurs qu’elles représentent (émotions positives) ou les craignent pour leur puissance (émotions négatives). En dernier lieu, les institutions maintiennent des repères et un sens commun aux situations (la confiance) et préservent donc les individus des tumultes de l’incertitude. On peut alors résumer ainsi les relations qu’entretiennent émotions et institutions : « en première instance, les hommes sont mus par leurs passions, en dernière analyse leurs passions sont largement déterminées par les structures ; ils sont mus le plus souvent dans une direction qui reproduit les structures, mais parfois dans une autre qui les renverse pour créer de nouvelles » (Lordon, 2013 :11).

Dans ces pages, nous avons réalisé une revue non-exhaustive sur le concept d’institution, prenant parfois des postures contradictoires. La Figure 7 reprend ces éléments selon les dimensions cognitives et émotionnelles. Sans vouloir reproduire la dichotomie entre ces deux aspects de la vie sociale (le premier postulat pernicieux), cette synthèse nous permet de mieux saisir la pluralité des approches sur les institutions. Nous démontrerons que ces différentes caractéristiques sont une partie intégrante du fonctionnement des institutions et qu’il sera difficile d’en isoler une ou deux. Les prochaines pages montreront par quels mécanismes les institutions influencent le déroulement des conflits, notamment avec le concept de prise en charge.

Figure 7 : Les dimensions des institutions

Courants de pensée Dimension cognitive Courants de pensée Dimension émotionnelle

Durkheim, Berger et Luckmann, Dubet

Construction sociale historique, socialiser

Livet, Rimé Coordination des actions et

motivation à les faire évoluer Science politique,

science organisations, néo-institutionnalisme

Rôles et normes qui cadrent les pratiques, pouvoir

Hochschlid Conditionne expression

émotion, internalise la domination, permet la confiance

Heinich, Boltanski Valeurs – principes,

convention et critique

Lordon Adhésion et crainte

Source : figure réalisée par l’auteur

3.3 La reconnaissance des émotions et des valeurs

Depuis trois décennies, les théoriciens en sciences sociales tentent de démontrer que la reconnaissance est un nouveau moteur des luttes sociales. Selon eux, on passerait d’une société où les conflits entre classes sociales se pensaient en termes de luttes matérielles pour des ressources à des luttes de

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groupes marginalisés centrés autour d’identités et de subjectivités. Les théories de la justice sociale foisonnent en ce sens, démontrant que la reconnaissance apparait comme un nouveau phénomène social total (Caillé, 2007), en tant que paradigme englobant tout autant les paradoxes de la modernisation capitaliste que les dimensions normatives de l’identité (Honneth, 2000) ou comme mécanisme de discriminations et d’inégalités (Dubet, 2006; 2016). C’est cependant à N. Fraser (2005) que l’on doit une première articulation entre reconnaissance et redistribution où « les personnes qui sont objets simultanément d’injustice culturelle et d’injustice économique ont besoin à la fois de reconnaissance et de redistribution ; elles ont besoin à la fois de revendiquer et de nier leur spécificité » (Ibid. : 21). Pour tous ces auteurs, l’identité est au cœur du processus de reconnaissance dont le mépris se vit comme une injustice. Dans le cadre de cette recherche, nous nous concentrerons sur une composante essentielle de l’identité, à savoir les valeurs mises en évidence par les émotions. L’identité sera utilisée non pas comme concept1, mais comme révélatrice elle aussi de valeurs, ce qui

à plusieurs égards, sera un meilleur indicateur dans la résolution des conflits2.

Se précise alors une distinction que l’on n’avait jusqu’alors esquissée qu’à grands traits : la résolution des conflits passe par la redistribution des usages de l’espace et la reconnaissance des valeurs qu’ils sous-tendent3. Ainsi, la reconnaissance se conçoit comme une attente sur le comportement d’autrui

où les rôles sociaux intériorisés permettent d’être reconnus. Si la reconnaissance est ici un mécanisme routinier de la vie sociale, c’est aussi dans sa rupture qu’on observe ses effets, c’est-à-dire l’injustice. Quand la rupture du quotidien remet en cause les relations instituées, il devient nécessaire de s’assurer que les valeurs sont toujours reconnues par les autres. On demande donc aux acteurs légitimes qui représentent les institutions de prendre en compte notre point de vue, nos valeurs. De la même manière, on leur demande de reconnaitre (par empathie) nos émotions : la colère de voir le ruisseau pollué ou encore l’angoisse de voir s’installer un grand projet d’élevage. À l’inverse, le déni des émotions et le mépris des valeurs avancées dans l’espace public constituent en soi une expérience de l’injustice à la source des conflits (Voirol, 2009). De plus, la constitution de collectifs autour de valeurs et d’émotions partagées cherchera à faire reconnaitre la légitimité de sa cause et la reconnaissance de celle-ci sera une condition de la résolution du conflit.

Les institutions participent à ce processus dans la mesure où elles reconnaissent la prédominance des valeurs d’un groupe social sur un autre. Cependant, « les institutions ne produisent pas par elles- mêmes de la reconnaissance ou du déni de reconnaissance, mais elles constituent les conditions permettant soit de stabiliser les relations de reconnaissance entre individus, soit de perpétuer les obstacles à leur développement » (Renault, 2004 :182). Ainsi, les institutions et les acteurs qui les représentent sont garants des règles de reconnaissance où la révision émotionnelle découle « d'expériences négatives dans lesquelles s'éprouve l'incompatibilité de principes normatifs et de

1 L’utilisation du concept d’identité démontre la difficulté pour les sciences sociales de travailler avec des mots du langage

ordinaire. S’empêcher pour autant de l’utiliser « serait se priver des significations que revêtent ces termes pour les acteurs que nous étudions, fussent-elles erronées » (Heinich, 2018 : 13). N. Heinich définit l’identité comme « la résultante de