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Le principe de volonté dans la culture du corps : l’individualisme comme humanisme moderne ?

I À la recherche de l’unité du corps : pour une (il)logique de la sensation

2. Le principe de volonté dans la culture du corps : l’individualisme comme humanisme moderne ?

Sur le parcours vers une alternative à la modernité de l’univocité, du type, l’expérience d’une corporéité réinventée traverse diverses formes de « singularités anonymes […] qui impliquent avant tout une non-superposition, une tension, un débat entre les êtres et les styles qui […] les animent sans les définir en propre, et qui peuvent aussi bien les quitter433 ». Au cœur de ces logiques « d’appropriation, de dépropriation et

d’expropriation434 », de ces tentatives de déterritorialisation du corps où se joue la conquête

d’une forme de vie nouvelle, un thème apparaît comme le point d’ancrage auquel tout mouvement se rapporte. Ce point cardinal de la réforme de la vie, c’est la prise en compte d’un paramètre essentiel dans la constitution du sujet moderne : la volonté. Le concept de volonté tient une place considérable dans les divers traités des théoriciens de l’éducation corporelle et se développe comme pivot central de la vie de l’homme nouveau. La tentative moderne d’articuler âme, esprit et corps autour de la volonté marque une rupture décisive avec l’héritage d’une culture occidentale du corps marquée par le cartésianisme et le judéo-

433 MACÉ, Marielle, op. cit., p. 205. 434 Ibid., p. 205.

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christianisme. C’est là sans doute le principal dénominateur commun de tous les clubs, journaux et autres sociétés consacrés à la Körperkultur : soustraire le corps à l’ère d’un double soupçon – soupçon philosophique, par lequel il a été pointé du doigt à travers les siècles pour faire de la ratio le primat de l’être ; soupçon religieux, ensuite, qui a élevé autour du corps les remparts de l’interdit, et pour lequel il est un obstacle, la dernière chose à laquelle il faut renoncer sur le chemin du salut. Le vingtième siècle, avec l’effervescence des mouvements liés à la culture du corps, s’ouvre sur un renversement historique considérable puisque le salut, précisément, devient alors l’apanage du corps. Le renversement du sens symbolique du corps repose donc sur une forme de réconciliation entre corps et âme, ou du moins sur l’ancrage dans la pratique d’un dépassement de cette dichotomie pluriséculaire. Non que les tenants de la réforme apportent une solution sur le plan philosophique au problème de cette dichotomie ; leurs réponses se situent plutôt sur le plan anthropologique, consistant à changer de perspective au moyen d’une nouvelle praxis du corps. a) Exercer le corps entier : contre le rationalisme mécaniste Le concept de volonté, en l’emportant sur celui de raison, non seulement semble rompre avec l’un des axiomes fondamentaux de la pensée du politique et du contrat social qui faisait de l’homme cet animal rationis, mais il reflète aussi la tendance majeure des sociétés occidentales à l’aube du vingtième siècle dans leur évolution vers l’individualisme, à la recherche d’une affirmation de l’autonomie en dehors des formes de la rationalisation. En d’autres termes, si l’on peut parler d’un glissement anthropologique dans la conception de l’homme moderne, c’est en lien avec l’avènement d’une subjectivité fondée sur le vouloir. Dans cette perspective le corps devient alors le lieu du vouloir, à la fois moyen et fin. Là encore l’inspiration moderne puise largement dans une antiquité grecque idéalisée pour établir le but explicite de cette éducation corporelle qui se doit avant tout d’être une « formation générale du corps entier » et mesure l’orientation de sa pratique « d’après l’exemple des Grecs435 ». Surén voit avant tout dans la mise en œuvre de telles pratiques

435 SURÉN, Hans, Deutsche Gymnastik, Vorbereitende Übungen für den Sport, Oldenburg, Berlin, 1925, p. 29 :

« Allgemeindurchbildung des ganzen Körpers », « auf naturgemäße Art nach dem Beispiele der alten Griechen ».

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corporelles des « façons de se découvrir et de former sa volonté436 », qu’il oppose, comme

nombre de réformateurs, à la rigidité stérile des exercices gymnastiques développés notamment dans une optique militaire. En tant que fils d’officier et ancien officier d’armée lui-même, il a toujours manifesté une réprobation catégorique des méthodes d’entrainement disciplinaires employées par l’armée, précisément parce qu’elles visent par leur dressage à inhiber la capacité des hommes à agir de leur propre initiative. Il est évident pour lui que la raison d’être fondamentale de la culture du corps est davantage de mettre l’homme en capacité de répondre individuellement aux problèmes de la société contemporaine, de lui donner la ressource nécessaire pour s’adapter aux nouvelles conditions de la vie moderne. Dans son traité Deutsche Gymnastik il met en avant le fait que « mon idée de la gymnastique trouve son origine dans la terrible dépression de notre époque », où l’autodiscipline, que « les techniques de contrainte et de dressage de masse »437 ne sauraient générer, fait tant défaut. La culture du corps se définirait donc en grande partie contre la gymnastique purement sportive ou militaire, préférant donner au travail corporel une profondeur individuelle, comme un moyen de développement de la conscience de soi.

Un tel positionnement inscrit manifestement les nouvelles pratiques corporelles en opposition à l’héritage positiviste des sciences. Dans le modèle construit par les sciences naturelles en effet la pensée du corps humain se fonde sur une systématisation du corps anatomiquement divisé en membres438 et c’est pourquoi les principes d’une certaine

conception de la gymnastique proposent une approche tout aussi systématique du développement du corps. Certains tenants de la réforme, comme le souligne Horst Ueberhorst, n’ont pas échappé à cette conception machinique du corps et en faisant du développement de la gymnastique une reconduction des principes mécanistes de la médecine, appliquant une rationalisation systématique à l’éducation corporelle439, visant le

développement de chacune des parties du corps par une série d’exercices spécifiques. Le médecin Reinhold Günther préconise à cet égard une sagesse de la culture du corps pour

436 TOEPFER, op. cit., p. 34 : « modes of self-discovery and will formation ». 437 SURÉN, op. cit., p. 54.

438 Voir sur ce point notamment MÖHRING, op. cit., p. 61 : « Wissenschaftlich betrachtet, hat das anatomische

Zergliedern die moderne Medizin und die heutigen Körpermodelle begründet. »

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éviter les « dégénérescences sportives440 » ou « le surmenage à toute vapeur de la machine-

corps » et empêcher ainsi la par une exploitation machinique du corps. Pudor recourt dans la même optique à l’image repoussoir des exercices militaires, « destinés à des pantins », qui passent selon lui pour une méthode arriérée, et leur reproche leur manque d’organicisme : rien là qui ne serve aux « humains pleins de vie, organiques. La force de répétition, qui permet par exemple le pas de défilé, […] est certes une bonne chose, mais la façon dont ces exercices sont agencés est précisément trop mécanique, manque trop de vie441. » A ces

techniques de « dressage » [Dressur] il oppose une gymnastique de l’« autodiscipline » [Selbstdisziplin] entièrement basée sur le développement de la volonté intérieure : « et c’est bien là le sens de la véritable éducation. Elle considère le moi individuel. Elle ne veut pas opprimer ce moi individuel ni le tuer. Elle veut seulement le former, le purifier, l’anoblir. »442 Au cœur du débat sur la culture du corps, autrement dit, se retrouve le défi imposé par la vie moderne aux sociétés occidentales d’arbitrer entre processus d’individualisation et cohésion sociale, entre normalisation et singularisation. Surén résume dans un appel programmatique la visée de la culture du corps à produire une société d’individus autonomes : « Dans les exercices corporels, nous devons dépasser le “serinage” et nous efforcer de susciter l’autodiscipline443 », comme un écho à la devise inscrite par Bess Mensendieck au principe de sa méthode pour une gymnastique féminine – « Ne travaillez pas dans le serinage444 ! » b) Un modèle organiciste de formation du corps Ce sont bien deux modèles de conception de l’individu qui se distinguent et s’affrontent alors à l’avant-plan des débats sur la culture du corps. D’une part, l’héritage de « l’individu

440 GÜNTHER, Reinhold, « Schönheitswettkämpfe », in Die Schönheit, n. 6, 1908, p. 500 : « sportlichen

Ausartungen », « Volldampfüberarbeitung der Leibesmaschine ».

441 PUDOR, Heinrich, Hygiene der Bewegung, Beyer & Söhne, Langensalza, 1906, p. 21 : « für Drahtpuppen

berechnet », « organische, lebendige Menschen. Der starke Nachdruck, der z. B. vermöge des Parademarsches […], ist ein Vorteil, aber die Art, wie diese Übungen eingerichtet werden, eben ist zu mechanisch, zu unlebendig ».

442 PUDOR, Heinrich, Die neue Erziehung, Essays über Erziehung zur Kunst und zum Leben, Seemann, (lieu

d’édition inconnu), 1902, p. 12 : « und dies ist eben der Sinn der wahren Erziehung. Sie achtet das individuelle Ich. Sie will dieses individuelle Ich nicht unterdrücken oder töten. Sie will es nur bilden, reinigen, veredeln. »

443 SURÉN, Hans, Surén-Gymnastik für Heim, Beruf und Sport. Für Männer, Frauen, alt und jung, Dieck,

Stuttgart, 1927, p. 20 : « Wir müssen in den Leibesübungen den ‚Drill’ überwinden und alle Anstrengungen machen, die Selbstdisziplin zu wecken ».

444 MENSENDIECK, Bess, Funktionelles Frauenturnen, Bruckmann, Munich, 1923, p. 15 : « Nicht “drillmässig”

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disciplinaire » [Disziplinarindividuum] comme survivance du dix-huitième siècle, auquel la modernité oppose, d’autre part, un modèle de développement individuel pensé comme « croissance organique (végétale) » – une forme de « réitération du romantisme »445 . Les exercices physiques ainsi doivent servir à « remettre le corps débile en capacité de se développer davantage » et ce dans le but d’atteindre « la beauté telle que la Nature l’a voulue »446. L’organicité devient le mot-clé du développement de l’humain par le travail corporel. Il est fondamental de respecter dans cet effort l’individualité de la personne jusque dans les particularités du corps de chacun. Adolf Koch notamment se propose dans son traité Gymnastiksystem oder freie Körperbildung une analyste critique de la notion de système, dénonçant les formes dogmatiques et figées de la gymnastique qui empêchent par leur aveugle systématicité le respect d’une croissance et d’un épanouissement naturel du corps. Koch suggère à cet effet la mise en place de systèmes de gymnastique différenciés – selon les sexes, les âges… La notion de pédagogie prend également un tour nouveau. Pour Winther, l’instructeur n’est plus un « inspecteur », mais plutôt un « jardinier » dont la fonction est « seulement de révéler le dessein de la Nature »447 dans le corps de l’autre.

L’inclination à l’autonomie est assortie d’un rejet de l’autoritarisme dans la mesure où prévaut l’idée que tout commandement extérieur reste perçu comme une contrainte et reste en cela incomparablement moins efficace que le principe de la régulation intérieure, qui doit guider la discipline individuelle : « Assurément, aucun effet que nous subissons de l’extérieur n’aura la valeur […] de l’activité que l’on exerce par et pour soi-même448. » Surén plaide de même pour le remplacement des « maîtres d’exercice depuis longtemps caduques » par « la volonté propre de chacun, l’autodiscipline »449. De la même façon,

l’analogie de la gymnastique sportive ou martiale avec la figure du langage comme forme de l’institutionnalisation est fréquente dans le discours critique des réformateurs. En tant qu’instance de normalisation des corps, cette forme de gymnastique [das Turnen] serait au

445 MÖHRING, op. cit., p. 83 : « nämlich als Wiederholung der Romantik », « ein organisches (Pflanzen)-

Wachstum ».

446 PUDOR, Heinrich, Nackt-Kultur, t. 3., Pudor Verlag, Berlin, 1906, p. 32 : « den im Wachstum

zurückgebliebenen Körper zur Weiterentwickelung zu bringen », « sein[e] von der Natur gewollten Schönheit ».

447 WINTHER, Fritz, Körperbildung als Kunst und Pflicht, Delphin Verlag, Munich, 1919, p. 130 : « Der

Lehrende ist ein Gärtner, kein Aufsichtsbeamter », « nur die Absichten der Natur verwirklichen ».

448 GROßE, Johannes, Die Schönheit des Menschen. Ihr Schauen, Bilden und Bekleiden, Kühtmann, Dresde,

1912, p. 316 : « Alle Einwirkung, die wir von fremder Seite nur erleiden, hat gewiss nicht den Wert […], wie die Tätigkeit, die wir an uns durch uns selbst ausüben ».

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corps ce que la grammaire est au langage : « rien d’autre qu’une leçon de grammaire transposée dans le corporel450 ». Le fait même d’historiciser le discours sur l’éducation

corporelle ouvre aux réformateurs une perspective nouvelle, débouchant sur une critique de la normalisation, dénonçant les formes d’éducation corporelle héritées des dix-huitième et dix-neuvième siècles comme autant d’avatars du « dressage », c’est-à-dire comme le prolongement de la contrainte du pouvoir politique à travers les institutions disciplinaires au nombre desquelles figurent la caserne et les gymnases militaires. Möhring souligne à cet égard que « cette forme de discipline institutionnelle était depuis la fin du [dix-neuvième] siècle de plus en plus perçue comme répressive et commençait à être remplacée par une discipline très fortement individualisée, non institutionnelle451. » La réforme des techniques du corps entraîne dans cette même logique une réforme du vêtement. On peut ainsi ranger dans le prolongement de cette perspective critique la recommandation de l’abandon du corset chez les femmes, à la faveur du développement d’une musculature naturelle, suffisante pour soutenir sainement la poitrine. « Si autrefois le corset valait comme “dispositif de surveillance toujours présent d’un esprit bien discipliné et de sentiments bien contrôlés”, c’est désormais le corps nu, dans la culture de la nudité, qui faisait office de témoin d’une bonne autodiscipline452. » Plus largement, le discours des réformateurs prend

la tournure d’une désinstitutionalisation fortement encouragée par les divers tenants, tel Winther, qui formule dans son traité Körperbildung als Kunst und Pflicht le vœu d’une société à venir d’où les institutions disciplinaires auront disparu. Il souhaite que les parents qui auront développé leur corps en plein air éduqueront leurs enfants de la même manière, de sorte que ces centres d’éducation de plein air [Landerziehungsheime], que l’on considère à la fin du dix-neuvième siècle comme une sorte d’anti-institution mise en place contre les principales institutions disciplinaires, ne seront « plus nécessaires que pour une portion infime de la population453 ».

450 GROßE, op. cit., p. 270 : « nichts als eine ins Körperliche umgesetzte Grammatikstunde ».

451 MÖHRING, op. cit., p. 81 : « diese Art institutioneller Disziplinierung wurde seit Ende des Jahrhunderts

zunehmend als Repression begriffen und von einer stärker individualisierten, außerinstitutionellen Disziplinierung – innerhalb einer durchgreifenden pädagogisierten Gesellschaft – abgelöst »

452 Ibid., p. 85 : « Hatte das Korsett vormals als “an ever present monitor of a well-disciplined mind and well-

regulated feelings” gegolten, fungierte in der Nacktkultur nun der nackte Körper als sichtbares Zeichen erfolgreicher Selbstdisziplinierung. »

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c) Aiguiser le « sens corporel »

Dans cette évolution vers un nouveau sens du modelage du corps, le primat de l’intérieur s’affirme jusque dans les moindres moments du quotidien. Vigarello souligne le modelage progressif de ce « corps du ‘dedans’454 » au cours des premières décennies du vingtième siècle : « Un univers émerge lentement, jusque là peu évoqué dans les pratiques du corps : celui des muscles éprouvés, interrogés, ‘conscientisés’. Le corps s’est ‘psychologisé’, à l’image d’un individu qui se revendique plus maître de lui avec la modernité455. » Le thème

du travail se développe comme un vecteur de l’appropriation de soi à travers l’application de l’exercice de volonté au corps dans l’intimité. Travail sur soi, travail de soi, les variantes du nouveau labeur destiné à rendre le sujet autonome se déclinent sur tous les niveaux de la vie quotidienne : « Constance et ténacité malgré les vacances et le plein air, obstination et opiniâtreté malgré la détente et les échappées. Le projet s’est […] approfondi depuis les entreprises du début du siècle, celles des premières démarches d’acquisition de force et de ‘confiance en soi’. Le thème s’est fait plus psychologique avec les années 1920-1930, plus intériorisé, variant les procédés de ‘maîtrise’456. » L’idée de façonner le corps de l’intérieur, thématisée entre autres par l’ouvrage de Marcel Viard457, La Maîtrise de soi (1930), relaye

ainsi le programme d’innombrables articles issus de la presse spécialisée de domaines divers, de la mode féminine ou masculine aux sports, qui tous préconisent l’avènement de ces nouvelles formes de prospection interne. « Concentrez-vous sur votre respiration458 »

exhorte Marie-Claire, « concentrez votre attention sur le muscle qui travaille, pensez à lui et tâchez de le sentir accomplir sa fonction459 » recommande Votre Beauté. Et la comtesse Marie-Blanche de Polignac, en confidence au même journal : « Dans la journée, en voiture, pendant une conversation, je m’exerce sans que personne ne s’en doute. Je tourne les poignets, je les élève lentement, et comme s’ils pesaient un poids insupportable. Grâce à cette méthode, j’ai acquis des muscles de fer460. » C’est le triomphe des « mouvements

454 VIGARELLO, Georges, « S’entraîner », in CORBIN,COURTINE, VIGARELLO, op. cit., p. 185. 455 VIGARELLO, op. cit., p.185-186.

456 Ibid., p. 185.

457 Cf. VIARD, Marcel, La Maîtrise de soi, Vivre, Paris, 1930. 458 « Respirez la santé », in Marie-Claire, n. 36, mars 1939. 459 Votre Beauté, n. 287, janvier 1934.

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invisibles461 » qui doivent guider l’individu sur le chemin du progrès de soi, c’est-à-dire vers

davantage de conscience de son corps et de force de volonté.

Afin d’assurer une diffusion la plus large possible des nouvelles pratiques corporelles et de rendre aisément accessibles ces exercices, des livrets paraissent à l’usage des particuliers, dans l’idée de faciliter une pratique domestique de la gymnastique [Heimgymnastik]. Dès 1905 paraît en Allemagne le traité du lieutenant et sportif professionnel danois Müller, Mon système, 15 Minutes quotidiennes de travail pour la santé462, lequel connaît alors un

important succès (un million et demi de ventes en 1930) et que Pudor qualifie rapidement d’« excellent ouvrage dont on espère qu’il ne sera pas un simple phénomène de mode463 ». La popularité de ce livre est telle qu’un néologisme s’impose bientôt : « müllern », pour « faire du sport ». La gymnastique domestique est de fait une réponse pratique à la difficulté d’organiser le quotidien, dans la vie moderne, de façon à trouver le temps nécessaire pour se rendre dans les lieux de pratiques collectives du travail du corps : « Qui donc a le temps, demande en effet Margarthe Pochhammer dans la revue Körperkultur, de faire un pèlerinage en plein air plusieurs fois par semaine ? Ou bien d’aller au gymnase ? Qui peut même se permettre le coût d’un séjour dans l’un des fameux sanatoriums de plein air pendant les vacances d’été ? Seuls quelques privilégiés464 ! » Il s’agit là, autrement dit, d’une

confirmation que la réforme de la vie se pense comme un mouvement social de masse, destiné à la formation du plus grand nombre. Au contraire, ajoute Surén, la « gymnastique domestique, paisible et gaie », s’offre comme une solution aisément accessible à tous, et ce tout particulièrement aux femmes, « auxquelles il n’est pas aisé de quitter le foyer pour se rendre dans une école de gymnastique »465. Le système proposé par la gymnastique

d’intérieur devait permettre une éducation complète de toutes les parties du corps, et servir ainsi de fondement à tous ceux qui « souhaitent acquérir force, santé et beauté sans être

461 Votre Bonheur, n. 2, mars 1938.

462 MÜLLER, Jørgen Peter, Mein System, 15 Minuten tägliche Arbeit für die Gesundheit, (éditeur inconnu),

Leipzig, 1905.

463 PUDOR, Heinrich, Nackt-Kultur, op. cit., p. 54 : « vortreffliches Buch, das hoffentlich nicht eine

Modeerscheinung bleibt ».

464 POCHHAMMER,Margarethe,« Die Grundelemente der Körperkultur », in Körperkultur, n. 3, 1908, p. 147 :

Wer hat denn Zeit, ein paarmal die Woche in das Luftbad hinaus zu pilgern ? Oder Turnstunden zu nehmen ? Oder wer kann sich gar Sommerferien in einem der berühmten Natur-Sanatorien gönnen ? Wenige Bevorzugte ! »

465 Cité par UEBERHORST, Horst, Geschichte der Leibesübungen, t. 3., Springer, Berlin, 1980, p. 498 : « stille und

freudige Heimgymnastik », « die nicht ohne weiteres außerhalb des Hauses eine Gymnastikschule besuchen konnten. »

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membres d’un club466 ». Pour compléter cette conquête d’autonomie dans l’apprentissage

des mouvements du corps et guider l’apprenti, le miroir devient une pièce évidente de