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Le principe de responsabilité

Section 1: L’absence de définition consensuelle de la RSE

I. Le principe de responsabilité

Selon M. Neuberg, « la responsabilité est l’une des notions les plus fuyantes et les plus instables dans le domaine philosophique »58.

Il est vrai, le terme de responsabilité reflète plusieurs acceptations. Dans son sens étymologique, la responsabilité provient directement du mot latin respondere qui peut être défini comme « celui qui répond de ses actes » ou « celui qui se porte garant de ses actes ». Le terme présente une forte connotation juridique imputable aux personnes physiques et morales puisque cela fait directement référence au principe de responsabilité civile ou pénale. C’est le « fait pour quelqu’un d’être à l’origine d’un dommage » et « l’obligation qui en découle de réparer ce dommage ». La responsabilité en droit positif implique donc qu’on puisse attribuer à une personne la commission d’un acte qui provoquerait des dommages préjudiciables pour le reste de la Société. La personne qui devient responsable a donc l’obligation de réparer ce dommage et cela se traduit par une sanction. D’ailleurs, si on revient aux origines anglo-américaines de la CSR, c’est la responsabilité personnelle du dirigeant qui fut constamment recherchée.

58 M. NEUBERG, La responsabilité : Question philosophiques (1997), dans la Responsabilité sociale

Or, une première difficulté liée à la « responsabilité » réside dans le fait que ce n’est pas exactement ce sens juridique qu’on attribuera au concept de RSE. En effet, dans le concept de RSE

Ce n’est pas la responsabilité du dirigeant qui est recherchée, mais celle de l’entreprise en sa propre personne. Même si l’on considère en droit la société comme une personne morale, elle se détache systématiquement de la personne physique du dirigeant dans les actes commis. Certaines décisions stratégiques sont en effet prises au nom de la société. Même si le dirigeant est le mandataire légal de la société, dans la signature et l’accomplissement des actes c’est uniquement la responsabilité juridique de l’entreprise en cas de préjudice, qui sera retenue. Dans cette structure économique, composée d’une multitude d’individus qui sont liés par un rapport d’autorité et d’influence, il est parfois difficile d’allouer à une personne précise la responsabilité d’une décision particulière. Cette problématique trouve ses sources dans l’approche éthique américaine de la CSR, qui a pointé la société comme un être moral à l’égal de l’individu. Or, il paraît évident que le comportement d’une firme ne peut pas être réduit à celui d’un individu. C’est d’ailleurs ce qu’avaient démontré des auteurs adeptes de la théorie des organisations qui sont Crozier et Friedberg59.

Deuxièmement, le terme de responsibility dans l’acronyme CSR, a pris un autre sens, plus philosophique qui se détache de l’idée d’une faute dont la suite logique est celle de la sanction. Ce terme anglophone est plutôt attaché à une dimension morale, lié à la raison, plutôt qu’à une dimension juridique. Puisque seule la notion de liability serait considérée comme l’égal du principe de responsabilité juridique.

Michel Capron admet qu’aujourd’hui, la notion de responsabilité tend à évoluer vers une « idée de prévention face à des risques entraînant des modalités d’actions sous forme d’obligations ou d’engagements ». Autrement dit, la responsabilité dans son sens moral devient le synonyme d’une obligation, d’un engagement, où les actions menées ne soient pas destructrices pour la Société civile. La responsabilité est donc devenue une forme de prévention où il s’agit de penser en amont « aux conséquences de ses actes sur le bien-être d’autrui » (Ewald 1997)60.

Une troisième difficulté se loge dans le fait que l’anglo-américain a aussi tendance à vouloir substituer fréquemment le principe de responsibility au principe d’accountability. Au regard de l’accountability, la RSE correspondrait à l’obligation de vouloir rendre des comptes, doublée d’une obligation de transparence. Autrement dit, la responsabilité ne se limite pas à la stricte sanction juridique mais reposerait également sur un principe de redevabilité (accountability).

59 E. FRIEDBERG et M. CROZIER, sont à l’origine de la théorie de l’acteur stratégique élaborée dans les années 1970. Cette nouvelle méthode permettrait de mieux comprendre le fonctionnement d’une organisation. L’analyse des stratégies d’une organisation se fonde sur les rapports de pouvoir qui la structurent.

La nuance est loin d’être anodine. En outre, si on s’attarde sur la responsability, il s’agit là d’une une obligation bien précise dans un domaine prédéfini. L’obligation revêt alors un caractère beaucoup moins fort que la seconde acceptation, car cela ne concerne que « le fait de répondre à des actes sans en assumer les conséquences » (M. Capron). En revanche, la seconde interprétation du terme d’accountability suggèrerait une répression en cas de non-respect d’une obligation. Et c’est cette seconde acceptation qui accorde finalement une connotation beaucoup plus importante et plus précise que celle de responsibility lorsqu’on traite de la CSR. Bien que les deux locutions soient parfois synonymes, le terme de responsibility est quand même considéré comme plus abstrait, alors que accountability est plus ferme. Pour Michel Capron, le mot accountability renvoi « une capacité de jugement, d’attribution d’une action blâmable ». En définitive, une société ne serait plus « responsable » mais « redevable » de ses actions.

Cette distinction est devenue source de débats dans les discussions internationales concernant la mise en œuvre d’une stratégie de RSE, entre ceux qui souhaitent que des contraintes s’exercent sur les entreprises cotées et ceux qui ne le souhaitent pas et ne voient dans la RSE qu’une politique de prévention.