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L’obligation d’un devoir de vigilance ou d’un duty of care des sociétés mères

Section 2 : Les normes contraignantes ou le droit dur de la RSE

II. L’obligation d’un devoir de vigilance ou d’un duty of care des sociétés mères

dans la Loi du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères cotées117. Ce nouveau principe qui s’ajoute à celui de l’obligation du reporting extra-

financier des sociétés cotées, vient renforcer la charge normative supportée par les sociétés cotées françaises en matière de RSE. Cette loi fut promulguée en réaction de la catastrophe humaine du Rana Plaza au Bangladesh le 24 avril 2013. Le bâtiment abritait plusieurs ateliers de confection travaillant pour des grandes sociétés du textile, les fissures présentes sur le bâtiment n’avait pas fait l’objet d’une information de vigilance. C’est précisément contre l’irresponsabilité que bénéficient les grandes sociétés cotées, qui recourent par l’intermédiaire de leurs filiales ou sous-traitants étrangers que la loi du 27 mars 2017 intervient en créant un devoir de vigilance dont le manquement est sanctionné par la responsabilité civile. Aux termes de la loi, toutes les sociétés mères cotées ou non, doivent impérativement établir un plan de vigilance destiné à discerner les risques provoqués par leurs activités économiques ou celles

115 Ordonnance du 19 juillet 2017 relative à la publication d’informations non financières par certaines grandes entreprises et certains groupes d’entreprises.

116 B. PARANCE et E. GROULX, La déclaration de performance extra-financière – Nouvelle ambition

du reporting extra-financier, JCP E 1128 §2 (2018)

117 Loi n°2017-399 du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises

de leurs filiales et des sociétés qu’elles contrôlent, ainsi que de leurs sous-traitants afin de « prévenir les atteintes graves envers les droits humains et les libertés fondamentales, la santé et la sécurité des personnes ainsi que de l’environnement »118. L’article L.225-102-4 du Code de commerce exige une vigilance

de ces sociétés mères sur quasiment tous les domaines de la RSE. L’article L.225- 102-3 du Code de commerce ajoute que la violation de cette obligation engage la responsabilité personnelle de la société dominante et peut même se voir enjoindre par le juge la soumission de cette obligation. Ce texte tend à encadrer et donc durcir, une pratique de vigilance déjà exercée par certaines sociétés cotées qui l’intégraient dans leur code de conduite ou dans des chartres éthiques. Cependant cette loi a suscité peu d’enthousiasme : en plus de l’allègement progressif du texte par le pouvoir règlementaire, le Conseil Constitutionnel dans une décision du 23 mars 2017119, est

venu censurer le montant de l’amende prévu initialement dans le projet de loi, sur le fondement de la contrariété du principe constitutionnel de la légalité des délits et des peines.

En droit états-unien, ce devoir de vigilance prend développement à travers le standard de duty of care dans le droit de la responsabilité civile de la common law. Selon B. Parance et E. Groulx « le duty of care se définit comme l’obligation légale imposée à un individu de devoir de diligence/prudence/vigilance »120. Plus précisément, ce

standard permet d’apprécier la faute de vigilance de personne à qui elle incombe et déterminer si celle-ci était volontaire ou non. Aux Etats-Unis, ce standard est codifié sur le plan fédéral, dans la Second Restatement of Torts121 qui correspond à une

compilation systématique de la jurisprudence. Comme en France, ce duty of care est imputable à une personne morale mais aussi et cela relève d’une spécificité du droit américain, à une personne physique. Aux Etats-Unis, le duty of care se mesure en fonction du critère de « l’homme raisonnable » qui est érigé comme une norme de comportement. On retrouve se devoir notamment dans les responsabilités du fiduciaire, la personne qui est chargée de gérer les biens et les intérêts du donneur d’ordre. Dans le contexte des sociétés mères multinationales, exerçant des activités susceptibles d’engendrer des externalités négatives graves à l’environnement, aux droits humains, il est logique que le droit américain prévoit que ces dernières pourraient être négatives sur leurs « parties prenantes ». En plus du droit fédéral, des lois d’État vont imposer à ces firmes d’exercer leur duty of care pour éviter de telles atteintes. On fait notamment référence à la California Transparency in Supply Chains Act122, qui dispose, à l’égal de la loi française sur le devoir de vigilance, que les

sociétés dominantes d’un groupe doivent des mesures pour garantir la transparence

118 Article L.225-102-4 du Code de Commerce.

119 Décision n°2017-750 DC du 23 mars 2017

120 B. PARANCE et E. GROULX, Regards croisés sur le devoir de vigilance et le duty of care, Journal

du droit international, (Clunet) n°1, doctr.2, (2018)

121 Second Restatement of Torts, American Law Institute (1965-2019)

122 California Transparency in Supply Chains, Civil Code Section 1714.43 connue aussi comme la Senate Bill 657 (Steinberg), (2009-2010)

dans leur chaîne d’approvisionnement. Bien entendu, les sociétés soumises à cette réglementation sont toutes les sociétés mères qui ont leur siège social fixé en Californie ou qui exerce leur activité commerciale et économique dans l’État. Tout comme la loi française sur le devoir de vigilance, les sociétés concernées doivent justifier quelles méthodes elles ont mené afin de s’assurer que leurs filiales, leurs sous-traitants ou le groupe dans son ensemble, respectent les droits fondamentaux. Le duty of care à l’égard des sociétés cotées devient un sujet central dans le droit des sociétés américains. En plus de la Californie, et plusieurs États consacrent ce principe dont le Delaware avec la Delaware Certification of Adoption of Transparency and

Sustainability Standards123 qui prévoient les mêmes dispositions que dans la loi

Californienne.

Dernièrement, la société Total, cotée au CAC40, est la première entreprise française à faire face aux exigences de la loi sur le devoir de vigilance. Assignée le 28 janvier 2020 devant les juridictions françaises par plusieurs associations et collectivités locales, ces derniers affirment que le plan de vigilance du groupe mis en œuvre n’est pas conforme aux dispositions de la loi. En effet, Total est le chef de file du Projet Tilenga lancé en 2012 en Ouganda. Ce projet vise à permettre à ce pays d’Afrique de l’Ets de devenir producteur de pétrole. L’importance de ce projet dont découlent des risques environnementaux et humains avec un fort impact social, exige que la société Total présente des mesures de prévention de risque dans son plan de vigilance à l’égard de sa filiale ougandaise charge d’ouvrir le site d’exploitation pétrolier. Ainsi, au regard de l’article L.225-102-4 du Code de commerce, la société mère Total aurait omis son devoir de prévention et de vigilance des risques liés à son activité pétrolière