• Aucun résultat trouvé

L’européanisation des armées face à la PESC-PESD

II. Les mécanismes de l’européanisation

3. Pressions directes et indirectes

Dans le cas français, l’européanisation provient essentiel-lement de pressions indirectes : l’établissement d’une Commu-nauté de sécurité avec l’intégration européenne et la création d’une monnaie unique. La première joue un rôle concret dans certains choix de planification militaire. Au début des années quatre-vingt-dix, cette dernière reste fortement marquée par la comparaison avec la Bundeswehr, comme l’indiquait l’État-major de l’armée de Terre sur le Livre Blanc.

« En 1995, certaines personnes, notamment issues de

l’Armée de Terre, demeuraient préoccupées par la parité nu-mérique avec la Bundeswehr ou par le poids relatif des forces armées françaises sur le théâtre européen. Ces arguments n’étaient pas admis au niveau politique. En 1995, ils n’étaient plus acceptables […]. La fin de la menace aux frontières, le traité de Maastricht, et l’imminence de l’Euro

rendaient cette conception de l’armée continentale obsolète »30.

La contrainte budgétaire constitue la seconde pression indirecte dans le cas français. Elle est principalement liée à la monnaie unique et aux exigences pour la qualification de la troisième phase de l’UEM (l’Union Économique et Monétaire). La réforme des armées en 1995-1996 a pour origine la diminu-tion du budget consacré à la défense31.

À l’inverse, dans le cas allemand les exigences de l’adhé-sion à la monnaie unique et le Pacte de stabilité ont conduit les

ministères des Finances – que ce soit sous la direction de Theo Waigel (1989-1998) ou d’Hans Eichel (1999-2005) – à privilé-gier le maintien de la conscription par crainte du surcoût de la professionnalisation32.

Cependant, dans le cas allemand, des pressions plus di-rectes ont été exercées par le développement institutionnel et opérationnel de la PESD et par les partenaires de l’Allemagne au sein de l’UE et de l’OTAN. Dans le cadre du Headline goal et du processus ECAP, la France et le Royaume-Uni proposent, en 1999, de mettre en place un système de critères de conver-gence pour la défense, portant à la fois sur les capacités et les dépenses militaires. S’il n’a pas formellement vu le jour, ce sys-tème constituait néanmoins une incitation forte et exerçait une forme de pression directe pour que l’Allemagne engage une réforme majeure de ses forces armées.

Avec la publication de la Stratégie de sécurité de l’Union

euro-péenne, de nombreux travaux d’experts ont cherché à dégager

les priorités dans l’amélioration des capacités militaires euro-péennes. Ils mettent l’accent sur la nécessité de professionnali-ser plus largement les forces armées, de réduire la part de la conscription et d’accroître les dépenses d’investissement. Dans la majorité des cas, ces contraintes en faveur d’une augmenta-tion des dépenses de défense pour les équipements visent prio-ritairement l’Allemagne33.

En 2001, le président français déclare que tous les efforts pour développer la PESD demeureront vains « si, au sein des Quinze, le déséquilibre s’accroît entre ceux qui consentent à dépenser plus pour la sécurité collective et ceux qui estiment que, parce qu’elle n’a pas de

prix, la paix n’a pas de coût »34. Les Français et les Britanniques

considèrent la PESD comme un levier pour amener leurs par-tenaires européens – au premier rang desquels l’Allemagne – à investir davantage dans la modernisation des forces armées.

Les réformes des armées entreprises en France et en Al-lemagne au cours de la dernière décennie attestent d’un proces-sus d’européanisation. Ce dernier se traduit par la prise en compte croissante des enjeux européens dans la définition et les orientations de la politique militaire. La transformation des

armées et des politiques militaires est affectée par les pressions directes et indirectes de l’intégration européenne, que celles-ci s’effectuent dans le cadre de la PESD ou de l’OTAN.

Nous avons montré qu’en fonction du rapport établi entre les changements internes et les développements à Bruxelles, l’européanisation peut suivre des temporalités et des logiques différentes. Dans le cas français, nous avons constaté la réalisation d’une réforme d’anticipation des enjeux euro-péens, de nature stratégique, visant à assurer un leadership futur dans la PESD. En Allemagne, il s’agissait en revanche d’une réforme d’adaptation aux pressions européennes selon une logique dominante de mise en conformité.

Une analyse complète du rapport entre PESD et adaptation des politiques de défense supposerait de prendre en compte d’autres aspects de l’européanisation pour établir l’ampleur effective d’une éventuelle convergence des politiques militaires. À l’heure actuelle, il n’existe pas de consensus à ce sujet : si certains auteurs insistent sur un mouvement de convergence, d’autres soulignent la persistance des trajectoires nationales35.

Notes

 

1. Delphine Deschaux-Beaume, De l’Eurocorps à une armée européenne ?

Pour une sociologie historique de la Politique européenne de sécurité et de défense (1991-2007), thèse pour le doctorat en Science Politique, IEP de Grenoble, 2008.

2. Kevin Featherstone, « Introduction : In the Name of Europe », in :

Kevin Featherstone, Claudio Radaelli (Eds.), The Politics of Europeanization,

Oxford, Oxford University Press, 2003, p. 3 ; Claudio Radaelli, « European-ization: Solution or Problem? », in: Michele Cini, Angelina Bourne (Eds),

Palgrave Advances in European Studies, Basingstoke, Palgrave, 2005, pp. 56-76.

3. Bastien Irondelle, « Europeanization Without the European Union ?

French Military Reforms 1991-1996 », Journal of European Public Policy, 10 (2),

 

4. Claudia Major, « Europeanisation and Foreign and Security Policy –

Undermining or Rescuing the Nation State ? », Politics, 25 (3), 2005, pp.

175-190.

5. Jolyon Howorth, Security and Defence Policy in the European Union,

Ba-singstoke, Palgrave, 2007.

6. Bastien Irondelle, Gouverner la défense : analyse du processus décisionnel de

la réforme militaire, thèse pour le doctorat en science politique, Institut d’Etudes Politiques de Paris, 2003.

7. Louis Gautier, Mitterrand et son armée, Paris, Grasset, 1999.

8. La planification du modèle d’armée 2015 prévoit une déflation de

30 %, principalement composée des postes d’appelés. L’armée de terre est la plus affectée par les réductions d’effectifs : elle perd 43 % de ses person-nels militaires, tandis que l’armée de l’air et la marine enregistrent une dimi-nution de 29 %.

9. Peter Hall, « Policy Paradigm, Social Learning and The State »,

Com-parative Politics, 25 (3), 1993, pp. 283-84.

10. Jean-François Bureau, « La réforme militaire en France : une

muta-tion identitaire », Politique étrangère, (1), print., 1997, pp. 69-81.

11. Cf., La Lettre du président François Mitterrand au Premier ministre

du 7 décembre 1993 et la lettre de mission du Premier ministre Alain Juppé au ministre de la Défense du 6 juin 1995. Documents non diffusés.

12. Documents de travail de la Commission du Livre blanc et du

Comi-té straComi-tégique.

13. Entretien à l’Elysée, 18 février 2000.

14. Entretien avec un membre du gouvernement, 12 sept. 2001.

15. Jacques Chirac, « Discours devant la 53e session de l’IHEDN », 8

juin 2001.

16. Ministère de la Défense, Loi n° 2003-73 du 27 janvier 2003 relative à la

programmation militaire pour les années 2003 à 2008. Rapport annexé, reproduit

dans Ibid.

17. Rainer Bauman, « German Security Policy Within NATO », in:

Volker Ritterberger (Ed.), German Foreign Policy since Unification. Theories and

Case Studies, Manchester, Manchester University Press, 2001.

18. Marina Takle, « Towards a Normalisation of German Security and

Defence Policy : German Participation in International Military

Opera-tions », ARENA Working Papers, 2 (10), 2002.

19. Johannes Bohnen, « Germany », in: Jolyon Howorth, Anand Menon

(Eds.), The European Union and National Defence Policy, Londres, Routledge,

1997.

20. Marie Elise Sarotte, « German Military Reform and European

Securi-ty », Adelphi Paper, (340), 2002, p. 17.

21. La réforme prévoit que la Bundeswehr soit capable de participer

simul-tanément à deux missions d’ampleur moyenne, impliquant jusqu’à 10 000 hommes dans la durée, au sein de l’OTAN ou de l’UE, ou de mettre en

 

œuvre une force de 50 000 hommes pour une opération alliée et interar-mées d’une année.

22. Ce mode de recrutement des armées repose sur une obligation légale

et peut s’effectuer soit sous forme de service militaire, soit de service civil. D’après le projet Scharping, 77 000 appelés sont incorporés dans les forces, 27 000 volontaires effectuent un service long et 50 000 un service militaire

dont la durée est réduite. Christophe Pajon, Armées et société dans l’Allemagne

contemporaine, Paris, L’Harmattan, 2002.

23. Kerry Longhurst, « Why Aren’t the Germans Debating the Draft?

Path Dependency and the Persistence of Conscription », German Politics, 12

(3), 2003, pp. 147-165.

24. Le 13 janvier 2004, le plan de restructuration de la Bundeswehr a été

défini sur la base de ces Directives et du maintien du principe de la

conscrip-tion. Le format des armées est ramené à 250 000 soldats d’ici à 2010, dont 195 000 militaires de carrière et 55 000 appelés du contingent. La réduction du service militaire à 9 mois était confirmée.

25. James March, Johan Olsen, Rediscovering Institutions. The Organizational

Basis of Politics, New York, The Free Press, 1989.

26. Jolyon Howorth, « Discourse, Ideas, and Epistemic Communities in

European Security and Defence Policy », West European Politics, 27 (2), 2004,

pp. 211-234.

27. Tom Dyson, The Politics of German Defence and Security : Policy,

Leader-ship, and Military Reform in the post-Cold War Era, New York, Berghahn, 2007.

28. Alistair Miskimmon, Germany and EU Foreign Policy. Between

European-ization and National Adaptation, Basingstoke, Palgrave, 2007.

29. Eva Gross, « Germany and European Security and Defence

Coope-ration: The Europeanization of National Crisis Management Policies? »,

Security Dialogue, 38 (4), 2007, pp. 501-520.

30. Entretien avec un conseiller du Premier ministre, 27 juin 2000.

31. Entretiens avec des collaborateurs du Premier ministre et du

mi-nistre des Finances, 5 mai, 23 mai et 27 juin 2000.

32. Tom Dyson, « Convergence and Divergence in Post-Cold War

Bri-tish, French and German Military Reforms: Between International Structure

and Executive Autonomy », Security Studies, 17 (4), 2008, pp. 725-774.

33. Franz-Josef Meiers, « Germany’s Defence Choices », Survival, 47 (1),

2005, pp. 153-165.

34. Discours devant la 53e session de l’Institut des Hautes Études de

Défense Nationale, 8 juin 2001.

35. Theo Farell, « The Dynamics of British Military Transformation »,

International Affairs, 84 (4), 2008, pp. 777-807; Antony Forster, Armed Forces and Society in Europe, Basingstoke, Palgrave, 2006.