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Les acteurs traditionnels de la politique étrangère

Les fondations politiques allemandes Acteurs de la politique étrangère

I. Les acteurs traditionnels de la politique étrangère

L’analyse de l’insertion des fondations politiques dans l’action publique extérieure permet d’interroger la recomposi-tion des liens entre acteurs publics et privés. Caractéristique de la politique étrangère allemande depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, la revalorisation des acteurs non étatiques s’observe dans plusieurs pays européens, y compris en France9. En Allemagne, la politique étrangère est présentée comme une action multisectorielle, comprenant une dimension politique, économique, culturelle et sociétale10. Il est admis aujourd’hui, y compris par des praticiens, que seule une frac-tion de la présence internafrac-tionale allemande est assurée par des représentants officiels. Parmi ces acteurs multiples, qui com-prennent les chambres de commerce et d’industrie, les instituts Goethe, mais aussi des ONG confessionnelles et humanitaires, les fondations politiques trouvent leur place dans «

l’anti-chambre » des relations officielles11.

1. Des organisations partisanes atypiques

L’ancrage des fondations politiques dans l’action pu-blique extérieure date de la fin des années cinquante. C’est à cette période qu’elles sont parvenues à faire valoir leur exper-tise sur les pays en développement et à obtenir le financement public de leurs activités. Le ministère des Affaires étrangères

(Auswärtiges Amt, AA) leur a alors confié la mission d’agir

contre l’expansion de la menace communiste dans le Tiers-monde. Leur position dans le dispositif de l’action publique extérieure s’est renforcée avec la création du ministère pour la Coopéra-tion économique et le développement (Bundesministerium für

wirtschaftliche Zusammenarbeit und Entwicklung, BMZ) en 1961.

Parallèlement, ces organisations ont bénéficié d’une dotation croissante en ressources à la suite de l’évolution de la jurispru-dence relative au statut et au financement des partis politiques allemands12.

Immergées dans le contexte de démocratisation de la so-ciété allemande, ces organisations, initialement en charge des programmes de l’éducation politique des citoyens (politische

Bildung), ont été rapidement associées à l’action publique

exté-rieure. Leur ancrage dans le champ politique allemand a favori-sé cette évolution. Les députés membres des partis représentés

au Bundestag se sont en effet mobilisés pour l’octroi de fonds

croissants aux fondations.

À ce jour, six fondations politiques existent en Alle-magne. La plus ancienne, la FES (Fondation Friedrich Ebert), proche du SPD (Parti Social-Démocrate) a été créée en 1925, interdite en 1933, puis réactivée en 1946. La KAS (Fondation Konrad Adenauer), proche de la CDU (Union Chrétienne-Démocrate) est ainsi appelée depuis la fusion en 1964 de deux instituts – l’Académie politique Eichholz et l’Institut pour la Solidarité internationale – créés quelques années auparavant. La FNS (Fondation Friedrich Naumann), lié au FDP (Parti libéral démocrate) fonctionne depuis 1958, et la HSS (Fondation Hanns Seidel), proche de la CSU (Union Chrétienne-Sociale) depuis 1967. Deux autres fondations politiques ont été créées plus récemment : en 1989, la Fondation Regenbogen proche des Verts (Bündnis 90/Die Grünen), devenue ensuite la HBS (Fonda-tion Heinrich Böll), et en 1999, la RLS (Fondation Rosa Luxemburg), associé au PDS (Parti du Socialisme Démocra-tique , devenu, en 2007, La Gauche – die Linke).

Les temporalités et contextes différenciés de leur émer-gence, ainsi que les profils idéologiques revendiqués par les fondations expliquent les variations de leur style d’action. Cela n’empêche cependant pas une convergence étroite de leurs structures organisationnelles et de leurs modes d’action, con-vergence facilitée par leur insertion dans les règles et procé-dures du système d’action publique. Mais, malgré leur ancrage, les fondations politiques ne peuvent pas être réduites à de simples instruments partisans. Le poids de leur tutelle ministé-rielle doit à cet effet être rappelé.

2. Une position stratégique auprès des ministères

L’analyse de la double affiliation des fondations permet d’apprécier la manière dont se construit la contrainte institu-tionnelle et la façon dont s’effectue l’échange de ressources entre différents types d’acteurs. Au-delà, elle nous invite à mieux cerner la marge de manœuvre dont disposent les fonda-tions13. Le travail international de ces dernières dépend princi-palement de deux ministères fédéraux. Le BMZ représente le principal bailleur de fonds pour les activités internationales des fondations (à la hauteur de 90%). L’AuswärtigesAmt est informé de toute mesure entreprise par les fondations à l’étranger.

Si l’on se penche sur les lieux d’interaction directe entre les responsables des fondations et les fonctionnaires ministé-riels, l’expertise des fondations est sollicitée régulièrement, d’une manière plus ou moins formelle. Au BMZ, les fondations politiques, de même que les ONG sont associées à l’élabo-ration des programmes d’action régionaux ou sectoriels. Les repré-sentants des fondations, notamment les experts employés au siège en Allemagne, sont régulièrement invités à participer à des réunions de travail.

À l’Auswärtiges Amt, les contacts avec les fondations se font le plus souvent à l’échelle des sections régionales, mais aussi auprès du bureau de coordination du travail des fonda-tions. Les rapports envoyés périodiquement par les représenta-tions des fondareprésenta-tions à l’étranger constituent une source d’infor-mations prise en compte par les diplomates. Dans la mesure où ils contiennent des appréciations politiques détaillées, ces do-cuments sont aussi diffusés à travers les réseaux des fondations dans le champ politique central et périphérique, auprès des personnalités intéressées par les questions internationales.

En Allemagne, le mécanisme de formulation et de mise en œuvre des politiques extérieures implique une coopération étroite entre les ministères et organisations non étatiques, d’où la qualification d’« administration corporatiste » (korporatistische

Ver-waltung)14. Dans cette configuration, en reconnaissant certains

pu-bliques, ainsi que des moyens qui contribuent à leur institu-tionnalisation15.

Face au BMZ, les fondations politiques bénéficient du statut d’« organisations privées » (freie Träger), par opposition aux

« organisations de mise en œuvre » (Durchführungsorganisationen)16. Les

organisations privées bénéficient d’une autonomie importante.

Elles apportent en général leurs propres ressources financières, informationnelles et leur légitimité. Dans ce partenariat fondé sur la complémentarité, les autorités étatiques reconnaissent l’autonomie de fait des organisations privées en échange des res-sources qu’elles fournissent.

Les fondations politiques partagent leur statut particulier avec les organisations confessionnelles proches des Églises catholique et protestante. Cependant, l’autonomie de ces der-nières se fonde sur l’importance de leurs ressources propres. Or, la marge de manœuvre qu’elles possèdent dans leurs rela-tions avec le BMZ ne s’appuie pas sur leur autonomie finan-cière, puisque celles-ci sont financées à 95 % par des fonds publics. Pourtant, malgré ce financement majoritairement éta-tique, le ministère infléchit peu le contenu de leurs projets.