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La transformation des structures de l’aide

Entre européanisation et concurrence

I. L’européanisation par l’élargissement

2. La transformation des structures de l’aide

La Commission européenne a joué un rôle clé dans le processus d’européanisation des politiques d’aide des États membres. Elle s’est servie des règles de la comitologie20 et s’est inspirée de la nouvelle gestion publique – qui a influencé, entre 1992 et 2000, la politique monétaire commune, les politiques européennes sociales et de l’emploi – pour structurer l’avancée des réformes et des négociations.

La Commission a ainsi produit des documents cadres, comme le Livre blanc sur le marché intérieur de 1994 et l’Agenda 2000 de 1997 pour guider l’action des États membres et des candidats sur la reprise de l’acquis communautaire. En 1997,

les Avis de la Commission, mais surtout les Partenariats pour

l’adhésion et les Rapports annuels par pays ont routinisé l’usage

d’objectifs, la définition d’étalons (benchmarks) et la pratique de l’évaluation21. Les années 1994 et 1997 servent donc de repères dans les réformes observées22. En France comme en Alle-magne, la nécessité de trouver l’expertise nécessaire a conduit les ministères à coopérer avec les acteurs économiques et pro-fessionnels.

Renouvellement des structures de l’assistance allemande.

Traditionnellement, la coopération allemande s’appuie sur deux types de réseaux d’expertise : l’assistance aux pays en dévelop-pement et la coopération économique de l’Ostpolitik des années soixante-dix. La GTZ (Gesellschaft für technische Zusammenarbeit), reliée au Ministère fédéral de la Coopération économique (BMZ), la CDG (Carl Duisberg Gesellschaft e.V.) qui dépend du

ministère fédéral des Affaires étrangères (AA), et la KfW

(Kredi-tanstalt für Wiederaufbau) rattachée au ministère fédéral de

l’Économie (BMWi/BMWA) et au ministère fédéral des Fi-nances (BMF) comptent parmi les organisations classiques de la coopération. La promotion de la démocratie est principale-ment assurée par les fondations allemandes, chacune reliée à un parti politique23.

Le Comité Est de l’économie allemande – Ost-Ausschuß

der deutschen Wirtschaft, géré par la Fédération des industriels

allemands, le BDI – constitue l’organe clé de la coopération économique à l’Est. Quelques-uns de ses anciens administra-teurs sont à l’origine du programme Transform24. Dix représen-tations – Koordinierungstellen ou Kost – ont été ouvertes entre 1993 et 1995 pour assurer la coordination institutionnelle dans les pays receveurs.

Avec la définition des critères d’adhésion, le gouverne-ment allemand a mobilisé un troisième type d’expertise, plus technique, qui a engendré, entre 1992-1994 une coopération étroite entre milieux politiques et groupes d’intérêts sectoriels. Les nouvelles instances de délégation ont pris la forme de fon-dations, d’associations et d’entreprises d’intérêt commun25. Elles insistent sur la valeur ajoutée de la coopération entre pro-fessionnels pour critiquer les méthodes des entreprises de con-seil « détachées des réalités du terrain »26.

Ainsi, la GTZ s’est vue concurrencée par la Fondation pour la coopération juridique internationale (Internationale

Rechtliche ZusammenarbeitIRZ Stiftung) dans le soutien à l’État

de droit. Les chambres de commerce et représentations éco-nomiques, regroupées au sein de la SEQUA (Stiftung für

wirtschaftliche Entwicklung und berufliche Qualifizierung), ont fourni

des conseils à la création de chambres de commerce et la for-mation de personnel. Le SES (Senior Experten Service) mobilise plus de 5600 experts retraités de multinationales allemandes, prêts à conseiller les entreprises étrangères.

Ces nouveaux acteurs de l’aide, se sont impliqués, à partir de 1997-1998, dans les programmes européens PHARE, ISPA (fonds structurels), SAPARD (agriculture) et les jumelages

ins-titutionnels. Les intervenants classiques de la coopération alle-mande se sont, quant à eux, réformés. Après sa fusion avec la Fondation allemande pour le développement international (DSE), la CDG a pris un nom digne d’une entreprise de con-seil, InWent. La GTZ s’est impliquée dans la gestion des pro-grammes européens au sein des ministères fédéraux.

Par ailleurs, l’immixtion croissante des Bundesländer dans les politiques européennes, ainsi que la réforme du programme européen PHARE en 1997, ont eu raison de la division tradi-tionnelle entre le Bund et les Länder dans les relations exté-rieures27. La transmission de l’expérience des fonds structurels, mais aussi de la coopération policière ou économique – compé-tences réservées des Länder – a accru l’implication d’acteurs locaux dans les projets européens.

L’impact de l’élargissement sur la coopération française.

En France, la politique d’aide à l’Est a également privilégié la mobilisation des acteurs classiques de la coopération. La DATAR (Délégation à l’Aménagement du Territoire et à l’Action Régionale) a par exemple participé à plusieurs projets financés par la Miceco. Le ministère de l’Économie et des Finances a ouvert trois missions économiques de la DREE (Direction des Relations Économiques Extérieures) en Europe centrale. L’institutionnalisation de relations entre les milieux politiques et les groupes d’intérêt s’est opérée de manière plus progressive. Les premiers projets étaient surtout gérés par la

Fondation France-Pologne pour l’Europe et les Initiatives

France-Hongrie28.Puis, comme en Allemagne, de nouveaux acteurs ont

vu le jour, privilégiant les structures souples du droit français comme le GIP (Groupement d’Intérêt Public) et l’association de Loi 1901.

Ainsi, le ministère de la Justice s’est-il doté, en 1992, d’une agence de coopération, Arpèje –Association pour le re-nouveau et la promotion des échanges juridiques avec l’Europe centrale et orientale – créée par le ministre de l’époque, Robert Badinter, et le Garde des Sceaux Henri Nallet29. Outre une politique active d’aide au commerce extérieur, le MINEFI

(Mi-nistère de l’Économie et des Finances) a mis en place des pro-cédures destinées à soutenir la transition des PECO par le biais de l’Adetef – Association pour le développement des échanges en technologie économique et financière.

À la fin des années quatre-vingt-dix, le gouvernement français a opéré divers changements organisationnels. Après la réforme de 1998 qui entraîna la fusion du ministère des Af-faires étrangères et du secrétariat d’État à la Coopération et à la Francophonie, le pilotage de la coopération des différents mi-nistères avec les pays est-européens fut assuré au sein de la DGCID (Direction Générale de la Coopération Internationale et du Développement) dans le cadre du COCOP (Comité d’Orientation, de Coordination et de Projets).

Les deux pôles de la coopération française ont, dans le même temps, créé des organes similaires de coordination : le GIP FCI(France Coopération Internationale) et le GIP Adetef. L’élargissement à l’Est représentait un des objectifs premiers afin de disposer d’un « pool d’experts […] pour des missions de durée

intermédiaire, par exemple pour l’encadrement des jumelages de l’UE »30.

Les grandes lignes de la coopération étaient arrêtées par le CICID (Conseil Interministériel de la Coopération Interna-tionale et du Développement), présidé par le Premier ministre. Avec la réforme, certains ministères créent des agences chargées de l’ingénierie administrative et de la mise en valeur du savoir français au sein des programmes européens et interna-tionaux. Ainsi, en 1998, le ministère de la Justice crée-t-il Acoju-ris (Association pour la coopération juridique et judiciaire in-ternationale) sur le modèle d’Arpèje. En 2003, les deux struc-tures fusionnent au sein d’un GIP afin de répondre aux appels d’offres internationaux. En 2001, le ministère de l’Intérieur initie CIVI.Pol Conseil pour promouvoir l’expertise française en matière de sécurité civile et de sûreté-police ou assurer la for-mation de policiers, gardes-frontière et spécialistes des drogues et stupéfiants.

Malgré des formes différentes, les initiatives allemandes et françaises ont suivi des parcours similaires. Les cadres nor-matifs – conditions d’adhésion – et les cadres d’action

intro-duits pour gérer l’élargissement ont eu un impact non négli-geable sur les États membres. C’est pourquoi nous concluons à

une européanisation des politiques d’aide française et allemande.

Celle-ci n’implique pas de convergence des structures, ni de mise en commun des moyens, seulement une participation ponctuelle à des projets européens comme les jumelages insti-tutionnels. Cependant, la mobilisation des réseaux, anciens et nouveaux, ne s’est pas limitée au contexte de l’adhésion.