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Premier chapitre « Visual turns » Circulations : material, digital and web turn

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Mon point de départ n’est pas interne à l’histoire de l’art mais se situe dans une plus large sphère culturelle et visuelle, dont les transformations récentes permettent de relire la définition traditionnelle de paysage en tant que genre artistique ou concept géographique pour l’élargir aux champs de la culture populaire et de l’histoire sociale. L’actuelle production de flux d’images et leur circulation à travers les médias, les supports et les dispositifs introduisent dans la culture visuelle contemporaine des nouveaux « tournants » qui s’ajoutent aux précédents tournants culturel, pictural ou iconique. L’idée est d’enquêter sur le paysage à l’époque numérique à travers une approche de la culture matérielle, attentive à la vie des images et aux transferts culturels. En effet numérisation ne veut pas dire littéralement « dématérialisation ». Il y a bien une « matérialité numérique » et des conséquences sur la production et la diffusion des images, car, par exemple, le fait de savoir si une photographie sera collectée dans un album de voyage, exposée dans un musée et ensuite imprimée dans un catalogue ou au contraire postée sur un site web ou un social network peut influencer l’acte même de la prendre et ensuite sa réception (qui à son tour peut redéfinir son « sens initial »).

La culture visuelle du paysage étant mon cadre d’étude, et les cultures visuelles françaises, américaines et italiennes faisant partie de mes champs de recherche, j’entreprendrai une relecture de la culture visuelle à la lumière de ses transformations récentes. Il s’agit à la fois d’enquêter sur les relations entre culture visuelle, histoire et histoire de l’art à travers une approche qui repense les images en tant que pictures – dans leurs aspects matériels et dans les échanges internationaux101 – et de montrer comme le lien entre art et culture visuelle (et en général entre art, économie, politique et société) est plus fort aux États-Unis que dans des pays ou les traditions des histoires de l’art sont plus anciennes, ce qui explique en partie le retard de la diffusion des études de culture visuelle en France et en Italie. Plus qu’ailleurs probablement, l’histoire de l’art

101 Voir Rachael Ziady DeLue, Picturing (Chicago ; Paris : Terra Foundation for American Art, 2016), où on

s’intéresse au terme picture pour mettre l’accent sur les idées d’opérativité et de situation, les théories et les biographies des images et des objets. Par exemple dans l’essai « Conjuring in Fog : Eadweard Muybridge at Point Reyes » Elizabeth W. Hutchinson se focalise sur les conditions matérielles qui ont influencé les prises photographiques (donc aussi à l’expérience avec le paysage) et aux fonctions que ces photographies devront avoir, pour montrer que souvent la production des images est influencée par les usages prévus.

et de la culture visuelle américaines sont des histoires de « circulations » à travers lesquelles se matérialisent des formes de représentations.

Comme l’a expliqué François Brunet dans l’introduction au volume d’essais intitulé Circulation, « Introduction : No Representation without Circulation », ce concept est utilisé comme catégorie critique : « How have pictures and objects – in different periods – acquired meaning, worth, agency, form, even aesthetic status, by moving, or, more generally, by gaining ‘currency’ or ‘use’ ? ».102 Non seulement l’histoire de l’art et de la culture visuelle serait destinée à devenir une géographie, mais la géographie habite aussi les images – dans leur dimension de pictures – en tant qu’objets qui se déplacent dans l’espace. Dans le cadre d’une histoire de conservation et de transmission des œuvres – provenance, exposition, publication, réception, collecte et cartographie – ces pratiques ont été rendues plus faciles par l’expansion des techniques de reproduction, et la rapidité et l’intensité de la circulation actuelle des images numériques requiert donc une perspective de la longue durée qui remonte au moins à l’époque moderne, en conjonction avec le développement de l’économie de marché et la mobilité croissante des objets et des personnes.103 François Brunet oppose ensuite une approche « a-picturale » – qui s’intéresse aux vies des images et aux effets des contextes – à l’approche moderniste (qui mènera à la de- contextualisation des œuvres, exemplifiée par les écrits de Clement Greenberg)104 et nativiste (qui voit leur américanité naitre exclusivement de l’environnement local plutôt qu’à travers des rencontres et exchanges avec des cultures différentes, européennes ou autres).105 Le concept de

circulation n’est donc pas intéressant seulement pour la façon par laquelle il mélange l’art avec le non-art, mais aussi pour son utilisation en tant que procédure générique de l’histoire sociale de l’art américain : « we propose to use circulation (and noncirculation) as a methodological concept that is apt – particularly in the American contexts – to supplement the more abstract notions of visibility and invisibility, and to anchor the logic of representation and nonrepresentation in a material history ».106

102 François Brunet, « Introduction : No Representation without Circulation », dans François Brunet, Circulation

(Chicago ; Paris : Terra Foundation for American Art, 2017), p. 13.

103 Ibid., p. 12.

104 Voir en particulier l’essai « Avant-Garde and Kitsch » (1939) dans Clement Greenberg, Art and Culture: Critical Essays (Boston: Beacon Press, 2006).

105 Voir par exemple William Dunlap, History of the Rise and Progress of the Arts of Design in the United States

(New York: G.P. Scott, 1834) et James Thomas Flexner, History of American Painting. The Native School from

Thomas Cole to Winslow Homer 3, 3 (New York: Dover publications, 1962).

106 François Brunet, « Introduction : No Representation without Circulation », dans François Brunet, Circulation, op. cit., p. 32.

En effet les critiques des études de la culture visuelle, concernent le risque de dispersion ou superficialité et le manque d’autocritique disciplinaire (notamment dans les relations avec l’histoire de l’art)107, ainsi que celui d’un discours de l’Ouest sur l’Ouest. Ce problème est au centre de l’œuvre de James Elkins Visual Cultures108, qui se propose d’explorer le concept de « visuel » dans diverses cultures nationales, en s’éloignant de l’approche du Global Art et en reprenant un discours sur les dimensions nationales qui avait été un peu éclipsé et considéré comme domaine de l’histoire de l’art traditionnelle. Tenant compte de ces critiques et discussions, ma recherche assume la validité de la perspective culture visuelle tout en se basant sur le concept de circulation comme méthodologie pour interroger la notion de paysage et le rôle de ses images dans la construction des identités visuelles (culturelles et nationales). Si comme l’a affirmé Nicholas Mirzoeff, la culture visuelle est mieux définie comme une « tactique » plutôt que comme une discipline académique109, les « études visuelles » (visual studies) peuvent être considérées comme « un corpus hétérogène et conflictuel de théories politiques, sociales et culturelles d’inspiration anglo-américaine, centrées sur les problématiques visuelles et/ou fondées sur des catégories iconiques ».110 Retracer la généalogie et les géographies de ce champ « en miroir »111 et « en question »112 nous mène non seulement à interroger ses relations avec les méthodologies de l’histoire et de l’histoire de l’art, mais aussi à faire le constat de la diffusion d’approches issues de la culture visuelle dans les sciences sociales et à la croisée entre art

107 Voir James Elkins, Visual Studies : A Skeptical Introduction. (Hoboken : Taylor and Francis, 2013) ; Carlo A.

Célius et al., « Interview with James Elkins », Perspective. Actualité En Histoire de l’art, no 2 (5 décembre 2015),

https://doi.org/10.4000/perspective.6056. Je renvoie aussi au questionnaire sur la culture visuelle proposé à des historiens de l’art et publié dans la revue « October » en 1996, qui a été reproduit dans Gil Bartholeyns, éd.,

Politiques visuelles (Dijon : les presses du réel, 2016). 108 James Elkins, Visual Cultures (Bristol: Intellect, 2010).

109 « It is not just a part of your everyday life, it is your everyday life ». Nicholas Mirzoeff, The Visual Culture Reader (London : Routledge, 1998), p. 3.

110 Maxime Boidy, Les études visuelles (Saint-Denis : PU Vincennes, 2017). L’auteur cite aussi Guy Debord, qui

dans La Société du spectacle (1967) définit la culture visuelle non pas un ensemble d’images, mais « un rapport social entre des personnes, médiatisé par des images » (p. 7).

111 Gil Bartholeyns, « Un bien étrange cousin, les “visual studies” » dans Politiques visuelles (Dijon : les presses du

réel, 2016), p. 4-28. L’auteur parle d’un champ qui aurait pour objet sa propre épistémologie et de trois niveaux qui le composeraient (formation académique, somme des travaux, métadiscours), ainsi que du caractère cofondant de sa configuration (né de différentes traditions intellectuelles, dans le but de s’occuper de toutes les images et de tous les régimes scopiques). Voir aussi son chapitre « Voir Le Passé : Histoire et Cultures Visuelles / Seeing the Past : History and Visual Cultures » dans A Quoi Pensent Les Historiens ? Faire de L’Histoire Au XXIe Siècle, Dir. Ch. Granger, Paris, Autrement, 2013, p. 118-134.

112 Voir le compte rendu de Camille Rouquet, « Symposium “Visual Studies / Études visuelles : un champ en

question”. Université Paris 7, Institut Charles V, October 20-22, 2011 », Transatlantica. Revue d’études

contemporain et science à l’époque numérique, où la nécessité d’une visual literacy113 se fait de plus en plus pressante.

Depuis leur « théorisation » et « institutionnalisation » dans les années 1990 dans les pays anglophones – qui voient l’émergence de programmes universitaires et de readers – les études en culture visuelle se proposent comme interdisciplinaires, transdisciplinaires ou « de- disciplinaires »114, à travers une approche culturelle115 ou anthropologique116, qui vise à aller au- delà de la suprématie artistique pour élargir l’histoire de l’art à une histoire des images plus générale117, capable d’exprimer l’esprit d’une époque et de contribuer à la création d’une histoire, d’une mémoire ou d’un imaginaire collectifs. La mise en discussion de la supériorité des images artistiques est partagée par la Bildwissenschaft allemande (« science » ou « théorie de l’image »), qui a pourtant, comme l’expliquent Andrea Pinotti et Antonio Somaini, une généalogie différente et un rapport avec l’histoire de l’art beaucoup moins conflictuel, grâce aussi à des auteurs comme Erwin Panofsky et Aby Warburg qui s’étaient déjà intéressés par exemple aux images photographiques dans les premières décennies du XXe siècle.118

Prenant acte du flux d’images croissant dans la société contemporaine, le tournant « pictural »119 ou « iconique »120 dans les sciences humaines et la rupture avec le tournant « linguistique » indiqué par Richard Rorty en 1967, vise à donner plus d’attention aux possibilités cognitives des représentations non verbales, leur différence iconique et leur logique visuelle, et à revisiter la question des rapports entre images et textes. Il ne s’agit pas seulement d’un progressif

113 Déjà Nicholas Mirzoeff dans The Visual Culture Reader (1998) indiquait l’écart entre l’évolution de l’expérience

visuelle et le retard du développement des instruments de son analyse. Récemment André Gunthert a parlé de la possibilité d’une éducation populaire à l’image dans L’image partagée : la photographie numérique (Paris : Editions Textuel, 2015).

114 François Brunet, « Théorie et politique des images : W. J. T. Mitchell et les études de visual culture », Études anglaises, Tome 58, no 1 (2005): 82-93, https://www.cairn.info/revue-etudes-anglaises-2005-1-page-82.htm, p. 83.

115 Qui intègre des objets de culture de masse comme le cinéma, la photographie et la télévision, mais aussi des

problématiques liées aux questions postcoloniales ou de genre. Voire entre autres W. E. B. Du Bois, Fredric Jameson, Edward Said.

116 Voir Hans Belting, Pour une anthropologie des images (Paris : Gallimard, 2004). L’auteur considère l’image

comme un phénomène anthropologique, dans sa production mentale et physique, et introduit la triade « medium, image, corps », ainsi que l’idée que la photographie transforme le monde en une archive d’images.

117 Voir aussi David Freedberg, Le pouvoir des images (Paris : G. Monfort, 1998), où l’auteur explique dans son

introduction que « ce livre ne traite pas d’histoire de l’art […] mais de toutes les images ».

118 Andrea Pinotti et Antonio Somaini, Cultura visuale : immagini, sguardi, media, dispositivi (Torino : Einaudi,

2016), p. 24-37.

119 Je renvoie à la trilogie de W. J. T. Mitchell : Iconology : Image, Text, Ideology (Chicago : University of Chicago

Press, 1986) ; Picture Theory : Essays on Verbal and Visual Representation (Chicago ; London : University of Chicago Press, 1994) ; What Do Pictures Want ? The Lives and Loves of Images (Chicago : University of Chicago Press, 2006).

déplacement de la pensée moderne du mot vers l’image (la pensée et l’expérience par l’image), mais aussi, comme l’explique W. J. T.Mitchell dans Picture Theory, de passer d’une théorie des images (d’une tentative de maîtriser le champ de la représentation visuelle avec le discours verbal) à « imager la théorie » : « ‘The Pictorial Turn’ looks at the way modern thought has re- oriented itself around visual paradigms that seem to threaten and overwhelm any possibility of discursive mastery. It looks at pictures ‘in’ theory and at theory itself as a form of picturing ».121

La culture visuelle trouve son terrain de prédilection dans le contemporain et le « vernaculaire », mais elle a pour véritable sujet les rapports de l’image et du pouvoir, et est aussi marquée par la référence récurrente à la sémiologie, au structuralisme et plus généralement à la French Theory des années 1960-1980 (Roland Barthes, Michel Foucault, Jean-François Lyotard).122 On parle de culture visuelle à un moment historique particulier pour considérer non seulement les images en elles-mêmes et leurs supports, mais aussi les images en tant que miroirs des sociétés, leurs mécanismes de production, de diffusion et de réception, les usages sociaux et politiques, les dispositifs de la vision et les modalités du regard dans leurs contextes culturels. Dans le récent volume en italien Cultura visuale: immagini, sguardi, media, dispositivi (Culture visuelle : images, regards, médias et dispositifs) Andrea Pinotti et Antonio Somaini expliquent qu’étudier les images et la vision à travers ce concept implique précisément d’« examiner tous les aspects formels, matériels, technologiques et sociaux qui contribuent à situer des images et des actes de vision déterminés dans un contexte culturel précis ».123 Les auteurs entreprennent une

historiographie et une cartographie des études en culture visuelle, retraçant un double héritage : celui de l’histoire de l’art entre XIXe et XXe siècle, et celui des théories de la photographie et du cinéma dans les années 1920 et 1930.124

C’est en effet à la fin du XIXe siècle que se développe une nouvelle culture visuelle liée au concept de reproductibilité technique et à une nouvelle perception des espaces et des distances, grâce aux évolutions des moyens de transport, des architectures et des technologies optiques. Walter Benjamin, dans son œuvre inachevée sur les « passages de Paris »125, trouve dans les transformations de la culture matérielle de ce moment historique les racines des transformations

121 W. J. T. Mitchell, Picture Theory, op. cit., p. 9.

122 François Brunet, « Théorie et politique des images », op. cit., p. 84-85.

123 « prendere in esame tutti gli aspetti formali, materiali, tecnologici e sociali che contribuiscono a situare

determinate immagini e determinati atti di visione in un contesto culturale preciso ». Andrea Pinotti et Antonio Somaini, Cultura visuale, op. cit., p. xiv.

qui lui étaient contemporaines (les années 1930) et parle du rôle de certains matériaux de construction (comme le fer et le verre), ou de formes de représentation (comme le diorama, le panorama et la lanterne magique, mais aussi le daguerréotype et le stéréoscope) dans la redéfinition des perceptions et des désirs sociaux. Les coordonnées du visible et du sensible se transforment entre forces technologiques et sociales : elles sont médiées et configurées grâce à une série de dispositifs techno-matériels qui se transforment historiquement et réorganisent à leur tour la perception. Si la culture visuelle et matérielle décrite par Walter Benjamin est limitée au contexte urbain, voire parisien, et reflète donc une vision occidentale et avant-gardiste, comme l’explique Vanessa Schwartz « ces qualités mêmes de la modernité (la centralisation, l’étatisme, l’émergence de la nouveauté, etc.) rendirent possible l’internationalisation d’une culture d’abord essentiellement locale ».126 La fonction de la nouvelle culture visuelle était à la fois de créer une culture mobile et en même temps d’une portée géographique potentiellement illimitée. Dans son essai le plus connu – L’Œuvre d’art à l’époque de sa reproduction mécanisée – Walter Benjamin parle des conséquences de la reproduction, de l’exposition et de la réception de l’œuvre, qui en modifient l’essence et les fonctions : des nouvelles pratiques contrebalancent la perte de l’« aura », c’est à dire la possibilité de faire l’expérience de l’œuvre dans son unicité et authenticité, dans son « rituel », son moment et son contexte historique précis.127

Sans ignorer les différences historiques, nous pouvons ici faire un parallèle avec les nouvelles valeurs de l’« image pauvre » à l’époque du tournant informationnel et de la déterritorialisation capitaliste, ainsi que l’a théorisée Hito Steyerl : une copie en circulation, de mauvaise qualité, le fantôme d’une image, une idée errante et itinérante qui « transforms quality into accessibility, exhibition value into cult value, contemplation into distraction ».128 Par ailleurs, l’idée d’« image partagée »129 telle que la décrit André Gunthert – une image fluide et connectée grâce aux évolutions de l’informatique, la téléphonie et le web, qui ont étendu ses usages et son

125 Walter Benjamin, Paris, capitale du XIXe siècle: le livre des passages (Paris: Éditions du Cerf, 1997).

126 Quentin Deluermoz et al., « Le XIXe siècle au prisme des visual studies. Entretien de Quentin Deluermoz et

Emmanuel Fureix avec Manuel Charpy, Christian Joschke, Ségolène Le Men, Neil McWilliam, Vanessa Schwartz »,

Revue d’histoire du XIXe siècle. Société d’histoire de la révolution de 1848 et des révolutions du XIXe siècle, no 49

(1 décembre 2014): 139-75, https://doi.org/10.4000/rh19.4754, p. 151.

127 Walter Benjamin, L’Oeuvre d’art à l’époque de sa reproduction mécanisée (Paris : F. Lacan, 1936).

128 Hito Steyerl, « In Defense of the Poor Image - Journal #10 November 2009 - e-Flux », https://www.e-

flux.com/journal/10/61362/in-defense-of-the-poor-image/. Voir aussi Hito Steyerl, The Wretched Of The Screen, The

Wretched Of The Screen (Berlin : Sternberg P., 2012).

129 André Gunthert, « L’image partagée. Comment internet a changé l’économie des images », Études photographiques, no 24 (9 novembre 2009): 182-209, http://journals.openedition.org/etudesphotographiques/2832.

accessibilité – a moins à voir avec une transformation de la qualité des images que de leur transmission.

On peut donc affirmer que la « révolution » numérique tient moins au protocole d’enregistrement qu’à l’architecture de stockage, de diffusion, de reproduction et de circulation des images (création des entreprises nord-américaines et en particulier des géants du web ou « GAFAM »), et de cette façon contribue puissamment au tournant visuel.130 Les tournants visuels qui affectent le paysage contemporain concernent donc la possibilité de reproduire plus facilement son image, mais encore plus l’intensité de sa circulation, qui redéfinit à son tour la qualité de la représentation, souvent au profit de la mobilité (comme dans le cas des « images pauvres »). Dans la culture visuelle contemporaine les images de paysage, traditionnellement considérées comme des vues picturales stables dans l’espace et dans le temps, se retrouvent ainsi disséminées et dispersées dans toutes les directions.

La photographie dans les tournants numérique et web

Dans son article sur la photographie et ses « ruptures et continuités autour du tournant numérique »131 Enrico Menduni parle aussi d’un nouvel iconic turn en lien avec la circulation accrue des images photographiques, et identifie deux phases de cette mutation. La première concerne la numérisation des moyens de (re)production photographique, la deuxième la numérisation des formes et modalités de diffusion et de consigne immatérielle (ce qu’on pourrait appeler le « tournant web ») et qui peut être retracée à partir de l’année 2006, quand le développement du wifi et des smartphones permettent de poster ses propres images directement sur internet, à travers des plateformes de production, distribution et partage en ligne, des communautés et des social networks. La numérisation des moyens de (re)production conduit à une nouvelle ubiquité et portabilité des appareils photographiques (introduits dans les téléphones portables à partir de 2002 environ) et donc à une diffusion sociale comparable à celle alimentée par le développement des technologies amateur Kodak à la fin du XIXe siècle. La réduction de l’intentionnalité et la transformation de l’acte photographique en pratique quotidienne renforcent

130 Voir François Brunet, « La révolution numérique a-t-elle eu lieu ? », dans François Brunet, dir., L’Amérique des images : histoire et culture visuelles des États-Unis (Paris : Hazan : Université Paris Diderot-Paris 7, 2013), p. 364-

365.

131 Enrico Menduni, « Fotografia Prima e Dopo : Rotture e Continuità Intorno Alla Svolta Digitale », Comunicazioni sociali, n° 1 (2016) : 15-23.

la fonction de la photographie comme prothèse mémorielle.132 Les nouveaux dispositifs développés à partir de la deuxième phase de la numérisation comme les tablettes, les urban

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