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La première étude de la thèse avait pour objectif d’examiner plus spécifiquement la présence d’une relation non linéaire entre le névrosisme et la satisfaction conjugale de l’individu et de son partenaire. Les résultats ont permis de confirmer l’hypothèse d’une association curvilinéaire entre ces variables, et ce, tant pour l’individu (effet acteur) que pour son partenaire (effet partenaire). En plus d’appuyer la nature dyadique des relations entre la personnalité et l’ajustement des conjoints, les résultats de l’article mènent à trois conclusions importantes. Premièrement, la nature de l’association observée met pour la première fois en lumière la relation positive entre des doses très faibles à faibles de névrosisme et la satisfaction conjugale. Contrairement aux conclusions tirées des études portant exclusivement sur la relation linéaire négative entre ces variables, les présents résultats suggèrent qu’un très faible névrosisme ne prédit pas les niveaux les plus élevés de satisfaction conjugale. Au contraire, à des doses très faibles, ce trait semble constituer un facteur de vulnérabilité au plan de l’ajustement des conjoints. Étant donné le manque de conscience face à la menace et l’optimisme irréaliste dont tendent à faire preuve les individus présentant un très faible névrosisme (Widiger & Costa, 2013), ceux-ci sont susceptibles de mal repérer les signaux indiquant la présence d’expériences potentiellement négatives ou d’anticiper difficilement les risques dans leur prise de décision, augmentant ainsi la probabilité que les conjoints soient exposés à d’éventuels stresseurs. De plus, ces individus sont à risque

d’être peu conscients de l’apparition de difficultés dans leur relation de couple et donc, peu enclins à s’engager dans des comportements visant à résoudre adéquatement ces difficultés. Au plan des interactions entre les conjoints, le manque de réactivité émotionnelle pourrait diminuer l’empathie face à l’expression normale d’émotions négatives de la part du partenaire qui serait, de leur point de vue, considérée comme exagérée. Cet individu pourrait, en retour, être perçu par son partenaire comme étant froid, distant ou désengagé au plan émotionnel.

La relation initialement positive entre le névrosisme et la satisfaction conjugale suggère également qu’un niveau faible de ce trait de personnalité soit bénéfique au plan de l’ajustement des conjoints. Ces résultats appuient les propositions théoriques quant aux aspects adaptatifs d’un certain degré de névrosisme (Watson & Casillas, 2003). Ainsi, les individus présentant des niveaux faibles de névrosisme seraient plus enclins à confronter leurs réactions internes, à analyser leurs pensées et leurs émotions et à en discuter avec le partenaire. Cette sensibilité aux émotions négatives permettrait à l’individu d’utiliser celles-ci afin de mieux détecter les difficultés potentielles au sein de sa relation, de prévenir l’exposition des conjoints à des expériences négatives et de motiver l’investissement dans des comportements de résolution de problème visant à préserver la qualité de la relation de couple. Contrairement aux individus présentant un névrosisme très élevé chez qui l’expérience d’affects négatifs intenses taxe les capacités d’adaptation, une réactivité appropriée aux émotions négatives favoriserait l’utilisation de stratégies de résolution de problème efficaces (Watson & Casillas, 2003).

Au-delà de doses faibles de névrosisme, les résultats reproduisent la relation négative bien documentée entre ce trait de personnalité et la satisfaction conjugale. Ainsi, à des doses modérées à élevées, le névrosisme constitue un facteur de vulnérabilité au plan de l’ajustement conjugal ayant des impacts néfastes tant sur l’occurrence et l’adaptation aux stresseurs vécus au sein du couple (Brock & Lawrence, 2014) que sur la qualité des échanges comportementaux entre les conjoints (Caughlin et al., 2000; Donnellan et al., 2004; McNulty, 2008). En somme, la nature de l’association curvilinéaire observée, en plus de souligner les aspects adaptatifs d’un certain degré de névrosisme, apporte un appui empirique à l’hypothèse de tendances non adaptatives aux deux extrémités des pôles de cette dimension de la personnalité.

Il importe de souligner que les liens curvilinéaires entre le névrosisme et la satisfaction conjugale de l’individu et de son partenaire ne semblent pas résulter de l’impact d’autres variables personologiques, tel que l’ont suggéré les analyses visant à contrôler pour la contribution des autres dimensions de la personnalité. Cette investigation est un aspect original de la thèse et constitue une avancée importante puisque ce type de contrôle n’est généralement pas effectué dans les études visant à examiner la relation entre les dimensions du modèle en cinq facteurs et la satisfaction conjugale. En plus de souligner la robustesse de l’association

curvilinéaire entre le névrosisme et la qualité des unions, ces analyses ont permis d’observer une relation positive entre l’ouverture à l’expérience ainsi qu’entre l’amabilité et la satisfaction conjugale de l’individu et de son partenaire. Ces associations positives sont cohérentes avec les conclusions rapportées dans les écrits scientifiques. Les bénéfices de l’ouverture à l’expérience découleraient d’une plus grande tolérance face aux divergences de point de vue entre les conjoints et d’une plus grande ouverture face à la communication et à l’expression des émotions (Bouchard et al., 1999; Piedmont & Rodgerson, 2013). Au plan de l’amabilité, le souci de maintenir des interactions positives avec le conjoint, caractéristique des individus qui en présentent des degrés élevés, serait favorable à la qualité des échanges comportementaux au sein du couple (Donnellan et al., 2004). Bien que cette investigation ne soit pas l’objectif de la présente thèse, il est probable que les liens entre ces traits de personnalité et la satisfaction conjugale soient eux aussi de nature non linéaire. En effet, la documentation en psychologie clinique de la personnalité suggère que si, à des doses très faibles, l’ouverture à l’expérience est caractérisée par une rigidité et une fermeture au plan des valeurs et des opinions (Widiger & Costa, 2012), à des doses très élevés, elle serait caractérisée par une recherche de nouveauté exagérée qui placerait l’individu à risque d’être rapidement ennuyé et enclin à considérer des alternatives à sa relation (Solomon & Jackson, 2014). Au plan de l’amabilité, alors que des doses très faibles seraient caractérisées par l’antagonisme, l’égocentrisme et la manipulation, des doses très élevées traduiraient une tendance à la dépendance, à la soumission et au sacrifice de soi exagéré (Samuel & Gore, 2012; Widiger & Costa, 2012). Les impacts de ces tendances non adaptatives sur la qualité des unions devront faire l’objet de recherches futures.