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Les conclusions de la présente thèse ont une importance scientifique majeure puisque, en plus d’appuyer empiriquement pour une première fois la relation non linéaire entre le névrosisme et l’ajustement des conjoints, les résultats des deux études démontrent que cette relation se généralise à différents indicateurs du fonctionnement conjugal. Étant donné le caractère très novateur de ces observations, la constance de l’association curvilinéaire entre le névrosisme et divers indicateurs de l’ajustement au sein du couple permet de renforcer notre confiance en la validité des conclusions de la thèse.

Il importe de noter que l’examen visuel des associations entre le névrosisme et la satisfaction conjugale et sexuelle permet de constater que les conséquences néfastes d’un névrosisme très faible ne semblent pas aussi importantes que celles d’un névrosisme très élevé. Ces impressions ne peuvent toutefois pas être testées empiriquement puisqu’il n’est pas possible de décomposer les différentes portions de la courbe afin de comparer statistiquement leur taille d’effet respective. En d’autres termes, il n’existe pas de technique statistique permettant de vérifier la présence de différence significative entre le segment représentant une relation positive entre le névrosisme et la satisfaction conjugale et le segment représentant une relation négative entre ces variables. L’examen visuel de la relation nous permet tout de même de tirer des conclusions qui méritent d’être soulignées.

L’impact négatif marqué de degrés élevés de névrosisme pourrait expliquer pourquoi une relation linéaire négative est observée de façon aussi systématique au sein des études. Néanmoins, la relation non linéaire observée entre le névrosisme et la satisfaction conjugale et sexuelle permet de raffiner notre

compréhension du rôle de ce trait de personnalité en démontrant que non seulement des doses très faibles de névrosisme ne sont pas optimales au plan relationnel, comme le laisse croire l’examen d’associations purement linéaires, mais qu’elles constituent des tendances non adaptatives se répercutant négativement sur le fonctionnement conjugal.

L’asymétrie importante de la relation curvilinéaire observée pourrait également être le reflet de certaines caractéristiques du NEO-FFI. En effet, Haigler et Widiger (2001) ont proposé que la version longue du NEO-FFI, le NEO-PI-R (Costa & McCrae, 1992) ne correspond pas suffisamment à la nature des dimensions du modèles en cinq facteurs qu’il tente de mesurer. Par exemple, les auteurs ont observé que seulement 2% des items du NEO-PI-R réfèrent à des tendances non-adaptatives de scores faibles de névrosisme. Cooker et al., (2002) ont également observé que la distribution des traits désirables et indésirables n’est pas équilibrée entre les deux pôles des dimensions du modèle en cinq facteurs et qu’il existe beaucoup plus de traits indésirables au pôle élevé du névrosisme qu’au pôle faible de cette dimension. Il semble donc que la présence d’aspects non-adaptatifs à des scores très faibles de névrosisme soit sous- représentée au sein du NEO-PI-R, et par conséquent du NEO-FFI, comparativement aux aspects indésirables d’un névrosisme élevé. Par ailleurs, Carter et al., (2013) ont formulé une critique de la méthode classique de calcul des scores de personnalité, stipulant qu’elle pourrait expliquer l’incohérence des résultats des études portant sur l’association curvilinéaire entre la propension à être consciencieux et la performance au travail. Le modèle de la dominance (dominance model measurement), traditionnellement utilisé en psychologie de la personnalité, postule que plus un individu présente un degré élevé d’un trait de personnalité, plus il endossera les items mesurant ce trait. Le modèle du point idéal (ideal point measurement) postule quant à lui qu’un individu est plus susceptible d’endosser un item s’il se situe très près de sa position réelle sur le continuum. En ce sens, si un item est trop extrême ou trop peu extrême, les chances que l’individu l’endosse seront plus faibles. La probabilité que l’individu endosse fortement un item est donc fonction de la distance entre la position de l’individu et la position de l’item sur le continuum. Ainsi, les auteurs suggèrent qu’un item tel que «J’aime suivre les règles» pourrait être coté «neutre» par un individu ayant des niveaux très élevés de propension à être consciencieux puisque l’item ne représente pas suffisamment une variante extrême de ce trait de personnalité. Par conséquent, suivant le modèle de la dominance, un individu dont la position réelle se situe à l’extrémité d’une dimension est susceptible d’obtenir par erreur un score modéré sur l’échelle de personnalité (Carter et al., 2013). Étant donné la sous-représentation des items correspondant à un niveau faible de névrosisme au sein du NEO-FFI, les individus se situant à l’extrémité faible de cette dimension sont peu susceptibles d’y retrouver des items qui les caractérisent. Ainsi, le NEO-FFI risque d’être moins sensible à des niveaux très faibles et faibles de névrosisme, menant à une moins bonne estimation de la position de ces individus sur la dimension. Le manque de précision du questionnaire au pôle faible du névrosisme pourrait

donc en partie expliquer l’asymétrie importante de la courbe observée dans la relation curvilinéaire entre le névrosisme et le fonctionnement conjugal.

Néanmoins, les observations faites au sein de la recherche doctorale constituent une avancée importante dans le domaine de la psychologie du couple. Dans un premier temps, elles permettent d’approfondir de façon notoire notre compréhension du rôle complexe du névrosisme au plan de l’ajustement conjugal. En plus de confirmer, dans un échantillon clinique, les impacts néfastes d’un névrosisme élevé, la présente recherche doctorale documente comment, à des doses très faibles, le névrosisme constitue également un facteur de vulnérabilité au plan relationnel. Si cette hypothèse recevait un certain soutien dans la documentation scientifique dans le domaine de la personnalité, elle était largement ignorée par les chercheurs en psychologie conjugale. La découverte d’une association curvilinéaire entre le névrosisme et la satisfaction conjugale et sexuelle pave la voie à l’étude de relations semblables entre les autres dimensions du modèle en cinq facteurs et l’ajustement des conjoints. Cette hypothèse de relations non linéaires pourrait expliquer les résultats parfois divergents pour certains traits de personnalité, notamment l’extraversion et l’ouverture à l’expérience (Heller et al., 2004; Malouff et al., 2010), et permettre de représenter de manière beaucoup plus juste la nature réelle des liens entre les dimensions du modèle en cinq facteurs et les phénomènes relationnels au sein du couple. De la même manière, la relation curvilinéaire observée dans les études présentées au sein de la thèse permet de suggérer une association semblable entre le névrosisme et d’autres variables conjugales. Par exemple, Daspe, Lussier et Sabourin (2014) ont observé une relation curvilinéaire en forme de U entre le névrosisme et l’émission de violence sexuelle. En accord avec les assises théoriques de la thèse, ces résultats suggèrent que tant des doses très faibles que trop élevées de névrosisme constituent des vulnérabilités individuelles susceptibles de jouer un rôle dans le développement de dynamiques dysfonctionnelles entre les conjoints. Par ailleurs, la similarité entre les points d’inflexion retrouvés dans cette étude (scores de névrosisme de 42 pour l’effet acteur et de 46 pour l’effet partenaire), menée sur un échantillon de couples de la communauté, et dans les deux études de la thèse (41 pour l’effet acteur, 42-43 pour l’effet partenaire), menées sur un échantillon de couple de la population clinique, constitue un appui supplémentaire à la validité des conclusions de la thèse. En effet, ces différents résultats soutiennent l’hypothèse théorique proposée quant aux aspects adaptatifs d’un certain degré de névrosisme et aux aspects non adaptatifs de doses extrêmes aux deux pôles de cette dimension et permettent d’exclure avec plus de confiance l’idée d’un effet des caractéristiques de l’échantillon ou des variables.

Dans un deuxième temps, la thèse constitue un des rares efforts visant à étudier le fonctionnement sexuel dans une perspective dyadique, en tenant compte des aspects relationnels de l’union (Dewitte, 2014). Au-delà d’une conception des difficultés sexuelles comme étant un enjeu propre à l’individu lui-même et qui dépend uniquement de ses caractéristiques individuelles, les investigations menées dans la présente thèse

tiennent aussi compte des caractéristiques du partenaire et de la réciprocité entre le fonctionnement sexuel et la qualité de l’union. Cette conceptualisation du fonctionnement sexuel comme étant un phénomène interpersonnel (comme le montrent les associations significatives entre la satisfaction conjugale et sexuelle entre les partenaires) est beaucoup plus cohérente avec les modèles contemporains visant à comprendre le développement des difficultés d’ordre sexuel (Dewitte, 2014, Levine, 2007).

Dans un troisième temps, la thèse comporte des implications significatives pour la recherche en psychologie clinique de la personnalité. En effet, la plus faible satisfaction conjugale et sexuelle associée à des doses très faibles et très élevées de névrosisme constitue un appui empirique aux propositions liant les tendances non adaptatives aux pôles des dimensions du modèle en cinq facteurs à des désordres de la personnalité. Afin d’obtenir du soutien à cette conceptualisation dimensionnelle des troubles de la personnalité, des efforts sont déployés pour documenter les difficultés au plan du fonctionnent de l’individu associées à des scores extrêmes aux dimensions du modèle en cinq facteurs (Mullins-Sweatt & Widiger, 2010). La présente thèse contribue à ces efforts en soulignant les difficultés relationnelles liées à des doses trop faibles et trop élevées de névrosisme. De surcroît, les observations quant à l’impact négatif de doses très faibles de névrosisme revêtent une importance particulière puisque les tendances non adaptatives sur ce pôle spécifique sont beaucoup moins bien documentées que les impacts néfastes de scores extrêmes aux autres dimensions. En effet, les recherches récentes dans le domaine (Boudreaux, Piedmont, Sherman, & Ozer, 2013; McCord et al., 2014) mettent généralement davantage l’emphase sur les aspects délétères de doses élevées au plan de l’extraversion, de l’ouverture à l’expérience, de l’amabilité et de la propension à être consciencieux. Peut-être parce que les impacts néfastes d’un névrosisme élevé sont très bien documentés et que les impacts délétères d’un névrosisme très faible sont moins évidents théoriquement, ces derniers sont généralement négligés au sein des recherches. Les résultats de la thèse démontrent pourtant bien que des difficultés sont toutes aussi présentes à l’extrémité du pôle faible de cette dimension, du moins, au plan du fonctionnement conjugal. Ces conclusions appuient donc la pertinence de la révision théorique du rôle du névrosisme au plan de l’ajustement des conjoints proposée dans la présente thèse.

Les conclusions des deux études ont également des retombées importantes au plan de la pratique clinique. Dans un premier temps, la nature de l’échantillon permet d’obtenir des observations qui se généralisent directement aux couples rencontrés en psychothérapie. Étant donné la large utilisation de couples de la communauté au sein des recherches précédentes, la validation des impacts d’un névrosisme élevé sur l’ajustement des conjoints dans des études menées sur des échantillons cliniques est plus que nécessaire. De surcroît, l’utilisation d’un échantillon provenant de la population clinique a également l’avantage important d’amener une étendue de scores plus grande que ce qui est retrouvé chez des couples de la communauté. L’obtention de scores plus extrêmes aux deux pôles du névrosisme et de scores de

détresse conjugale et sexuelle plus importants est donc avantageuse pour vérifier l’hypothèse d’une relation curvilinéaire entre ce trait de personnalité et le fonctionnement conjugal.

Ensuite, la mise en lumière des conséquences néfastes de doses très faibles de névrosisme contribuera à accroître l’attention des cliniciens sur les difficultés potentielles que peuvent rencontrer les couples dont l’un des conjoints présente ce type de profil. Les thérapeutes conjugaux d’approches diverses sont généralement attentifs aux difficultés associées à de hauts degrés de névrosisme au plan de la régulation des émotions et des impacts sur le développement de dynamiques interactionnelles dysfonctionnelles (Sabourin & Lefebvre, 2008). En plus de soutenir empiriquement, dans un échantillon clinique, les impacts d’un profil marqué par un névrosisme élevé, la présente thèse met en lumière un deuxième profil problématique, soit celui d’un névrosisme très faible. Ce profil est susceptible de rendre l’individu plus vulnérable au plan de la détection et de la mise en action face aux difficultés conjugales. Particulièrement chez les couples de la population clinique qui présentent souvent un tableau complexe au plan des stresseurs et des patrons d’interactions problématiques, le manque de réactivité émotionnelle pourrait contribuer à perpétuer les difficultés plutôt qu’à favoriser leur prise en charge et à soutenir le changement.

Les observations faites au sein de la thèse soutiennent également la pertinence d’utiliser de façon systématique une mesure du névrosisme dans les protocoles diagnostiques et thérapeutiques en psychologie conjugale. En plus de permettre au clinicien de détecter la présence de ces deux profils problématiques et d’en tenir compte dans la planification du traitement, les inventaires de personnalité facilitent l’élaboration d’hypothèses quant à l’origine de patrons d’interactions dysfonctionnels entre les conjoints. Lorsqu’ils sont utilisés dans les séances de rétroaction avec le couple, les informations quant au profil personologique de chacun des partenaires s’avèrent efficaces afin de les aider à reconnaître leurs caractéristiques individuelles et leurs contributions au développement de leurs difficultés (Sabourin & Lefebvre, 2008). La rétroaction quant aux traits de personnalité de chacun, ainsi que des attitudes et comportements qui en découlent, permet également aux conjoints de mieux comprendre leurs réactions respectives et de favoriser la tolérance et l’empathie envers le partenaire. Chez des couples dont les membres présentent des disparités marquées au plan de la personnalité, l’acceptation des différences individuelles et le développement de stratégies de gestion efficaces face à ces différences peuvent constituer des objectifs de traitement de premier plan (Christensen, Doss, & Jacobson, 2014).

La prise en compte des caractéristiques individuelles de chacun des partenaires ainsi que de leur caractère adaptatif ou non-adaptatif peut également constituer une cible d’intervention. En effet, si les facteurs environnementaux ont une influence sur le processus de maturation de la personnalité (Neyer & Lehnart, 2006; Roberts et al., 2006), l’influence de la thérapie en tant que facteur environnemental s’avère probable. En

ce sens, Piedmont (2001) a observé, suite à un traitement intensif pour abus de substance, des changements au plan de la personnalité pour l’ensemble des dimensions du modèle en cinq facteurs et ce, indépendamment des changements au plan de la symptomatologie et de la détresse psychologique. Les résultats ont démontré une augmentation de l’extraversion, de l’ouverture à l’expérience, de l’amabilité et de la propension à être consciencieux. Dans le cas du névrosisme, une diminution de l’ordre d’un demi écart-type a été observée. Des résultats similaires au plan du névrosisme ont également été rapportés suite à des traitements moins intensifs (Bagby, Joffe, Parker, Kalemba, & al., 1995; Trull et al., 1995). Malgré le caractère relativement stable de la personnalité, ces études suggèrent que la plasticité des traits peut constituer un levier thérapeutique important favorisant un processus de maturation. Ainsi, l’investissement des conjoints dans une démarche psychothérapeutique pourrait les mener à s’éloigner des extrémités des pôles pour se situer à des niveaux plus modérés au plan des scores à différentes échelles de la personnalité.