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Les premières tentatives d’incrimination

CONVENTIONNELLE : UN MODE PRIVILEGIE

SECTION 1 : LA DISCRETIONNARITE LAISSEE PAR LES PREMIERES CONVENTIONS REPRESSIVES

A. Les premières tentatives d’incrimination

34. Au commencement, les Etats ont pris conscience de la nécessité de s’accorder, au plan international, sur ce qui était à l’époque, le plus grand fléau de l’humanité : l’esclavage. Cette prise de conscience constitue le socle originel du droit pénal international. (1.) Il s’en suivra d’autres Traités ou accords prévoyant une incrimination nationale du comportement prohibé, dans des termes dépourvus de référence pénale. Cependant, aucune logique particulière n’a été suivie par les Etats qui, petit à petit, se sont accordés dans des domaines disparates, sans lien apparent. (2.)

1. Les origines : l’Accord sur la répression du commerce des esclaves.

35. Le premier texte répressif international fut l’Accord sur la répression du commerce

des esclaves, signé à Londres le 20 décembre 184140. Il n’est pas étonnant de constater que le premier domaine touché par le droit conventionnel pénal soit l’esclavage car les Etats prenaient conscience du caractère inhumain d’une pratique séculaire. Au terme de l’accord de Londres,

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Ce texte s’inspire de la Déclaration des Puissances sur l’abolition de la traite des nègres du 8 février 1815 au terme de laquelle les plénipotentiaires du Congrès de Vienne envisagent l’abolition universelle de l’esclavage car « le commerce connu sous le nom de traite des nègres d’Afrique a été envisagé, par les

hommes justes et éclairés de tous les temps, comme répugnant aux principes d’humanité et de morale universelle ». Cependant, pas la moindre mesure pénale n’est envisagée.

« les Hautes Parties contractantes s’engagent à prohiber toute traite de nègres soit de la part de leurs sujets respectifs, soit sous leurs pavillons respectifs, soit au moyen de capitaux appartenant à leurs sujets respectifs et à déclarer un tel trafic comme crime de piraterie ».41

36. Outre le fait d’être le premier texte répressif à caractère international, ce texte présente l’avantage de synthétiser, autant que faire ce peut, les philosophies et pratiques abolitionnistes. Les cinq grandes puissances du moment que sont la France, l’Angleterre, la Russie, l’Autriche et la Prusse se sont engagées à réprimer la traite des esclaves sur les mers. En assimilant le commerce d’esclaves à un crime de piraterie, les cinq Etats ont donc, dès 1841, assimilé le trafiquant d’esclave au pirate, notamment au travers de sa qualification d’hosti humani generis. Par analogie les Etats signataires ont souhaité appliquer à la répression du trafic d’esclaves, le régime de répression de la piraterie. Bien que premier de sa catégorie, ce texte n’en demeure pas moins lacunaire et restrictif en ce qu’il ne suggère qu’un engagement des Etats signataires à agir et qu’il ne vaut que pour le commerce d’esclaves par voie maritime.42 Or, en aucun cas il ne s’agit d’un réel engagement de prohibition, associé à la prise de mesures répressives.

2. L’absence d’uniformisation sectorielle.

37. Il faut attendre la fin du XIX ème siècle pour retrouver un début d’incrimination dans des conventions qui, à la différence de l’Accord de 1841 n’ont rien de textes à caractère répressif. Le 14 mars 1884, Etats européens, américains et asiatiques se réunissent à Paris pour signer la Convention internationale relative à la protection des

câbles sous-marins.43 Cette convention a pour but de réglementer le régime juridique, l’exploitation et la protection des câbles permettant les communications télégraphiques entre l’Europe et le reste du monde. A une époque de développement des moyens de

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Cité in, Fischer (G.), Esclavage et droit international, Paris, Pedone, 1957, p. 3.

42 Dans les faits, la France a signé l’Accord de Londres mais ne l’a jamais ratifié. Sa position était d’ailleurs ambiguë, d’un côté elle s’engageait internationalement à réprimer le commerce des esclaves mais de l’autre, à la même période, elle légiférait sur la procédure d’emprisonnement des esclaves dans les colonies françaises. L’ordonnance du roi du 1er octobre 1841 stipulait en ce sens que, dans les territoires coloniaux il était reconnu que «le maître ne pourra infliger à l’esclave la peine de l’emprisonnement, que pendant quinze

jours », in Collection complète des lois, Duvergier, 1841, p. 552.

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communication, une protection pénale de ces derniers est apparue nécessaire. C’est pour cela qu’un article 12 dispose que,

« les Hautes Parties contractantes s’engagent à prendre ou à proposer à leurs législatures respectives les mesures nécessaires pour assurer l’exécution de la présente convention, et notamment pour faire punir soit de l’emprisonnement, soit de l’amende, soit de ces deux peines, ceux qui contreviendraient aux dispositions des articles 2, 5 et 6 ».44

38. Dans ce cas spécifique, la convention se veut gardienne de la souveraineté. La protection des premières communications internationales dépend une fois de plus de la volonté de mise en oeuvre des Etats signataires. Son effectivité est conditionnée par des engagements de poursuite. Or, un tel procédé n’est pas, par nature, contraignant, la souveraineté pénale des Etats faisant rempart entre la convention et sa mise en œuvre. Il convient d’ajouter à cela un simple caractère habilitant, qui laisse aux Etats le choix de l’emprisonnement et/ou de l’amende. De ce fait, la matière pénale n’est pas au centre de l’incrimination, les Etats ayant le choix d’une répression strictement pénale ou bien d’une punition administrative.

39. La question de l’esclavage fut de nouveau abordée en 1890 lors de la Conférence de Bruxelles relative à la traite des esclaves africains. A cette occasion il semble que le devoir d’incrimination des Etats ait évolué dans un sens qui leur laisse, toute proportion

44 Article 2 : « la rupture ou la détérioration d’un câble sous-marins, faite volontairement ou par négligence

coupable, et qui pourrait avoir pour résultat d’interrompre ou d’entraver, en tout ou en partie, les communications télégraphiques, est punissable, sans préjudice de l’action civile en dommages et intérêts »,

article 5 : « les bâtiments occupés à la pose ou à la réparation des câbles sous-marins doivent observer les

règles sur les signaux qui sont ou seront adoptées, d’un commun accord, par les hautes parties contractantes, en vue de prévenir les abordages. Quand un bâtiment occupé à la réparation d’un câble porte les dits signaux, les autres bâtiments qui aperçoivent ou sont en mesure d’apercevoir ces signaux doivent ou se retirer ou se tenir éloignés d’un mille nautique au moins de ce bâtiment, pour ne pas le gêner dans ses opérations. Les engins ou filets des pêcheurs devront être tenus à la même distance. Toutefois, les bateaux de pêche qui aperçoivent ou sont en mesure d’apercevoir un navire télégraphique portant lesdits signaux auront, pour se conformer à l’avertissement ainsi donné, un délai de vingt quatre heures au plus, pendant lequel aucun obstacle ne devra être apporté à leurs manœuvres. Les opérations du navire télégraphique devront être achevées dans le plus bref délai. », article 6 : « les bâtiments qui voient ou sont en mesure de voir les bouées destinées à indiquer la position des câbles, en cas de pose, de dérangement ou de rupture, doivent se tenir éloignés de ces bouées à un quart de mille nautique au moins. Les engins ou filets des pêcheurs devront être tenus à la même distance ».

gardée, une marge de manœuvre encadrée. L’Acte général de Bruxelles dispose à cet effet que,

« les Puissances qui exercent une souveraineté ou un protectorat en Afrique, confirmant et précisant leurs déclarations antérieures, s'engagent à poursuivre graduellement, suivant que les circonstances le permettront, soit par les moyens indiqués ci-dessus, soit par tous autres qui leur paraîtront convenables, la répression de la traite, chacune dans ses possessions respectives et sous sa direction propre ».45

40. En fait de quoi, les puissances colonisatrices se mettent d’accord pour légiférer sur la traite des esclaves. Rien n’est cependant précisé quant aux moyens et à la nature des mesures à prendre. Si incrimination il doit y avoir, celle-ci est indirecte et ne consiste qu’en un simple engagement de légiférer au plan national, sans que des mesures d’ordre pénal ne soient envisagées. Mais cet engagement national n’apparaît pas comme une priorité internationale puisque l’Acte ménage leur souveraineté pénale, en laissant aux Etats signataires l’appréciation du moment de la mise en œuvre des éventuelles mesure nationales. Reste cependant que

« les Puissances contractantes s'obligent, à moins qu'il n'y soit pourvu déjà par des lois conformes à l'esprit du présent article, à édicter ou à proposer à leurs législatures respectives, dans le délai d'un an au plus tard à partir de la date de la signature du présent acte général, une loi rendant applicables, d'une part, les dispositions de leur législation pénale qui concernent les attentats graves envers les personnes, aux organisateurs et coopérateurs des chasses à l'homme, aux auteurs de la mutilation des adultes et enfants mâles et à tous individus participant à la capture des esclaves par violence ».46

45 Acte général de la Conférence de Bruxelles relative à la traite des esclaves africains du 2 juillet 1890, article 3.

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41. Il semble ici que les Etats aient une sorte d’obligation morale envers les formes les plus odieuses de l’esclavage, s’engageant à incriminer, dans un délai imparti, la chasse à l’homme, les mutilations des adultes et des enfants mâles (et non de enfants de sexe féminin) et la capture des esclaves par violence. A suivre la logique de la Déclaration, les Etats demeurent entièrement souverains quant à l’incrimination des formes classiques de la traite des êtres humains, mais se voient obligés quant aux formes les plus graves. Certes, le fondement philosophique de ce texte peut être louable mais à y regarder de plus près, les Etats s’obligent à incriminer « la capture des esclaves par violence », mais qu’en est-il de l’incrimination de l’esclavagisme en général ? La déclaration sous-entendrait que seule la violence grave dans la pratique de l’esclavage doit être incriminée par les Etats. Ce point de vue est confirmé par le texte qui, toute proportion gardée, ne condamnerait pas la pratique de l’esclavage domestique, en le consacrant, tout du moins en l’autorisant implicitement.47 La distinction opérée par la Déclaration pose la question même de la définition de l’esclavage, la conception actuelle de cette notion la reliant immanquablement à la violence.

42. Concernant le droit de la guerre, la Convention pour l’amélioration du sort des

blessés et malades dans les armées en campagne, du 6 juillet 1906 enjoint les Etats

signataires de légiférer dans la mesure où leur droit interne apparaîtrait insuffisant ou inapproprié. Ainsi, le texte prévoit que

« les gouvernements signataires s’engagent également à prendre ou à proposer à leurs législatures, en cas d’insuffisance de leurs lois pénales militaires, les mesures nécessaires pour réprimer, en temps de guerre, les actes individuels de pillage et de mauvais traitement envers des blessés et malades des armées, ainsi que pour punir, comme usurpation d’insignes militaires, l’usage abusif du drapeau et

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Article 62 : « Les Puissances contractantes dont les institutions comportent l'existence de l'esclavage

domestique et dont, par suite de ce fait, les possessions situées dans ou hors l'Afrique servent, malgré la vigilance des autorités, ce lieux de destination aux esclaves africains, s'engagent à en prohiber l'importation, le transport, la sortie ainsi que le commerce. La surveillance la plus active et la plus sévère possible sera organisée par elles sur tous les points où s'opèrent l'entrée, le passage et la sortie des esclaves africains »

du brassard de la Croix Rouge par des militaires ou des particuliers non protégés par la présente Convention ».48

43. La Convention internationale relative à la répression de la traite des blanches du 4 mai 1910 est bâtie sur le même modèle. Après avoir défini au travers de deux articles les infractions de proxénétisme, volontaire et forcé49, la Convention les incrimine selon la formule classiquement retenue :

« les Parties Contractantes dont la législation ne serait pas

dès à présent suffisante pour réprimer les infractions prévues (…) s’engagent à prendre ou à proposer à leur législatures respectives les mesure nécessaires pour que ces infractions soient punies suivant leur gravité ».50

44. La formule employée par la Convention reste somme toute similaire à celle déjà rencontrée mais l’engagement des Etats signataires doit tenir compte de la gravité des infractions en cause. Or, le texte même de la Convention ne subordonne pas ce critère de gravité à un engagement de prise de mesures pénales. Ce caractère de gravité se retrouve dans le Protocole de clôture annexé à la Convention. L’intérêt de ce Protocole réside dans le fait que l’action répressive des Etats en la matière semble pour la première fois encadrée, en ce sens que

« pour la répression des infractions, la loi devrait édicter, dans tous les cas, une peine privative de liberté ».51

45. Selon ce texte, la voie pénale semble la mieux adaptée pour favoriser la lutte contre la prostitution mais deux éléments militent en la défaveur de cet engagement. D’une part, à l’image des exemples précédents, l’emploi même des termes laisse une grande place au doute et à la discrétionnarité étatique, et d’autre part, il est à déplorer que la prévision de sanction pénale ait été dissociée et n’ait pas été intégrée directement dans le corps du texte de la Convention.

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Article 28 de la Convention pour l’amélioration du sort des blessés et malades dans les armées en

campagne.

49 Article 1 et 2 de la Convention internationale relative à la répression de la traite des blanches.

50 Ibid, article 3.

51

46. Dans cette période de naissance d’un réel droit pénal international, le dernier texte répressif habilitant les Etats à incriminer est la Convention internationale de l’opium du 23 janvier 1912. Cette Convention est un texte précurseur dans la mesure où il sera amené à devenir le socle commun d’un système répressif international de lutte contre les stupéfiants. Pour l’heure, le schéma est différent de celui des Conventions précitées. La Convention opère une distinction entre opium brut, opium préparé et opium médicinal et selon les cas se borne à établir un régime d’autorisation et d’encadrement de l’importation de l’opium. Or lorsque l’on connaît les ravages que l’opium cause en Chine, l’ampleur de son trafic et les guerres qui en ont découlées, il est surprenant que les Etats n’aient pas songé à établir un régime de répression absolue. En effet, aucune disposition du texte n’est explicitement consacrée à une quelconque forme de répression. Tout au plus,

« les Puissances Contractantes prendront des mesures pour (…) pour empêcher l’exportation de l’opium brut vers les pays qui en auront prohibé l’entrée »52

ou bien

« les Puissances Contractantes prohiberont l’importation et l’exportation de l’opium préparé ; toutefois, celles qui ne sont pas encore prêtes à prohiber immédiatement l’exportation de l’opium préparé, la prohiberont aussitôt que possible ».53

47. Il est frappant de constater que cette Convention ne fait que légiférer sur le commerce de l’opium et si l’on se base sur la seule teneur du texte, aucune mesure pénale n’est même sous-entendue. A la place, un régime de tolérance et de dérogations, basé sur des mesures administratives internes laissées à la discrétionnarité souveraine de l’Etat, a été instauré.

52 Article 3 de la Convention internationale de l’opium.

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B. La naissance d’un régime conventionnel répressif au lendemain