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a. Une extension de la compétence personnelle active des Etats

347. La loi du drapeau constitue un aménagement non négligeable de la compétence personnelle active que le droit international impose aux Etats d’établir. Selon cet aménagement, « une armée opérant sur un territoire étranger est entièrement soustraite à

la souveraineté territoriale et possède une juridiction exclusive sur les membres qui la composent »487 et dans une certaine mesure « toutes les fois que des forces armées se

trouvent sur un territoire étranger au service de leur Etat d’origine, elles sont considérées comme bénéficiant du privilège d’extraterritorialité et restent, par conséquent, soumises à la juridiction de l’Etat d’origine. Un crime commis en territoire étranger par un membre de ces forces ne peut être puni par les autorités locales ».488 Ainsi, de nombreux accords conclus entre Etats prennent acte de la loi du drapeau et reconnaissent la compétence absolue des juridictions militaires nationales sur les individus appartenant à leurs armées.489

348. Dans le cadre d’un détachement à l’étranger au sein d’une Alliance de coopération militaire, le droit international reconnaît à l’Etat de nationalité le droit d’étendre sa juridiction et de juger les membres de ses forces armées stationnées sur le territoire d’un autre Etat. En effet, l’Etat d’envoi, en participant à une alliance militaire, conserve une exclusivité de juridiction sur ses militaires nationaux, quand bien même ils seraient stationnés à l’étranger. Règle de courtoisie internationale ou obligation étatique issue du droit conventionnel, il n’en demeure pas moins que les Etats privilégient une application extraterritoriale de leur droit pénal, signe que même au sein d’une Alliance militaire, ils conservent un certain contrôle sur les agissements des troupes envoyées. Cependant, cette loi du drapeau n’est pas absolue et l’Etat d’accueil peut conserver, selon les cas,

487 Chalufour (A.), Le statut juridique des troupes alliées pendant la guerre de 1914-1918, Paris, Les presses modernes, 1927, p. 45.

488

Lazareff (S.), Le statut des forces de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord et son application en

France, Paris, Pedone, p. 11.

489Tel l’Accord franco-belge du 14 août 1914 qui dispose que « chaque armée garde sa juridiction quant aux

faits susceptibles de lui nuire, quels que soient les territoires où elle se trouve et la nationalité de l’inculpé », in Chalufour (A.), op. cit, p. 47. L’Accord anglo-égyptien du 26 août 1936 dispose en son article 4 que

« aucun membre des forces britanniques ne sera justiciable de la juridiction criminelle des tribunaux

d’Egypte, ni de la juridiction civile de ces tribunaux en aucune matière relevant de ses attributions officielles », in Lazareff (S.), op. cit, p. 23. L’Accord conclu le 18 juin 1951 entre les Etats-Unis et l’Arabie

Saoudite prévoit une juridiction quasi exclusive des Etats-Unis. Pour cela l’article 13 c) ii) dispose que « en

cas d’infraction commise par un membre des forces armées en dehors des limites de la base de Dharan (et

dans des limites géographiques établies), les autorités saoudiennes arrêteront le délinquant et, après avoir

rapidement effectué les premières constatations, remettront ledit délinquant à la Mission sur la base de Dharan pour jugement et punition par la juridiction militaire américaine », ibid, p. 45.

compétence pour connaître des crimes de droit commun commis par les soldats étrangers.490

b. L’application de la règle par la Convention entre les Etats parties au

Traité de l’Atlantique Nord sur le statut de leurs forces.

349. La Convention entre les Etats parties au Traité de l’Atlantique Nord sur le statut de

leurs forces du 19 juin 1951, règlemente la survenance d’éventuels conflits de juridiction

entre d’une part l’Etat d’origine et d’autre part l’Etat de séjour, dans lequel une infraction ou un crime ont été commis, car il n’est pas question d’immuniser un crime ou une infraction de droit commun au motif que l’individu fait partie d’une force militaire internationale, donc en principe dégagé d’un lien de rattachement national. Pour cela, la Convention organise un régime très complet réglementant les compétences concurrentes. A ce titre, il oblige les Etats d’origine à exercer, sous conditions, leur compétence pénale, militaire, pour assurer la répression de toutes les infractions susceptibles d’être commises sur le territoire d’un Etat de séjour par les membres d’une force armée, d’un élément civil ou d’une personne à charge. Les autorités militaires de l’Etat d’origine peuvent donc exercer leur juridiction en faisant prévaloir une application extraterritoriale de leur droit national,491 ce que le droit national reprendra d’ailleurs à son compte.492

350. Selon que l’on se trouve face à une infraction de droit commun ou à un crime plus grave en rapport avec l’exercice des fonctions militaires, cette juridiction pourra être de droit commun493 ou militaire et exclusive.494 Il est évident qu’un conflit positif de

490 Dans l’affaire Girard, il était question d’un soldat américain stationné au Japon qui tua accidentellement une femme. Le soldat Girard fut inculpé et condamné par la justice japonaise pour coups et blessures portés par imprudence, alors qu’il avait tiré en l’air avec un lance grenade afin d’effrayer des civils stationnant à proximité de véhicules militaires dont il avait la charge. Voir, Vignes (D.), L’affaire Girard et le statut des forces américaines stationnées en territoire étranger, A.F.D.I, 1957, pp. 304-314.

491 Il est à noter que la Convention prévoit également les cas dans lesquels l’Etat de séjour sera compétent.

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Il en est ainsi du droit français puisque le Code de justice militaire dispose en son article 59 que « sous

réserve des engagements internationaux, le tribunal aux armées connaît des infractions de toute nature commises hors du territoire de la République par les membres des forces armées ou les personnes à la suite de l'armée en vertu d'une autorisation ». L’actualité récente fait état de l’application de cette règle par les

Etats-Unis qui ont jugés et condamnés devant une Cour martiale ses soldats coupables de sévices dans la prison irakienne d’Abou Ghraïb.

493 Article VII.1 a) « Les autorités militaires de l’Etat d’origine ont le droit d’exercer sur le territoire de

l’Etat de séjour les pouvoirs de juridiction pénale et disciplinaire que leur confère la législation de l’Etat d’origine sur toutes personnes sujettes à la loi militaire de cet Etat ».

494 Article VII. 2 a) « Les autorités militaires de l’Etat d’origine ont le droit d’exercer une juridiction

exclusive sur les personnes soumises aux lois militaires de cet Etat, en ce qui concerne les infractions punies par la législation de l’Etat d’origine, notamment les infractions portant atteinte à la sûreté de cet Etat, mais ne tombant pas sous le coup de la législation de l’Etat de séjour ».

juridiction peut survenir entre l’Etat d’origine, personnellement compétent et l’Etat de séjour, territorialement compétent. Afin d’éviter l’impunité, la Convention prévoit ainsi la compétence de l’Etat d’origine lorsque les infractions en cause, notamment celle portant atteinte à la sécurité de cet Etat495, ne sont pas punies par la législation de l’Etat de séjour.496

351. Cependant, la grande singularité de cette Convention réside dans le fait que le droit international reconnaît également que la juridiction de l’Etat d’origine est prioritaire sur celle de l’Etat d’accueil, lorsque l’infraction porte atteinte à ses biens, à son personnel, ou personnes rattachées, ou lorsque l’infraction a été commise dans l’exécution du service.497 En effet, il est logique que l’Etat d’origine conserve sa juridiction dans une affaire où l’Etat de séjour n’a pas d’intérêts propres et directs, ne justifiant pas d’un lien de rattachement quelconque. A défaut, la compétence restera territoriale. Ainsi, pour reprendre l’exemple cité par Serge Lazareff, « si un militaire tue sa femme, l’Etat d’origine bénéficie d’une

compétence prioritaire, même si la victime possède la nationalité de l’Etat de séjour. Par contre, si ce militaire tue sa belle-mère française, l’Etat de séjour est prioritaire, ladite belle-mère ne rentrant pas dans la définition des personnes à charge telle que donnée à l’article 1er de la Convention ».498

SECTION 2 : L’HABILITATION DONNEE AUX ETATS DE

SE DOTER D’UNE COMPETENCE PENALE.

352. L’étude du droit international a permis d’isoler des cas dans lesquels les Etats ne sont plus obligés mais simplement habilités à se doter, souverainement, d’une compétence pénale. Les intérêts en cause ne semblent plus aussi fondamentaux que ceux précédemment étudiés, ce qui laisse croire à une plus grande discrétionnarité de l’action des Etats. En effet, le droit international reconnaît aux Etats une faculté d’exercer ponctuellement leurs

495 A savoir, la trahison, le sabotage, l’espionnage ou la violation de la législation relative aux secrets d’Etat ou de défense nationale.

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Comme précisé précédemment, la compétence exclusive de l’Etat de séjour est reconnue, dans les mêmes fondements, si la législation de l’Etat d’origine n’incrimine pas les faits en cause.

497 Article VII. 3 a) «Les autorités militaires de l'Etat d'origine ont le droit d'exercer par priorité leur

juridiction sur le membre d'une force ou d'un élément civil en ce qui concerne : i) les infractions portant atteinte uniquement à la sûreté ou à la propriété de cet Etat ou les infractions portant atteinte uniquement à la personne ou à la propriété d’un membre de la force, ou d’un membre civil de cet Etat, ainsi que d’une personne à charge ; ii) les infractions résultant de tout acte ou négligence accomplis dans l’exercice du service».

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compétences pénales (§ I.) et leur laisse une certaine marge de manœuvre dans l’appréciation du choix du titre pertinent. (§ II.)

§ . I . L a r e c o n n a i s s a n c e d e c o mp é t e n c e s p o n c t u e l l e s .

353. En habilitant les Etats à se doter d’une compétence pénale, le droit international les encourage à se reconnaître compétent pour connaître des crimes dont leurs ressortissants peuvent être victimes, au nom de la compétence personnelle passive (A.) ou bien encore des crimes pouvant porter atteinte à leurs intérêts supérieurs, au nom de la compétence réelle. (B.)

A. La compétence personnelle passive.

354. Comme son alter ego active, la compétence personnelle passive est basée sur la nationalité et suppose donc un lien de rattachement clair et effectif entre l’Etat et l’individu. Dans cette optique l’Etat établit sa compétence pénale quand un de ses ressortissants a été victime d’un crime. (1.) Or, malgré l’apparent intérêt que pourrait susciter ce titre de compétence, sa mise en œuvre reste négligée, voire limitée.(2.)

1. Le recours à un lien de rattachement national : la qualité de victime.

355. Dans cette hypothèse, l’individu est une victime de la nationalité de l’Etat qui serait susceptible d’établir sa compétence. La raison d’être de cette compétence s’expliquerait par la nécessité pour l’Etat national de prendre fait et cause pour son ressortissant. (a.) Or, il semble que l’on puisse qualifier ce titre de compétence d’incertain, dans la mesure où il ne rencontre pas le succès escompté. (b.)