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Un contrôle de l’Etat sur ses nationaux

b. L’apport du droit conventionnel

A. Un contrôle de l’Etat sur ses nationaux

335. Même si le critère de la territorialité apparaît comme le critère fondamental, communément admis par l’ensemble des Etats, il n’en demeure pas moins qu’il n’est pas exclusif, dès lors que l’infraction aura eu lieu en dehors du territoire étatique. Le problème se pose de savoir sous l’empire de quelle loi sera sanctionné l’auteur de l’infraction. Quand des questions de nationalité et de souveraineté se posent, le principe de la compétence personnelle sera mis en oeuvre. En marge de la territorialité, l’Etat pourra exercer sa souveraineté pénale en invoquant sa compétence personnelle. On parle de compétence personnelle puisqu’elle est fondée, non pas sur un titre territorial, mais sur un lien d’allégeance de rattachement national. En se dotant d’une compétence personnelle active, l’Etat ne fait qu’exercer sa souveraineté pénale en raison de l’existence de ce lien d’allégeance. En effet, le lien de nationalité justifie la compétence nationale pour connaître du crime commis par le ressortissant. (1.) Il n’en demeure pas moins que ce titre de compétence sera conditionné au respect de certaines règles. (2.)

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1. La reconnaissance d’un lien d’allégeance entre la national et son Etat

336. La compétence personnelle active se définit comme une « aptitude de l’Etat à

soumettre à son ordre juridique et, en particulier, à incriminer et juger des faits commis à l’extérieur de ses frontières en raison d’un lien d’allégeance de l’auteur de l’infraction à l’égard de l’Etat qui exerce la compétence ».471 Eminemment lié au respect de la souveraineté étatique, ce titre de compétence est fondé sur le lien de rattachement qu’est la nationalité et qui légitime la juridiction de l’Etat pour des crimes commis à l’étranger par ses nationaux. Le principe de la compétence personnelle active est basé en somme sur la définition même de l’Etat, dans la mesure où l’Etat exerce sa juridiction sur une population, composée majoritairement de nationaux. Or, dans une optique d’application extraterritoriale du droit il semble logique que l’Etat reste compétent pour connaître des crimes commis à l’étranger par ses ressortissants. Il a été reconnu à ce propos que le titre compétence personnelle est subsidiaire à la territorialité, dans la mesure où il vient en combler les lacunes tout en la complétant.472 En effet, l’extraterritorialité du droit pénal national justifie l’intervention de l’Etat qui fait prévaloir un lien de nationalité, plus évident à rencontrer qu’un rattachement territorial.

2. Une compétence conditionnée.

337. Le principe de la compétence personnelle active est largement adopté en droit interne et se justifiera selon deux théories unies autour de la double incrimination. D’un côté l’Etat sera compétent pour connaître d’infractions commises à l’étranger par un national, sans que la double incrimination soit requise. En effet, quand bien même l’infraction ne serait pas incriminée dans le pays de commission, le simple fait qu’elle le soit dans le droit national emporte la compétence de l’Etat de nationalité de l’auteur. Ceci s’expliquerait par le fait que l’Etat entendrait conserver un certain contrôle des agissements, à l’étranger, de ses ressortissants, qui resteraient soumis à ses lois. En ce qui concerne la compétence personnelle active, même si seul l’ordre public de l’Etat de commission a souffert d’actes criminels commis par un étranger, l’Etat de nationalité vient justifier sa compétence en arguant du fait que d’une part, même si ce sont ses nationaux, il

471Salmon (J.), Dictionnaire de droit international public,Bruylant, 2001, p. 211.

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se refuse à abriter des criminels qui pourrait reproduire sur son territoire des actes répréhensibles similaires.473

338. D’un autre côté, en cas cette fois de double incrimination, sous réserve de la présence de l’accusé sur son territoire national, la compétence se trouverait justifiée par le refus traditionnel d’un grand nombre d’Etats d’extrader leurs nationaux. Prenant l’exemple du droit français, les Professeurs Huet et Koering-Joulin ont précisé la notion en se référant au lien de rattachement existant entre la France et ses nationaux. En effet, « il est juste

qu’en contrepartie de la protection que lui assurent à l’étranger les agents diplomatiques et consulaires français, le citoyen français réponde devant nos tribunaux de l’infraction qu’il a réalisée hors de France. En outre, si le délinquant français s’est réfugié en France après son infraction sans avoir été jugé et puni à l’étranger, la collaboration internationale comme l’ordre public français exigent qu’il soit justiciable des tribunaux français puisque, (…) la France n’extrade pas ses nationaux ».474 Face au refus d’extrader ses nationaux, l’Etat a l’obligation de les déférer devant une juridiction interne pour jugement. Contrepartie de la compétence personnelle active, le refus d’extrader les nationaux ne doit pas rester lettre morte. Tel était le fond de l’affaire de Lockerbie, dans laquelle la Libye entendait exercer son droit souverain de juger ses ressortissants impliqués, en vertu d’une coutume internationale ancrée dans la pratique et de la Convention de Montréal de 1971. Or, le refus d’extrader et de juger les responsables de l’attentat entraînèrent des sanctions du Conseil de sécurité pour violation des engagements conventionnels.475

473 Est souvent prise en compte cette fiction selon laquelle le crime commis par un national l’aurait été sur le territoire de son Etat de nationalité, en raison de son lien de rattachement, ce qui viendrait justifier la compétence personnelle de l’Etat.

474 Huet (A.), Koering-Joulin (R.), Compétence des tribunaux répressifs français et de la loi pénale française, Infractions commises à l’étranger, Jcl droit international, vol 4. Fasc 403-20, p. 5.

475 Suite à cet attentat, deux ressortissants libyens furent mis en accusation, de même que Tripoli, accusé de soutenir et de financer le terrorisme international. Sur la base du Chapitre VII, une série de résolutions fut adoptée, dont, en ce qui nous concerne, on peut retenir les résolutions 731 du 21 janvier 1992475 et 748 du 31 mars 1992475, qui encouragent puis imposent à la Libye de prendre toutes les mesures nécessaires pour contribuer à l’élimination du terrorisme. Parmi ces mesures certaines touchent directement la souveraineté pénale puisqu’elles concernent l’arrestation puis l’extradition des dits terroristes. Face au refus libyen d’extrader ses ressortissants et à la promesse sans cesse renouvelée de les juger en droit interne, fût décidé par la communauté internationale de négocier avec Tripoli la levée de l’embargo imposé contre un procès dans un Etat tiers, les Pays-Bas, selon le droit pénal écossais, applicable à Lockerbie. La Libye qui était pénalement compétente pour juger des ces actes, au nom de sa compétence personnelle active, a ainsi renoncé d’elle-même à l’exercice de sa souveraineté pénale, au nom de sa survie économique et internationale. Cette renonciation souveraine, indirectement imposée par une résolution du Conseil de sécurité a été par la suite confirmée par la résolution 1192 du 27 août 1998475 aux termes de laquelle les gouvernements des Pays-Bas et du Royaume-Uni devront s’assurer de la mise en œuvre efficace et effective

339. Cette compétence personnelle doit ainsi être vue comme une extension de la souveraineté pénale, les Etats devenant compétents pour juger des faits commis à l’extérieur de leurs frontières, à la seule condition qu’un lien de nationalité existe. Chaque législation pénale interne prévoit une extension de souveraineté, au nom de la compétence personnelle. De plus, le droit interne conditionne l’exercice de la compétence personnelle active, à l’appréciation de la nationalité et de la date critique, ainsi qu’à la gravité du crime en cause. Selon le point de vue de la doctrine, « la compétence personnelle active

s’applique aussi bien à ceux qui possèdent la nationalité de l’Etat concerné au moment de l’infraction qu’à eux qui l’ont acquis plus tard ».476 En effet, force est de constater que, puisque la nationalité est le lien de rattachement primordial, la prise en compte de celle-ci demeure essentielle pour établir la légitimité du titre de compétence. Le débat n’a pas lieu d’être concernant la possession de la nationalité au moment même de la commission de l’infraction. En revanche, considérer que l’obtention de la nationalité postérieurement à la commission de l’infraction ouvre malgré tout droit à la compétence personnelle active apparaît comme le meilleur moyen de lutter contre l’impunité, et viendrait combler les lacunes liées aussi bien au défaut de double incrimination qu’à la non-extradition des nationaux.477

340. Bien évidemment, tout infraction commise par un national à l’étranger n’entraîne pas l’automaticité de la compétence nationale, les crimes rentrant dans le champ d’action de l’Etat étant souverainement décidés par lui,478 mais quoi qu’il en soit le critère de la du procès, tandis que le gouvernement libyen « devra assurer la remise des deux accusés aux Pays-Bas aux

fins du procès devant le tribunal (…), et qu’il devra assurer que tous les éléments de preuve ou témoins se trouvant en Libye soient rapidement mis à la disposition du tribunal, sur sa demande, aux fins du procès ».

476 Swart (B.), La place des critères traditionnels de compétence dans la poursuite des crimes internationaux,

in Cassese (A.), Delmas-Marty (M.), Juridictions nationales et crimes internationaux, op. cit.

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La France justifie sa compétence personnelle active sur son refus d’extrader ses nationaux. Pour cela le Code pénal dispose en son article 113-6 que « la loi pénale française est applicable à tout crime commis par

un français hors du territoire de la République. Elle est applicable aux délits commis par des Français hors du territoire de la République si les faits sont punis par la législation du pays où ils ont été commis. Il est fait application du présent article lors même que le prévenu aurait acquis la nationalité française postérieurement au fait qui lui est imputé ». Au Royaume-Uni, qui extrade ses nationaux comme tous les

pays de common law, l’International criminal court Act de 2001 intègre en droit anglais l’ensembles des crimes et incriminations reconnues par la Cour pénale internationale, sous réserve, soit de territorialité, soit de compétence personnelle active. Le Code pénal russe reconnaît quant à lui que les russes et les apatrides résidant de façon permanente en Russie, s’ils ont commis un crime à l’étranger, seront condamnés selon le droit russe, sous réserve de double incrimination, article 12.1, «Citizens of the Russian Federation and

stateless persons who permanently reside in the Russian Federation and who have committed crimes outside the boundaries of the Russian Federation shall be brought to criminal responsibility under this Code, if their deeds have been recognized as crimes in the State on whose territory they were committed, and unless these persons have been convicted in the foreign State ».

478Pour cela le législateur français a pris soin d’exclure de la compétence personnelle active les simples contraventions car « celles-ci sont en effet d’une importance trop faible pour qu’on leur attache une attention

compétence active est largement confirmé et appliqué en jurisprudence interne, preuve évidente que l’Etat national se refuse à favoriser l’impunité de ses ressortissants par un défaut de jugement. Les juridictions nationales font largement état de la prise en compte de la compétence personnelle active. Les cas de reconnaissance de ce titre de compétence par le juge sont nombreux et multiples, dans des affaires ne concernant pas forcément et exclusivement des crimes internationaux.

341. Pour illustrer ces propos, il est possible de se référer à trois affaires, où les points de vue quant à l’ampleur de la compétence divergent, mais qui, à l’évidence, consacrent la légitimité de l’application extraterritoriale du droit pénal national. La Cour Suprême mexicaine a ainsi reconnu que, bien que la territorialité soit la règle fondamentale posée par le droit international, il n’en demeurait pas moins que seul le lien d’allégeance qu’est la nationalité peut justifier la compétence d’un Etat autre que celui territorial.479 De même, la Cour suprême suédoise a jugé qu’un suédois impliqué dans un accident de la route en Allemagne ressort de la compétence de son juge national puisque, quand bien même le Code de la route suédois n’est pas applicable en dehors du territoire national, il n’en demeure pas moins que le code pénal reconnaît la compétence du juge suédois pour les crimes commis par un national à l’étranger.480 Enfin, la Cour de cassation française va opérer un élargissement de la compétence personnelle active à la complicité de commission d’un crime à l’étranger. En effet, un ressortissant belge avait participé à un crime en Belgique, crime commis à titre principal par un ressortissant français. La Cour a reconnu la compétence française puisque, à partir du moment où la France est compétente en ce qui concerne ses nationaux, pour un crime commis à l’étranger, elle le devient en ce qui concerne leurs complices, même, s’ils sont d’une autre nationalité.481

tatillonne lorsqu’elles sont commises en dehors des frontières nationales », cité in Chilstein (D.), Droit pénal international et lois de police, Essai sur l’application dans l’espace du droit pénal accessoire, Dalloz, 2003

p. 27.

479

Cour Suprême mexicaine, Re.Gutierrez , ILR, 1957, vol 24.

480

Cour Suprême suédoise, Public Prosecutor v. Antoni, ILR, 1960, vol 32. Ces deux affaires sont citées in Geoff (G.), Crimes sans frontières : jurisdictional problems in english law, BYBIL, 1992, p. 417-418.

481 Cass crim, 20 février 1990, Serre et autre, « la participation par un étranger à un fait principal commis à

l'étranger par un Français ressortit à la compétence des juridictions françaises lorsque cet étranger est en outre poursuivi pour un crime ou un délit commis en France et formant un tout indivisible avec les actes commis à l'étranger», D, 1991, p. 395 et s. Concernant la place de la répression de la complicité, il est

possible de se référer au point de vue de Alain Fournier. Fournier (A.), La répression de la complicité et ses avatars en droit pénal international, R.S.C, 2003, pp. 13-31.