• Aucun résultat trouvé

Les premières préoccupations de protection du patrimoine de la ville et les grandes

Chapitre 2 : La patrimonialisation et la création du décor du site patrimonial du Vieux-

2.1 La patrimonialisation du site patrimonial du Vieux-Québec

2.1.1 Les premières préoccupations de protection du patrimoine de la ville et les grandes

La Confédération canadienne du 1er juillet 1867, crée le nouveau pays du Canada. Elle mène au départ de la garnison britannique, en 1871, qui était présente, à Québec, depuis la Conquête. Le gouvernement canadien devient alors le seul gestionnaire de ses installations militaires (Province de Québec, 2016). Les fortifications sont, selon les tenants de la modernisation, un obstacle aux rénovations urbaines du style du baron Haussmann à Paris ; pour une ville moderne, elles sont perçues comme désuètes, autant du point de vue militaire que de celui de l’aménagiste. Elles sont un obstacle à l’expansion et au développement commercial de la ville en plus de l’entretien coûteux pour un bâtiment qui ne sert plus (Noppen et Morrisset, 1998 ; Parent et Malack, 2001 ; Provencher, 2007). C’est ainsi que plusieurs requêtes de démolition font surface afin de pallier le problème. La destruction de l’enceinte ouest et de ses portes est surtout visée, et ce, afin de faciliter la communication avec les nouveaux quartiers en développement (Noppen et Morrisset, 1998). L’ordre des choses est bouleversé par l’arrivée de Lord Dufferin (1826-1902) au Canada en avril 1872 au moment de son entrée en fonction au poste de Gouverneur général du Canada en juin 1872. Il marque un tournant majeur pour la conservation et la mise en valeur des fortifications de Québec (Viau, 2007). Dès son arrivée à Québec, celui-ci souhaite réhabiliter la perception des fortifications afin de les intégrer au paysage urbain de la ville et qu’elles deviennent un monument historique. Le tout commence dès 1878. Son plan, les Dufferin Improvements, va plus loin que la restauration des murs et des portes : il veut faire de la ville un véritable monument et de la muraille un objet à regarder et à admirer6. La contribution majeure de Dufferin n’est pas tant la modification ou

l’augmentation de l’ouvrage militaire déjà en place, mais plutôt sa préservation et sa restauration, alors que les fortifications vieillissantes semblaient vouées à la destruction. Son action a eu pour effet de valoriser le caractère patrimonial de Québec. Les Improvements de Dufferin sont faits sans vraiment nuire au progrès et en ayant une bonne

6 En plus de la reconstruction des murs, il établit une promenade sur l’enceinte de la ville, il prévoit l’allongement de la terrasse Durham (aujourd’hui Dufferin) et une augmentation des percées pour faciliter les communications.

31

opinion auprès du public : « les propositions de Dufferin reçurent un appui général et enthousiaste » (Viau, 2007 : s.p.). « À partir de ce moment, la dimension mémorielle guide de manière de plus en plus soutenue les interventions : des places sont aménagées, des monuments sont érigés… on restaure des bâtiments, on installe des plaques commémoratives » (CBCQ, 2007 : 1).

En plus de ces embellissements de Lord Dufferin, plusieurs célébrations commémoratives ont lieu entre le milieu du 19e siècle et le tournant du 20e. Il s’agit d’une

édification de l’histoire du Canada français, c’est la construction de l’identité et de la représentation canadienne-française. La commémoration des Braves en 1854-55 est la première grande commémoration historique pour Québec dans une idée de patrie, mais aussi dans une égalité entre la nation canadienne-française et canadienne-anglaise (Berthold, 2007). L’édification de la mémoire canadienne-française se fait lors des commémorations de Mgr François de Laval en 1878 et de Samuel de Champlain en 1898, c’est l’occasion de montrer que le Québec a conservé son caractère français en honorant des pionniers de l’établissement français en Amérique, l’occasion de se souvenir des origines françaises de la patrie. Enfin, le tricentenaire de Québec en 1908 est l’occasion de fabriquer une nation canadienne, on y commémore Champlain, c’est le commencement de l’image de Québec comme le berceau du Canada, Québec comme ville des souvenirs (idem). Les grandes commémorations participent directement à la construction de la représentation de Québec comme berceau (Berthold, en évaluation).

2.1.2 Taché et Tanguay deux grands architectes qui donnent un visage français à la ville L’évocation de Québec comme ville du souvenir se transmet non seulement par la pierre qui dit l’histoire, les embellissements de Dufferin ont eu une importance dans ce sens, mais également, au tournant du 20e siècle, par deux architectes importants qui

viennent forger cette image de ville qui se souvient de son passé français. Le premier, Eugène-Étienne Taché (1836-1912) veut sauvegarder le caractère historique de la ville en la magnifiant. Il y a une dichotomie entre sa vision de l’architecture et le néoclassicisme en place depuis fort longtemps. Il prône une densification de l’architecture qui restitue une mémoire des lieux par les styles Second Empire et Beaux-Arts qui sont des styles

32

typiquement français, démontrant sa volonté de redonner une image française à la ville (CBCQ, 2007). Son projet « se démarque aussi en regard des fortifications de lord Dufferin qui, si elles prétendaient restituer une mémoire de la Nouvelle-France, appartenaient avant tout au langage pittoresque de la Grande-Bretagne » (Noppen et Morisset, 1998 : 70). Un nombre important de constructions de cette époque sont signées Taché ou inspirées de ses dessins. Le porte-étendard de ce mouvement est l’Hôtel du Parlement, limitrophe au site historique du Vieux-Québec. Cette construction de Taché érigée entre 1877 et 1886 « est la première grande œuvre de commémoration qui ait vu le jour au Québec » (idem : 71) par une représentation des grandes figures de l’histoire nationale érigée en statues (Talon, Boucher, Dorchester, Champlain, Laval, Le Moyne-D’Iberville, etc.). Le comble de cette commémoration est, en 1883, lorsqu’il fait graver sur la roche en dessous des armoiries du Québec sur la façade de l’Hôtel du Parlement une devise, qu’il a créée, qui devient, beaucoup plus tard, celle de tous les Québécois : « Je me souviens ». Ceci démontre l’importance de la commémoration et de la mise en valeur de l’histoire à l’époque. Plusieurs autres constructions signées Taché sont dignes de cette restitution de la mémoire française à même le territoire à l’étude de même qu’en périphérie7. La construction de l’édifice du bureau de poste en 1871 et 1872 par Pierre Gauvreau et l’ajout du toit mansardé à l’université Laval (situé dans le Vieux-Québec à l’époque) en 1875 n’ont pas de lien avec Taché, mais s’inscrivent également dans cette lignée de représenter et de restituer la mémoire française à la ville.

Le maire de la Ville de Québec entre 1884 et 1906, Simon-Napoléon Parent (1855- 1920), n’abonde pas dans le même sens que Taché. Il pense que la modernité passe par une architecture monumentale institutionnelle de la ville. L’architecte choisi par Parent pour faire entrer la capitale dans l’Amérique du Nord moderne est George-Émile Tanguay (1858-1923). Il « se tourne vers les modèles européens et étasuniens, passés et présents, dont il fait une synthèse, moderne et originale, propre à définir un renouveau spécifique à la ville » (Noppen et Morisset, 1998 : 91). Il construit dans une profondeur historique à la française comme la lignée de Taché sauf dans un style antérieur au Second Empire

7 Le manège militaire en 1885, le dessin du monastère des franciscaines, le projet de surhaussement d’un étage du Cercle de la garnison de Québec en 1893, le dessin du palais de justice en 1883, le dessin de la première aile du Château Frontenac construit en 1892 et 1893, etc.

33

conférant une apparence d’âge à la ville. Cette harmonie entre l’image historique et l’architecture moderne permettra d’intégrer la ville dans la modernité nord-américaine du 20e siècle, la quête de l’origine canadienne-française est tissée à même la modernité (Noppen et Morisset, 1998 et Berthold, 2007).

2.1.3 Les premières commissions pour protéger les monuments historiques de la ville