• Aucun résultat trouvé

Première publication : usage de l’émotion religieuse

La diffusion de cette publication 53 a eu lieu après l’adoption officielle, au Maroc, d’une loi pour le

rétablissement du service militaire en 2019. Il est question ici d’une jeune fille dans un cabinet mé- dical. Selon la rumeur (image de droite) les jeunes filles marocaines qui se sont présentées au service militaire vont subir un examen médical en vue de prouver qu’elles sont vierges. Le résultat de cet examen sera communiqué aux parents. L’objectif, selon la publication, est d’éviter que les respon- sables du service militaire n’endossent la responsabilité de la perte de la virginité 54 des examinées.

Il s’agit d’une image vraie et d’un contenu décontextualisé. Ce contenu est sous forme d’un texte court, trois lignes rédigées en langue arabe classique, pour imiter le style de rédaction des communi- cations officielles. Néanmoins, le glissement d’un emoji smiley qui signifie la joie, et l’enthousiasme par rapport au sujet traité et de celle du pouce en l’air qui exprime l’accord, un bon travail, mais aussi, dans les pays arabes, l’honneur, laisse penser que l’information n’a rien d’officiel et n’est pas vraie.

Passer des tests de virginité aux jeunes filles avant d’intégrer le service militaire est une tradition qui se pratiquait, selon certains médias, en Indonésie et en Égypte. Cette pratique a été annulée, en Égypte en 2011 et en Indonésie en 2015 suite à la demande de Human Rights Watch. Précisons que la virginité de la jeune fille est liée à la religion musulmane et que cette information décontextualisée fait appel aux émotions religieuses. Rappelons que l’émotion est définie comme « un état affectif qui s’écarte de ce degré zéro qu’est l’indifférence absolue envers un objet » (P. Braud, 1996 :8, cité par P. Bensoit, 2002 : 335). Ce terme peut aussi désigner une gêne physique individuelle, un trouble collectif, une agitation, une colère ou encore un trouble d’ordre politique. Cette fake news aurait pu déclencher une polémique et des joutes sur l’espace public et un trouble d’ordre politique. Elle aurait pu aussi donner naissance à des manifestations des défenseurs des droits des femmes et de l’égalité des sexes. Cette page de fact-checking a donc pu avoir un effet sur les internautes, car aucune contestation n’a eu lieu sur l’espace physique.

53. Voir : https://web.facebook.com/Matpartagich/photos/a.307388646593165/375433089788720/?type=3&thea- ter&_rdc=1&_rdr consulté le 10 septembre 2019.

54. Il est interdit aux femmes, selon la religion musulmane, d’avoir des rapports sexuels avant le mariage. Au Maroc, l’hymen est sacralisé. La mariée risque d’être humiliée, battue, voire répudiée, la nuit de noces, si son mari découvre qu’elle n’est pas vierge.

Jeunes internautes marocains : attitude et comportement face à la désinformation et aux fake news

Figure 1 : Le test de virginité est une condition pour la sélection et

l’incorporation des appelées au service militaire

Selon cette publication, les internautes sont beaucoup plus actifs dans le partage d’informations non vérifiés que dans leur vérification, la recherche de leur source ou encore le partage de la vraie information. D’ailleurs, la page qui a diffusé la désinformation a collecté : 26179 réactions, 3293 commentaires et 1715 partages (image à droite, figure 1). Par contre, celle qui a diffusé la vraie in- formation (image à gauche, figure 1) n’a eu que : 1,100 réactions, 46 commentaires et 40 partages. Sur l’espace numérique il y aurait une différence entre croire, dire et faire.

Nous remarquons que les internautes accordent plus d’importance à la fausse information et sont beaucoup plus enclins à la croire pour les raisons qui seront expliquées dans le premier podcast.

Publication 2 : le sentiment d’appartenance sociale

Cette publication 55 montre à droite l’image d’élèves qui étudient dans des conditions lamentables.

Selon ces fake news, il est inconcevable que le Maroc, qui possède des écoles délabrées telle celle pré- sentée sur la page, organise le festival Mawazine 56. Cette image qui représente une école en Iraq est

décontextualisée et le contenu est fabriqué. Ce texte rédigé en arabe classique fait le lien entre l’état supposé de l’école marocaine et l’organisation d’un festival de musique qui coûte cher au pays. Ce lien vise à faire sentir aux destinataires qu’ils ne sont ni compris, ni valorisés, ni sécurisés dans leur pays. C’est donc ébranlé et déstabilisé le sentiment d’appartenance sociale des internautes.

Le nombre de partages énorme de la fake news (7655) et le nombre de commentaires ne dépassant pas 50, prouve que cette désinformation a été partagée sans vérifier ni sa source ni sa véracité dans des documents fiables. Ici aussi, il semblerait que les internautes sont beaucoup plus intéressés par la désinformation ou la fake que par la vérité. Il paraîtrait aussi que ces internautes sont plutôt soulagés

55. Voir : https://web.facebook.com/Matpartagich/photos/a.307388646593165/392280194770676/?type=3&thea- ter&_rdc=1&_rdr consulté le 10 septembre 2019.

56. Mawazine est un festival organisé au Maroc et par le Maroc chaque année. C’est le plus grand festival de musique en Afrique. Il réunit des artistes talentueux et célèbres venant de partout dans le monde. Il accueille un public record de 2,75 millions de spectateurs en 2019.

184 Actes / Proceedings TICEMED 12

Malika Abentak, Noufissa Machkouri

par certains éléments de la désinformation ou des fake news qui les réconfortent dans leurs croyances et dans leurs idées reçues que par des éléments de vérité qui risqueraient de les déstabiliser en les faisant plonger dans le doute.

Publication 3 : fake news et le pouvoir de nuisance

Cette publication 57 est sous forme de capture d’écran d’une image publiée dans un groupe Face-

book des enseignants contractuels, et présente, sur le grand plan, un pied avec une chaussure trouée. À l’instar des publications précédentes, la documentation visuelle domine ici aussi. Cette publica- tion, au contenu manipulateur, porte atteinte à l’image du Maroc et des Marocains. Le commen- taire en haut souligne que cette scène est prise lors de la présentation de l’hymne national dans une école marocaine, ce qui est faux, car il s’agit d’une ancienne photo prise en Jordanie. La question « de quelle nationalité vous nous parlez ? » est posée au-dessus de l’image. Elle est suivie de deux

hashtags #Pays et #Maroc.

Ici aussi le nombre de partages de la fake news est plus élevé que celui de la vérité. Il semblerait que nous sommes dans l’ère de la poste -vérité, terme considéré par les dictionnaires comme « des cir- constances dans lesquelles les faits objectifs ont moins d’influence pour modeler l’opinion publique que les appels à l’émotion et aux opinions personnelles ». Cette publication a été diffusée lors des manifestations des enseignants, nouvellement recrutés, contre leur statut d’enseignants contrac- tuels et militant pour avoir le statut d’enseignants permanents. Rappelons que ces enseignants ont signé de leur plein gré et en toute conscience et connaissance de cause le contrat selon lequel ils seront recrutés en tant que contractuels. Cependant, le nombre de partages de la fausse information montre encore que les « fabricants » de cette désinformation usent beaucoup plus des émotions pour fragiliser ou affaiblir la raison. Comment donc faire pour ne pas être victime de la désinfor- mation et des fake news ?

Podcast 1 : « fais attention, on te ment »

Les podcasts de Marouane Lamharzi Alaoui ont des fins éducatives et traitent, exclusivement, de la technologie, de la culture et de la science. Dans cette vidéo 58 , le podcasteur définit, dans un premier

temps, les fake news, les mensonges, la désinformation et précise leurs canaux de communication. Il commence par expliquer, en se basant sur des études académiques, que le cerveau analyse, de fa- çon superficielle et sans aucune réflexion approfondie, les informations qui ne correspondent pas à son système de croyances. Il précise aussi que face à ce type d’information le cerveau se met en alerte comme si la personne est en danger et commence à analyser ce qu’il lit ou entend en faisant appel, non pas à la raison, mais plutôt aux émotions. Par contre, quand la personne est en face à des informations qui sont en congruence avec son système de valeurs, elle se sent à l’aise, croit l’infor- mation et se comporte de façon rationnelle. Elle peut même discréditer une information vraie pour l’unique raison qu’elle ne correspond pas à son système de valeurs.

57. Voir : https://web.facebook.com/Matpartagich/photos/a.307388646593165/392280194770676/?type=3&thea- ter&_rdc=1&_rdr consulté le 10 septembre 2019.

Jeunes internautes marocains : attitude et comportement face à la désinformation et aux fake news Dans un deuxième temps, le podcasteur a attiré l’attention des internautes sur le fait que le Web, ainsi que les médias classiques diffusent des fake news. Il a aussi incité les jeunes à chercher la source de l’information à la vérifier dans d’autres sources plus fiables et à se poser des questions par rap- port à l’authenticité et à la véracité de l’information lue avant de décider de la partager.

Dans un troisième temps, M. Lamharzi Alaoui a répertorié les cinq types ou catégories des fake news : les informations créées ou diffusées par les journalistes pour le buzz et le gain d’ argent , les informations inventées et diffusées sur les (RSN) et faisant appel aux émotions, les informations vraies, mais décontextualisées, les informations provenant d’un site moqueur et le dernier type, le plus dangereux, sont les informations diffusées comme propagande et qui servent des agendas po- litiques et idéologiques.

Dans un quatrième temps, le podcasteur a proposé des pistes pour combattre les fake news. Ces dernières se résument en : la diversification des sources fiables pour vérifier les contenus, la diffé- renciation entre les sites et les médias qui diffusent les fausses informations et ceux qui relayant les vraies informations et la nécessité de faire preuve d’un esprit critique. Il précise que pour les images, il faudrait vérifier leur origine au niveau de Google images ou au niveau d’autres moteurs de re- cherche. Pour donner sens à son discours, l’animateur a joint des liens sources de tous les exemples qu’il a donnés, dans le descriptif de la vidéo.

Podcast 2 : les techniques du deepfake et leurs dangers

La deuxième 59 vidéo traite des techniques de montage vidéo offerts par l’intelligence artificielle

et plus particulièrement par les machines Learning. En se basant sur un exemple de vidéo truquée montée par le podcasteur lui-même, ce deuxième podcast précise d’abord que le deepfake « un faux quel que soit la nature de son contenu : vidéo, image, audio ou texte, conçu grâce à l’intelligence artificielle » est devenu un jeu d’enfant presque gratuit. Selon le podcasteur, les deepfake les plus diffusées actuellement sur l’internet sont des vidéos truquées dans lesquelles les visages et la voix d’une personne connue sont truqués, lui faisant dire ou faire ce qu’elle n’a jamais dit ou fait. Le réalisme des images composées fait que le deepfake est un instrument efficace et dangereux pour manipuler l’opinion.

Selon ce podcasteur, le danger des deepfake est imminent au Maroc où les gens croient rapidement ce qu’ils entendent, voient ou lisent sans aucune vérification ou évaluation. C’est d’ailleurs l’une des raisons pour laquelle il diffuse cette vidéo. La deuxième raison est d’éviter aux jeunes internautes d’être victimes d’extorsions. Un autre danger de ces vidéos est leur usage pour affaiblir certains po- liticiens et candidats lors des élections ou pour déstabiliser les citoyens et départager les opinions. Enfin pour conclure, le podcasteur insiste sur l’urgence de promulgation de lois qui régulent l’usage des technologies de l’information et de la communication et sanctionnent les pratiques numériques malveillantes. Ici aussi, le présentateur revient sur la nécessité d’une EM surtout numérique.

186 Actes / Proceedings TICEMED 12

Malika Abentak, Noufissa Machkouri