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Discussion et perspectives

Plusieurs éléments permettent de répondre aux deux questions de recherche concernant, d’une part, le sentiment de compétence des enseignants et, d’autre part, les représentations des élèves. Ces deux questions permettent ensemble d’évaluer si l’activité conçue est susceptible de rencontrer les problématiques à la fois informatiques et critiques soulevées par le modèle théorique de référence.

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Si les enseignants du primaire issus du premier profil se sont montrés confiants quant à leur capacité à mener l’activité proposée au sein de leurs classes, leurs homologues du second profil, malgré des explications théoriques plus conséquentes, ont trouvé l’activité complexe à s’approprier et, plus que probablement, à mener. Cela explique sans doute l’unique candidate prête à tenter l’expéri- mentation en classe. Les enseignants du secondaire, pourtant plus expérimentés et jugés capables de mener l’activité en autonomie, ont préféré la vivre en présence des chercheurs impliqués. Cette demande d’être dans la position d’observateurs a été justifiée par le besoin de “voir” d’abord le déroulement de l’activité et d’observer les moments plus ouverts, tels que la mise en contexte et le débriefing, moments où l’enseignant est le plus impliqué dans le dispositif. Nous pouvons relever que ces moments ont en effet posé plus de problèmes à l’enseignante du primaire qui a testé seule l’activité. La question des représentations de l’IA et de leur construction médiatique, évoquée du- rant ces deux phases, a été abordée de manière trop superficielle par cette enseignante qui s’est plu- tôt focalisée sur les concepts techniques qu’elle percevait comme plus complexes. L’expérience que les enseignants du secondaire ont d’habitude de ces types d’échange sur des problématiques plus “sociétales” les a probablement poussés à ne pas se lancer trop vite dans la mise en place de l’activité en autonomie. L’enseignante du primaire, moins expérimentée, a sous-estimé la capacité des élèves à évoquer des cas d’application d’IA parfois fort éloignés de ceux mentionnés dans les ressources et sa capacité à rebondir sur les questions posées. Elle s’est donc retrouvée en difficulté pour gérer les interactions avec ses élèves, alimentant alors son sentiment de manque de compétence. Pour leur part, les enseignants du secondaire, au terme de l’activité, se sont dits capables de la mettre en place seuls. Ces résultats mettent en lumière la nécessité de documenter davantage, dans les ressources fournies aux enseignants, les concepts informatiques et sans doute plus encore les problématiques médiatiques et sociétales. Ils nous incitent également élargir les moyens qui leur sont donnés pour s’approprier les contenus liés à l’IA, notamment en mettant l’accent sur le visuel et les vidéos. Au niveau de la forme, le développement futur du projet prévoit de créer une vidéo qui illustre le dérou- lement de l’activité en contexte réel. Au niveau du contenu, l’accent sera mis sur la manière de gérer les interactions entre l’enseignant et les élèves lors des phases de mise en contexte et de débriefing, en proposant des exemples de questions et des réponses qui pourraient être abordées. Ce travail sera notamment nourri par les observations réalisées lors des différentes expérimentations en classe. Toutefois, ces résultats montrent aussi le manque de formation des enseignants dans ce domaine, de manière plus générale. En secondaire, les enseignants étaient plus à l’aise, car ils avaient déjà en charge les cours d’informatique. En primaire, le sentiment de compétence est plus faible. C’est à ce niveau-là aussi que la formation aux technologies est la plus faible dans le contexte belge.

Concernant le changement espéré de représentation chez les enfants, un peu plus de 10 % des en- fants du secondaire évoquent clairement les données dans leurs réponses au post-test. 5% discutent même des limites de ces données (en termes d’erreurs présentes). Plus de 17 % de ces élèves défi- nissent l’IA comme conçue par un humain, contre à peine 4 % avant l’activité. Le taux d’enfants accordant de l’intelligence à la machine passe de 34,2 à 15,7 %. Enfin, si 20% des enfants pensaient l’IA autonome, ils ne sont plus que 12,8% après l’activité. C’est la notion d’algorithme qui est pré- pondérante dans les représentations suite à l’activité, mais cette notion semble insuffisante pour décrire ce qu’est l’IA. Pour autant, la notion d’apprentissage est presque absente, si ce n’est à travers les définitions directement inspirées du contexte de l’activité. Enfin, les notions de subjectivité et de “non-neutralité”, qui ont plus trait à des questionnements sociétaux et critiques, sont absentes des définitions des élèves, bien qu’évoquées durant la phase de débriefing. De façon générale, les re- présentations des élèves du secondaire ont évolué vers des représentations plus correctes technique- ment (bien qu’incomplètes), mais peu orientées vers des aspects qui ouvrent à des questionnements critiques. La notion d’autonomie “totale” où l’Humain est absent de la technologie semble difficile Anne-Sophie Collard, Alyson Hernalesteen, Julie Henry

à faire oublier, une notion qui est souvent nourrie par les médias et les productions culturelles et que l’on retrouve dans des représentations faisant appel à la métaphore du vivant (Boraita et al., 2020). Les résultats sont plus nuancés concernant les élèves du primaire. Il faut ici tenir compte du fait que l’échantillon est limité (12 enfants) et que l’activité a été animée par une enseignante volontaire, et non les chercheurs. Il apparaît cependant une évolution marquée dans les représentations des enfants, ceux-ci fournissant majoritairement, suite à l’activité, des définitions plus “correctes” de l’IA au niveau informatique, dont ils semblaient avoir moins connaissance au préalable. Comme pour les élèves du secondaire, les éléments liés à des aspects sociétaux et critiques n’ont pas été évoqués. Les résultats obtenus peuvent provenir en partie d’une limite de la méthode utilisée pour récolter les représentations, à savoir le questionnaire pré- et post-test. Il était demandé aux élèves de formuler leur définition de l’IA. Mais les représentations des élèves peuvent également se dévoi- ler à travers leur discours, ce qui permettrait d’en avoir une perception plus complexe et plus fine. Le développement ultérieur de la recherche pourrait dès lors inclure une analyse approfondie des interactions et des discours des élèves lors de la mise en contexte et du débriefing, qui serait aussi plus développée dans le jeu. Nous pourrions également prévoir des entretiens sous forme de focus groupe autour de différents thèmes “techniques” et “sociétaux” (l’autonomie, la subjectivité, etc.). Une autre piste serait de retarder le posttest, ou la phase de récolte de données après l’activité, afin de laisser le temps aux élèves de s’approprier le contenu et les questionnements soulevés. Malgré les limites méthodologiques, les résultats “côté élèves” plaident pour un renforcement des moments d’échange avec l’enseignant et entre eux (lors de la mise en contexte et du débriefing) et davantage de supports pour soutenir les réflexions qui s’y développent (exemples percutants, référence à des situations réelles démontrant les problèmes et limites de l’IA, faire appel au vécu et aux problèmes rencontrés par les élèves, etc.).

Conclusion

Le projet de recherche que nous avons mené visait à concevoir une activité d’éducation à l’IA sus- ceptible de rencontrer les problématiques à la fois informatiques et critiques soulevées par le mo- dèle théorique de référence. Les résultats semblent confirmer l’intérêt et la faisabilité de croiser les différentes approches disciplinaires pour aborder les différents aspects de l’IA, mais révèlent égale- ment une difficulté à “doser” chacune d’elles en vue de rencontrer les objectifs éducatifs techniques et critiques. La complexité des concepts informatiques à aborder y a joué un rôle, en défaveur du développement de la partie critique, reléguée au second plan. Les résultats mettent par ailleurs en évidence la nécessité de renforcer la formation des enseignants au niveau des compétences relatives aux technologies numériques dans chacune de leurs dimensions.

Il nous semble qu’un des apports de ce projet réside dans la contribution au développement d’une didactique de l’éducation au numérique, et plus précisément d’une éducation citoyenne critique à la technologie. Toutefois, des ajustements sont encore nécessaires et nous invitent à faire évoluer l’activité, en développant notamment le contexte médiatique et l’analyse critique de l’IA.

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