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1. L’arrivée au pouvoir de l’AKP et son « emprise » sur la société

1.1 De sa fondation à sa victoire historique en 2002

1.1.2 Une première campagne électorale réussie

Lorsque l’AKP a été créé, celui-ci ne s’attend pas encore à avoir à mener une campagne électorale si rapidement. Initialement prévues pour le printemps 2004, les élections générales ont dû être avancées à novembre 2002 suite à l’éclatement d’une grave crise politique couplée à la crise économique d’ores et déjà ressentie en Turquie.

En effet, en juillet 2002, la coalition gouvernementale dirigée par le Premier ministre Bülent Ecevit a dû faire face à la démission de plusieurs ministres et de pas moins de 59 députés de son parti politique, le Parti Démocratique de la Gauche (Demokratik Sol Parti - DSP). Constatant l’absence d’une majorité stable pour gouverner, il est alors décidé d’avancer les élections générales au mois de novembre.

L’AKP a donc dû s’engager dans une campagne électorale alors qu’aucun congrès du parti n’avait encore eu lieu, une première dans l’histoire contemporaine de la Turquie.

La plateforme électorale de l’AKP a alors été élaborée sous le titre de « Tout pour la Turquie » (Herşey Türkiye İçin). Les principaux thèmes du programme de campagne de ce mouvement sont les suivants :

- Le respect des principes de droits et des libertés fondamentales; - Le renforcement de la société civile ;

- La réforme du droit et de la justice avec pour but l’indépendance du régime judiciaire ; - Une meilleure transparence du gouvernement ;

- L’accroissement du poids des administrations locales ; - Une politique économique plus responsable et attractive ;

- Un ensemble de politiques sociales porté sur l’égalité, la justice et l’amélioration de la vie quotidienne pour tous ;

- La priorité accordée à l’Europe dans la politique étrangère de la Turquie.

20 AK Parti, Herşey Türkiye İçin: AK Parti Seçim Beyannamesi [Tout pour la Turquie: la déclaration électorale

Dans ce manifeste de campagne, les cadres de cette nouvelle formation sont décrits comme étant dynamiques, jeunes, honnêtes, courageux, instruits et distants de la corruption.

Ne souhaitant pas être inquiété par le spectre de la dissolution, ce parti tend, durant cette campagne électorale, à affirmer son attachement au principe de laïcité. Ainsi celui-ci voit, dans son programme, « la laïcité comme une condition préalable de la démocratie et une

assurance à la liberté de religion et de conscience. », tout en rejetant « l’interprétation et la distorsion observant la laïcité comme étant un ennemi à la religion » .

Le Parti de la Justice et du Développement a ainsi appris des erreurs commises par les autres groupes islamistes qui l’ont précédé. Il est en effet impossible, à cette époque, qu’une formation s’oppose frontalement au principe de laïcité sans risquer d’affronter les mises en garde de l’armée, ainsi que de connaître sa dissolution. La volonté de mettre fin aux périodes d’instabilité économique et politique chroniques connues par la Turquie au cours des années 1990 devient alors le principal enjeu dont le parti de Recep Tayyip Erdoğan ambitionne de mettre en œuvre.

Dans la perspective de remporter sa première élection nationale, l’AKP a ainsi mis en place une stratégie à trois niveaux. Le premier contribue à se protéger en adoptant un langage portant sur la démocratie et les droits de l’homme. Le second niveau consiste à obtenir une légitimité démocratique par le biais d’une adhésion populaire massive. Le troisième niveau porte sur la reconnaissance du parti comme un acteur politique légitime à travers l’établissement d’une large coalition avec tous les secteurs .

Cette nouvelle formation souhaite alors s’inscrire rapidement comme un élément à part entière au sein de la vie politique nationale. Les élections anticipées de novembre 2002 représentent une opportunité majeure, voire historique, pour l’AKP de devenir un choix crédible et durable au cœur d’une société qui a connu des années difficiles et instables au cours des précédentes décennies.

De cette manière, le parti désire élargir sa base électorale en récupérant le maximum des voix des nombreuses personnes déçues par les membres de la coalition gouvernementale.

21 AK Parti, Party Programme, http://www.akparti.org.tr/english/akparti/parti-programme, consulté le 14 juin

2014.

22 Dağı, İhsan, “The Justice and Development Party. Identity, Politics, and Human Rights Discourse in the

Search for Security and Legitimacy”, in Yavuz, Hakan (dir.), The Emergence of a new Turkey. Democracy and

Celui-ci a réussi à attirer de nombreuses personnes, dans l’ensemble des provinces de la Turquie, lors de ses meetings de campagne. Ces derniers se sont généralement faits en évitant de proclamer des discours passionnés. Les candidats de cette formationont ainsi été dissuadés par la direction d’adopter une rhétorique politique empruntant des facteurs religieux et ethniques. Les principaux thèmes de campagne ont en conséquence portés sur les réponses à apporter face à la mauvaise gestion économique de la coalition gouvernementale en place avant les élections .

Durant cette campagne électorale, l’AKP a essentiellement affiché ses propositions pour le développement économique du pays, ainsi que ses politiques sociales tendant vers une meilleure justice et la lutte contre la corruption.

L’attention des discours électoraux s’est ainsi portée sur l’ensemble des couches sociales, particulièrement des classes plus défavorisées, généralement mises de côté par les partis politiques du pays.

Les sujets portant sur la religion, tel que la question du voile, ont été mis en arrière-plan afin de se concentrer essentiellement sur les questions économiques et sociales. L’AKP a voulu ainsi signifier le changement qu’il apporte dans la compréhension de la relation existant entre l’islam et l’État .

La formation de Recep Tayyip Erdoğan a ainsi souhaité mettre en avant de rapides réponses pour faire face aux attentes d’une large frange de la population.

La première campagne électorale de l’AKP s’avère donc être une véritable réussite. Le parti se retrouve ainsi rapidement en tête des sondages, loin devant les autres formations politiques turques, principalement le Parti Républicain du Peuple (Cumhuriyet Halk Partisi – CHP), créé par Mustafa Kemal en 1923. Quelques semaines avant la tenue du scrutin, la victoire du Parti de la Justice et du Développement ne fait plus aucun doute. La principale inconnue de cette élection devient alors de savoir quel sera l’ampleur deson avance sur les autres formations.

23 Tezcür, Güneş Murat, Muslim Reformers in Iran and Turkey. The paradox of moderation, Austin, University

of Texas Press, 2010, pp. 159-160.