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Il a ensuite paru pertinent d’élargir notre champ d’investigation aux pratiques informationnelles. Dans le cadre des différentes études menées, les pratiques ont été considérées comme englobantes et structurantes par rapport aux usages. Ce type de recherche suppose une analyse à plusieurs niveaux : le contexte organisationnel ou institutionnel, les ressources documentaires disponibles dans l’organisation, les

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dispositifs existants et enfin les usages effectifs. Les pratiques sont ainsi appréhendées de manière globale en lien avec l’environnement social, institutionnel et informationnel dans lequel elles se situent d’une part, et avec les usages dans lesquels elles se matérialisent d’autre part.

La recherche finalisée menée en lien avec le CHU de Grenoble (cf. supra) a donné lieu à un ensemble d’études qui illustrent ce type d’analyses à plusieurs dimensions.

Dans un premier temps, une analyse du contexte institutionnel a mis en évidence les activités des médecins hospitaliers (activités clinique, d’enseignement et de recherche) et les contraintes auxquelles ils sont exposés (obligation de formation continue, temps de travail, prise de décision, etc.). L’environnement informationnel a été étudié sous l’angle des acteurs de l’information médicale (éditeurs, laboratoires, structures documentaires) et des ressources disponibles au sein de l’organisation. Nous écrivions ainsi :

« Les médecins disposent d’un grand nombre de sources d’information. On peut en distinguer trois types, en fonction des institutions qui les produisent et du type d’usages qu’elles impliquent :

- Information médicale sur la santé publique : il s’agit de l’information qui

émane d’institutions publiques ou parapubliques telles que le ministère de la santé ou les agences sanitaires. Ces institutions produisent et diffusent des informations à destination des professionnels de la santé ainsi qu’aux simples citoyens. Le site du ministère de la santé français (http://www.sante.gouv.fr) ou le portail des agences sanitaires françaises (http://www.sante.fr ) proposent l’accès par exemple à des données statistiques ou à des études et rapports publics en texte intégral.

- Information médicale « sur la santé au quotidien » : ici, les sources

d’information ne s’adressent pas précisément aux médecins mais plutôt à leurs patients. Internet a permis un développement considérable de ce type de ressources, cantonnées auparavant à des encyclopédies de vulgarisation ou à des documents internes produits par des associations de malades. Cependant, ces sites ne sont pas consultés par les médecins spécialistes et sont très mal considérés par le corps médical.

- Information médicale professionnelle : ce type d’information

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représente sa principale source d’information. Plusieurs types de sources peuvent être distingués au sein de cette dernière catégorie. »109

Enfin, les pratiques ont été envisagées dans le cadre plus large de la structuration du champ scientifique médical d’une part et de l’évolution des manières de s’informer des patients d’autre part.

Dans un second temps, une série d’entretiens menés avec des médecins exerçant à l’hôpital a mis en évidence quelques caractéristiques de leurs usages des ressources informationnelles dont ils disposent (revues scientifiques, bases de données spécialisées, moteurs de recherche,..).

Plus récemment, je me suis intéressée aux pratiques informationnelles des doctorants et plus spécifiquement à leur activité de consultation de thèses110. Cette étude, menée avec Viviane Clavier, à la suite d’une collaboration scientifique entre le Gresec et le Lidilem, laboratoire en sciences du langage de l’Université Stendhal (Grenoble 3) dans le cadre d’un contrat financé par l’Agence Nationale pour la Recherche111. L’objectif de ce projet de recherche était l’étude du positionnement dans les écrits scientifiques. Avec Viviane Clavier, nous avons cherché à évaluer dans quelle mesure cette notion guide et oriente la consultation de documents scientifiques. Nous avons choisi de valider cette hypothèse à partir d’une étude de l’activité de consultation de thèses par des doctorants d’une part, et d’une analyse de marqueurs discursifs dans les textes d’autre part.

Dans le cadre de leur travail de recherche, les doctorants sont amenés à consulter des thèses ainsi que des mémoires d’habilitation à diriger les recherches. Des entretiens et observations ont montré d’une part comment cette consultation s’intègre dans des pratiques informationnelles plus larges. Nous indiquions notamment, en 2010 :

109 Staii Adrian, Balicco Laurence, Bertier Marc, Clavier Viviane, Mounier Evelyne et Céline Paganelli (2008). Les pratiques informationnelles des médecins dans les centres hospitaliers universitaires : au croisement de la logique scientifique et de la culture professionnelle, Revue canadienne des sciences de

l'information et de bibliothéconomie, vol. 30, n°1/2, mars-juin 2006, (p.72.1

110 Paganelli Céline et Viviane Clavier (2010). De la consultation de documents scientifiques à leur indexation : pertinence de la notion de positionnement en sciences de l’information ?, Les enjeux de

l’information et de la communication, Gresec, Supplément 2010, 23p. Disponible en ligne : http://www.u-grenoble3.fr/les_enjeux.

111 Ce programme, intitulé Scientext et dirigé par Francis Grossman et Agnès Tutin, enseignants chercheurs en sciences du langage, membres du Lidilem (Grenoble 3), a pris fin en 2010. 1

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« Dans le processus de rédaction de leur thèse, il semble que les sujets consultent indifféremment des ouvrages, articles ou thèses et n’attribuent pas de place particulière à ce dernier type de document. »112

Ces résultats montrent également comment cette consultation s’articule avec l’activité principale de ces doctorants :

« L'observation des parcours de consultation des thèses de doctorat a mis en évidence une lecture fragmentée, où les sujets lisent des extraits choisis en fonction de la tâche qu'ils réalisent, de l'état d'avancement de leur propre travail. La consultation de ces documents s'inscrit donc pleinement dans le cadre de la lecture professionnelle. »113

Dans le cadre de l’étude des activités informationnelles, il paraît clair que, repérer des tendances générales et dégager des connaissances stables supposent d’envisager des analyses à plusieurs niveaux qui appréhendent d’une part les usages dans toutes leurs dimensions, et qui considèrent d’autre part les usages comme des éléments participants de pratiques plus larges. Comme l’indique clairement Yves Jeanneret [2009], « l’usage est un élément de la pratique culturelle, celui qui concerne

les situations où les sujets sociaux sont confrontés à des dispositifs conçus par d’autres qu’eux. Il n’y aurait donc pas, pour moi, des usages de l’information, mais plutôt des pratiques informationnelles qui conduisent les sujets sociaux à être parfois confrontés à des dispositifs de médiation produits par d’autres (professionnels de l’information, ingénieurs, amateurs, marchands). Si l’on part de cette idée simple, on veillera toujours à se demander quel concept de pratique culturelle et informationnelle on mobilise lorsqu’on étudie l’usage des objets culturels, des dispositifs de communication, des œuvres et des textes ».

112 Paganelli Céline et Viviane Clavier (2010), op cit.1

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1113 Paganelli Céline et Viviane Clavier (2010), op cit. 1

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1-2-4- De la dimension langagière à la dimension sociale