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8 s ynThèse (Blaise Othenin-Girard, Mustapha Elyaqtine et Iann Gaume)

8.3 Pratiques funéraires

8.3.1 Du Bronze moyen au Bronze final

Les vestiges sépulcraux d’Alle - Les Aiges au début du Bronze final sont représentatifs d’une évolution des pratiques funé- raires constatée dans l’aire régionale (Plateau suisse, Alsace, Franche-Comté, sud-ouest de l’Allemagne) de la fin du Bronze moyen (Culture des tumulus occidentale) au Bronze récent (chap. 2.7.2). Il faut mentionner en premier lieu la transition des inhumations sur le dos, regroupées sous des tumulus, aux tombes à incinération, indépendantes dans une nécropole. On assiste également au Bronze récent à l’apparition de cavités circulaires avec un grand vase ossuaire. Les dotations céra- miques se généralisent, comprenant un éventail formel assez standardisé. Parmi les offrandes en bronze désormais plus fréquentes, de nouveaux types apparaissent. On relève une augmentation en taille et en poids de certaines formes, avec une nette prédominance des objets de parure par rapport aux armes et aux outils. Ces pièces métalliques du costume ont sou- vent une connotation féminine, comme l’association dans une sépulture de couples d’épingles et de bracelets. Une part de ces parures a été placée sur le bûcher et a subi des cassures volon- taires. Parmi les autres dépôts placés dans la fosse funéraire, des traces d’offrandes alimentaires se manifestent parfois ainsi que des résidus charbonneux issus de l’aire de crémation.

raires de la fin du Bronze moyen ; il faut plutôt envisager le renforcement ou la diminution de tendances, qui deviennent prédominantes ou anecdotiques au début du Bronze final. Ainsi, si quelques sépultures à incinération en fosse sont répertoriées sous tumulus au Bronze moyen, de rares tombes à inhumation subsistent au Bronze récent. Durant cette dernière période, la fonction de regroupement du tertre recouvrant des incinérations ne semble pas avoir totalement disparu sur le Plateau suisse, malgré la domination nette des sépultures indépendantes dans les cimetières. Il faut aussi tenir compte du temps écoulé lors de la diffusion vers l’ouest de nouvelles pratiques ou d’inventions initiées au Bronze moyen en Europe centre-orientale et qui ne se manifestent dans nos contrées qu’au Bronze récent. Au Bronze moyen, des fosses avec des

ossements brûlés en vase ossuaire sont connues 647de même

que le phénomène de l’augmentation des parures métalliques au détriment des armes et des outils, ainsi que le bris volon- taire de ces éléments du costume. Malgré l’apparition de nou- veautés dans le registre du mobilier funéraire céramique ou métallique, les artisans du Bronze récent ne font qu’adapter ou modifier des formes ou des décors déjà présents à la période précédente.

8.3.2 Configuration des tombes

Aux Aiges, comme dans les nécropoles de l’espace régional, les pratiques funéraires au Bronze récent donnent une impres- sion de diversité (chap. 2.7). Cette hétérogénéité se marque d’une part au sein d’un même cimetière et d’autre part, des préférences locales se manifestent selon les aspects considérés. En effet, les modes d’aménagement (architecture interne) et de déposition des divers contenus des tombes (ossements inci- nérés, mobilier manufacturé, offrandes alimentaires, résidus de crémation) révèlent une assez forte variabilité.

La configuration de la cavité reste le dénominateur commun le plus adéquat pour classer les structures funéraires. A Alle, comme dans d’autres nécropoles, on observe d’un côté des sépultures à incinération en fosse allongée ovale à rectangu- laire, d’une longueur variant de 1,8 m à 2,7 m, avec un fond plat ou parfois irrégulier, avec des surcreusements et de l’autre, des tombes en fosse circulaire ou ovale d’un diamètre de 0,5 m à 0,8 m, comprenant des parois évasées et un fond plat, voire en cuvette ; ce type de cavité ayant souvent servi de réceptacle à un vase cinéraire. L’emploi de bois ou de roches est attesté dans l’architecture des tombes, pour l’aménagement de coffrages, de compartimentages ou pour leur couverture. Ces usages paraissent davantage obéir à des choix locaux qu’à une acces- sibilité de ces matières premières. Elles abondaient aux Aiges à l’époque, mais leur emploi reste ici anecdotique et se limite à la fermeture de deux tombes à fosse circulaire probablement par des planches et à l’entourage d’une unique fosse allongée par des dalles. En revanche, à Ensisheim - Reguisheimerfeld en Alsace le bois est couramment utilisé, de même que la pierre à Neftenbach I-II. A Alle comme à Ensisheim, les incinérations en fosse circulaire se manifestent dès le début du Bronze récent (Bz D1) à côté de celles en tombe allongée, ces dernières étant

suspecter à Alle et ailleurs sur le Plateau suisse, la fosse circu- laire avec vase cinéraire va prendre de l’importance dans la phase terminale du Bronze récent (Bz D2 - Ha A1). Plus tard au Bronze final dans le canton du Jura (Ha B1), la grande nécropole de Delémont - En La Pran ne comprend que des incinérations en fosse circulaire, quasiment toutes déposées dans un vase ossuaire.

8.3.3 Restes humains incinérés

Aux Aiges, les ossements incinérés, toujours triés, sont placés de manière concentrée dans le fond d’une grande urne pour les tombes en fosse circulaire (chap. 2.7 et 3). Dans les cavités allongées, ils figurent dans un ou deux ossuaires dont l’empla- cement varie : aux extrémités ou au milieu de la fosse sous forme d’amas ovalaire, au centre de celle-ci selon une confi- guration longiligne. A côté d’un simple dépôt en pleine terre, on peut envisager dans quelques cas l’emploi d’un contenant en matière souple périssable, voire d’un vase ossuaire. De telles dispositions se retrouvent en particulier à Ensisheim, où l’emploi de coffrages en bois est en plus attesté. Dans les sépultures en cavité allongée comprenant deux ossuaires, on constate dans un cas (249) que chaque amas comprend les restes d’un individu, constituant une tombe double. Mais dans d’autres sépultures des Aiges (198, 282), un unique sujet est réparti dans deux ossuaires. Un autre exemple (265) montre que les ossements de deux défunts sont réunis dans une seule concentration osseuse. Pour les sépultures doubles 265 et 249, la répartition des ossements indique le décès et la crémation simultanée de deux sujets dans un même bûcher (265) alors que la combustion de deux individus sur deux bûchers suc- cessifs d’une même aire de crémation est envisagée pour la tombe 249. De manière générale, les ossements attestent une combustion bien aboutie, réalisée avec des essences de bois au pouvoir calorifique élevé.

La nécropole d’Alle compte un nombre minimum de quatorze individus, répartis dans trois tombes doubles (249, 265, 291) et huit simples (189, 198, 226, 250, 278, 282, 290, 292). Il ressort une certaine importance des sépultures multiples par rap- port à d’autres nécropoles contemporaines, une particularité constatée aussi à Ensisheim ; ce phénomène dénote peut-être une caractéristique régionale. Des traits crâniens permettent de définir quatre sujets très probablement masculins dans les tombes 189, 250, 290 et 292. De manière moins certaine, la composition des parures en bronze des sépultures 249, voire 278 et 282, laisse envisager la présence de trois femmes. Les âges au décès déterminent cinq adultes, trois adultes ou adolescents et six enfants en bas âge. La représentation élevée des enfants implique une mortalité infanto-juvénile non négligeable. Par ailleurs, des lésions pathologiques de nature dégénérative ont été relevées sur quelques sujets, indiquant un âge avancé ou la répétition de travaux pénibles.

Aux Aiges, l’âge au décès n’a pas eu d’influence sur le recrute- ment du cimetière. Les tombes d’enfants ne révèlent aucune discrimination par rapport à celles des adultes, que ce soit en termes de taille ou de type de tombe, de dotations ou d’emplacement dans le champ funéraire. Les sujets en bas âge se retrouvent en sépulture simple ou double, dans ce cas associé à un adulte, une configuration usuelle au Bronze final. Il en va de même à Ensisheim, à la différence que là, les sépultures d’enfants se concentrent plutôt dans un secteur spécifique de la nécropole. A Alle, il se pourrait qu’une disposition différenciée des tombes en fonction du sexe ait été appliquée, mais l’effectif restreint de structures et le faible taux des estimations sexuelles vraiment fiables rendent cette proposition hypothétique. Selon les observations réalisées dans les structures funéraires les mieux préservées, les ossuaires ne révèlent pas de sélection puis de déposition différenciée des régions anatomiques. Par rapport à d’autres nécropoles contemporaines, on relève aux Aiges une représentation élevée de la masse du squelette, même si elle demeure inférieure à celle, théorique, d’un individu incinéré. 8.3.4 Dotations manufacturées

Dans leur ensemble, les onze sépultures comprenaient un minimum de 23 parures en bronze (dont une perle alliant métal cuivreux et feuille d’or) et une vingtaine de céramiques de bonne facture (chap. 2.7 et 4). Dans la première catégorie dominent clai- rement les épingles, suivies des bracelets et dans une moindre mesure de crochets de ceinture, d’anneaux, etc. Un rivet de cou- teau ou de poignard constitue le seul élément n’appartenant pas au registre ornemental du costume. Hormis deux ou trois grandes jarres qui ont servi de réceptacle aux dépôts funéraires dans les fosses circulaires, on relève avant tout des gobelets, ensuite des pots ou une cruche ainsi que des écuelles ou coupes. La répartition de ce mobilier d’accompagnement montre que la majorité des sépultures comporte des récipients, une seule (249) en étant dépourvue ; le nombre de vases d’offrande oscille de un à trois, voire quatre. Deux tombes ne recelaient pas d’objets métalliques (189 et 250) ; pour les neuf autres, l’effectif varie d’un à huit artefacts, mais six fosses funéraires ne comprenaient qu’une seule parure. Les tombes probablement masculines paraissent plus pauvres en parure métallique (aucun objet ou une épingle) que les sépultures estimées féminines sur la base de la composition des pièces du costume (3, 6 et 8 pièces, avec l’association d’épingles et de bracelets). Les pièces en bronze figurent le plus souvent au sein même des ossuaires alors que les vases d’accompagnement ont été placés sur ou à côté des amas osseux, même dans les tombes à fosse allongée.

Il apparaît que la majorité des offrandes en métal (16/23) a accompagné les défunts sur le bûcher et qu’une part encore plus importante de ces objets (20/23) a subi des cassures ou des torsions volontaires avant leur dépôt dans la tombe ; par ail- leurs, peu de pièces en métal y figurent de manière complète, des portions d’objets ont été gardées par les survivants des défunts. Pour la céramique, une minorité de poterie comporte des traces d’altération secondaire par le feu. Le bris intentionnel de vases est difficile à évaluer aux Aiges en raison des pertur- bations ultérieures subies par les sépultures ; toutefois dans

les mieux conservées d’entre elles, les récipients sont intacts, y compris un exemplaire placé sur le bûcher.

Dans les grandes lignes, les caractéristiques des dotations funé- raires d’Alle correspondent à celles observées dans d’autres nécropoles contemporaines de l’environnement régional. Des différences s’expriment toutefois ; elles concernent par exemple une dotation plus riche en vases à Ensisheim - Reguisheimerfeld et à Neftenbach I-II, mais là-bas, les parures métalliques y sont moins fréquentes qu’à Alle. De surcroît, il se dessine parfois une bipartition des dotations dans certaines cavités funéraires allongées : les parures métalliques sont intégrées à l’ossuaire alors que les vases ont été placés à quelque distance de celui-ci. Dès le Bronze récent, les officiants des cérémonies funéraires déposent dans les sépultures une vaisselle déjà standardisée constituée de récipients de taille moyenne à petite, soit des pots ou cruches, des gobelets ainsi que des formes basses et ouvertes telles des écuelles ou des coupes. Par ailleurs, il est établi que le nombre de vases d’offrande introduit dans les tombes augmente clairement au cours du Bronze final. A l’inverse, la quantité d’objets d’accompagnement en métal diminue dès le Ha A. Mais quelques indices, comme des billes de bronze fondu découvertes dans certaines sépultures, pourraient indiquer une modification de comportement ; des parures ont pu être placées sur le bûcher, puis ensuite gardées par les acteurs des funérailles. Au Bronze récent à Alle, on relève déjà que des parures brûlées et brisées n’ont été déposées que partiellement dans les fosses funéraires. 8.3.5 Offrandes alimentaires

Dans presque la moitié des tombes des Aiges, les investiga- tions ont révélé, en faible quantité, la présence souvent conco- mitante de restes osseux calcinés de faune domestique (porc et caprinés) ainsi que de végétaux brûlés (orge vêtue, blé, épeautre, fèves, lentilles, plantes sauvages et résidus végétaux non identifiés) dans les ossuaires et les résidus de crémation (chap. 2.7, 5 et 6). Le contexte sédimentaire du site empêche la préservation de pièces de viandes ou d’espèces végétales non calcinées ; de ce fait, des offrandes de viande fraîche ou de mets végétaux non cuits directement dans les tombes ne sont pas détectables. Il ressort que ces restes alimentaires carbonisés ont été placés à dessein sur le bûcher mais que leur présence rare dans les cavités funéraires est en général aléatoire et non volon- taire. Dans un seul cas toutefois (290), une mandibule de porc calcinée a été déposée à dessein au sommet d’un ossuaire. Les données comparatives pour apprécier l’importance de cette pratique sont encore peu nombreuses. Pour l’ensemble du Bronze final régional, on relève dans les nécropoles où cette recherche a été entreprise, que 20 à 66 % des sépultures contiennent des restes carbonisés de faune (45 % à Alle et 28 % à Ensisheim au Bronze récent). A côté du porc et des caprinés se manifestent aussi le bœuf et parfois des espèces sauvages, représentées surtout par le cerf et le sanglier. Pour les offrandes de nature végétale, les possibilités comparatives sont encore plus restreintes; à Ensisheim - Reguisheimerfeld toutefois, des restes calcinés de ce type sont mentionnés dans quelques sépul- tures, associés comme à Alle à des ossements brûlés de faune.

Des accumulations charbonneuses, parsemées de nodules de terre cuite, d’esquilles osseuses calcinées et parfois de parti- cules ou billes de bronze fondu ont été observées dans huit des onze sépultures des Aiges, autant dans celles en fosse circulaire qu’allongée (chap. 2.4 et 2.7). Il s’agit surtout du bois consumé du bûcher, déposé dans la cavité funéraire ; le volume et l’empla- cement de ce dépôt particulier peuvent varier. Dans les sépul- tures en fosse allongée, il a été placé le plus souvent en masse compacte contre une paroi et le fond de la fosse, au contact de l’ossuaire disposé au-dessus. Dans les tombes en fosse circu- laire, il figure sous et autour de la base du vase ossuaire, mais aussi sur une couverture organique de la fosse, voire à l’inté- rieur d’un gobelet d’accompagnement présent dans l’urne. Cette pratique bien attestée à Alle a aussi été observée au Bronze récent dans les nécropoles relativement proches, notamment en Alsace dans le Haut-Rhin à Ungersheim - Lehle ou à Ensisheim- Reguisheimerfeld. Il apparaît déjà que les modes de déposi- tion dans la fosse funéraire montrent une certaine variabilité. A l’avenir, il pourrait être favorable d’estimer par une approche plus systématique la fréquence de ce dépôt dans les nécropoles à incinération et l’évolution du phénomène au cours du Bronze final. De surcroît, les charbons de bois révèlent les espèces ainsi que la taille du bois utilisé pour les crémations (chap. 7). Aux Aiges, on constate le choix de pièces de bois issues de troncs d’un éventail restreint d’essences à bon pouvoir calorifique (sapin blanc, hêtre, chêne, érable plus rarement). A Ensisheim, une stratégie différente a été appliquée, avec la sélection d’une multitude d’espèces ligneuses témoignant plutôt d’une gestion de l’environnement arboré.

8.3.7 Dépôts connexes

Intégrés spatialement et chronologiquement à la nécropole des Aiges, les deux dépôts contigus (190, 194) comprennent au total dix parures en bronze et en or ; ils constituent un phé- nomène peu fréquent en contexte funéraire (chap. 2.5 et 2.7). On retrouve en majorité des types d’objets similaires à ceux placés dans les tombes ; plusieurs d’entre eux ont été brisés. En revanche, par rapport aux sépultures, des différences se manifestent par la quasi-absence d’artefacts brûlés et par le fait que, bien que cassés, ceux-ci subsistent de manière com- plète. En outre, deux types n’apparaissent pas dans les tombes (boucle en fil d’or, appliques circulaires).

Plusieurs auteurs ont souligné, à l’âge du Bronze, la relation ou la complémentarité possible entre sépultures et dépôts. Dans les nécropoles d’Ensisheim - Reguisheimerfeld et de Passy-Véron-Les Prés Pendus, des fosses bien préservées (non pillées) contenant seulement des récipients sont interpré- tées comme des structures qui ne possèdent pas de véritable caractère sépulcral. Dans ce sens, ces manifestations peuvent être mises en parallèle avec les deux amas de parures en métal d’Alle - Les Aiges. Les motivations de ces pratiques et leur inté- gration au processus des funérailles demeurent obscures ; ils matérialisent peut-être des cérémonies commémoratives, de séparation et d’agrégation.

Au Bronze récent dans la grande nécropole d’Ensisheim, un mode d’implantation des sépultures en fosse allongée a pu être suspecté selon deux axes perpendiculaires (nord-ouest/sud-est et nord-est/sud-ouest), autour d’une aire circulaire réservée dont le centre était occupé par deux tombes atypiques, plutôt pauvres en offrandes (chap. 2.7.2). L’une contenait notamment cinq individus incinérés et l’autre l’unique élément d’armement du champ funéraire. A Alle, le nombre restreint de structures en fosse allongée (7 unités) ne laisse pas apparaître clairement un système de développement orthogonal ; on constate tout au plus que les sépultures les plus récentes (Bz D2 - Ha A1) sont localisées dans la zone occidentale du cimetière. Mais il se pour- rait qu’une zone réservée ait existé aux Aiges, elle aussi pourvue d’une tombe centrale ; cette dernière (250) se distingue en effet des autres par un aménagement inhabituel, soit l’emploi d’un coffrage de dalles calcaires, ainsi que par une indigence en dotation (un seul vase).

La proximité de nécropoles du Bronze récent (sud-est du Bassin parisien, Ensisheim) avec l’élément aquatique a également été relevée ; cette situation se vérifie de même à Alle où le cimetière dominait une plaine alluviale parcourue à l’époque de petits cours d’eau, aujourd’hui en grande partie comblés.

8.4

Céramique au Bronze moyen et récent dans

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