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CHAPITRE 4 : PRÉSENTATION DES RÉSULTATS

2. Les conditions de travail au Cirque du Soleil

2.3. Les pratiques collectives

À présent, il incombe de montrer en quoi le Cirque du Soleil est avant tout le fruit d’une dynamique organisationnelle collective. Car en effet, la juxtaposition des disciplines circassiennes sur une même scène nous amène à étudier la dimension collective dont relève la profession. Par exemple, rien ne serait possible sans la mobilisation d’une équipe interdisciplinaire œuvrant ensemble à la réalisation d’un spectacle de cirque et surtout sans les personnes qui se trouvent en arrière de la scène : « la personne la plus importante dans le show, elle n’est pas sur la scène. » (Alain)

Si certains artistes, choisissent d’évoluer de manière individuelle sur la scène, il y a toujours une équipe en arrière de celle-ci pour assurer le bon déroulement du numéro et pour permettre à l’artiste de réaliser ses prouesses techniques et artistiques dans de bonnes

conditions. Techniciens, ingénieurs du son et des lumières, producteurs, directeurs artistiques, coach sportifs, artistes, etc., autant d’individus occupant une place importante au sein d’un spectacle, et sans lesquels la représentation ne serait pas possible.

« En tant que groupe, les artistes s’approprient le spectacle. Il y a comme une communauté qui s’établit et qui est très diverse, au niveau des nationalités. Ça créé un phénomène de tolérance immense. Il y a beaucoup de respect entre les artistes eux-mêmes. C’est un milieu assez particulier au Cirque du Soleil parce qu’il peut y avoir dans un même spectacle, plus d’une vingtaine de nationalités différentes. » (Benoît)

À cela s’ajoute la très grande proximité que les artistes peuvent avoir entre eux.

D’une part, il y a le fait de s’entrainer et de répéter ensemble durant des heures un même enchaînement. D’autre part, il y a le fait que les artistes résident sur leur lieu de travail en tout temps : pour travailler, pour s’entrainer, pour répéter et pour y habiter. Ils partagent ensemble leur quotidien ce qui vient créer une certaine forme de convivialité au sein de l’ensemble de la troupe (Cordier, 2009). De même, lorsque les artistes sont formés avant de partir en tournée à l’international, la très grande majorité d’entre eux passe par le siège social international de Montréal et réside à l’internat durant toute la durée de la formation:

« En fait, quand on crée un show, les artistes sont à l’internat, ils dorment là-dedans, ils mangent là-dedans. Et même pour l’intégration c’est bien en fait car quand tu sais que tu vas faire une tournée avec des gens H24, ça apprend à mieux se connaître comme ça. » (Raphaël)

Cette cohésion contribue à renforcer le sentiment d’appartenance au cirque mais aussi entre les artistes. Cela vient créer une forme de proximité que l’on ne retrouve pas nécessairement dans les autres arts de la scène.

« C’est la magie de la troupe. On travaille tellement de temps ensemble. Pis on est collé, on sue ensemble. Y a une proximité sans être intime, ça se créer rapidement » (Justine).

« Puis, il y les accidents aussi, c’est des moments difficiles que tu vis ensemble.

Tu sais, quelqu’un qui se casse la jambe, si ça arrive pendant un moment sur la scène, tout le monde se met ensemble pour continuer, the show must go on.

Tous ces moments, ça fait que l’union se créer beaucoup. Et tout le temps qu’on passe après les shows, après le spectacle. Il y a un esprit de… Une vraie communauté. » (Margaux)

Ainsi, l’apport humain dans le cirque est tout aussi important qu’il est porteur de grandes valeurs telles que la solidarité, le partage, l’entraide, l’esprit d’équipe et la confiance (Arsenault, 2007). De la même façon qu’il est reconnu que le cirque encourage le partage et l’entraide, plusieurs artistes nous ont fait part que le cirque était pour eux une grande famille :

« Surtout au Cirque du Soleil, le cirque c’est comme ma nouvelle famille. C’est une grande famille. » (Stéphan)

« C’était comme une famille dans ce temps-là, y avait des caravanes. Fait que y avait vraiment un esprit de famille, même après le show. C’était vraiment l’fun […] C’était vraiment une famille. Tu sais, je sentais que j’avais au moins 10 frères. »

(Dylan)

« On était tellement soudé tous ensemble, c’est sûr. C’était en mode on s’entraide quoiqu’il arrive. Il n’y avait pas vraiment de compétition entre nous, juste un grand respect de ce que l’autre sait faire. » (Laurie)

Cependant, étant donné la place qu’occupe cette appartenance au groupe dans la pratique de la profession, toute sortie de scène est difficile et d’autant plus si cette sortie

n’a pas été longuement préparée à l’avance (Julhe et Bourneton, 2018). Devenir à nouveau responsable de sa vie, de ses déplacements, de son logement, de sa nourriture etc., s’avère particulièrement complexe pour la plupart des artistes en transition :

« J’ai eu des down un peu parce que la réalité, je ne l’ai jamais vécue. » (Justine)

« Le retour est très difficile, on parle beaucoup de dépression, c’est difficile, parce que des fois tu ne sais plus comment t’organiser parce que tu étais pris en charge, surtout quand tu vas sur des tournées très longues et que ça va bien dans le sens que tu n’es pas blessé. » (Dylan)

Justine et Dylan, ces deux anciens artistes qui ont effectué une transition de carrière nous expliquent à quel point « le retour à la réalité », c’est-à-dire le retour à un mode de vie plus ordinaire, sans tournées, sans déplacements, etc., est difficile à vivre. De plus, sortir de la communauté circassienne et de la troupe d’artiste peut être à l’origine de difficultés psychologiques importantes. En effet, après de nombreuses années à travailler ensemble, cette sortie du groupe d’appartenance est aussi difficile que de réapprendre à s’organiser personnellement. Pour ces deux artistes, le moment d’entreprendre une transition a par ailleurs été retardé puisque qu’ils n’osaient pas se confronter à cette nouvelle réalité.

Par ailleurs, tel que mentionné dans la revue de littérature (voir chapitre 2, section 5), les risques physiques et les blessures peuvent constituer des éléments déclencheurs de la transition de carrière. Le corps, outil de travail indispensable aux artistes du cirque, est souvent fragilisé par les douleurs et les maladies chroniques qui sont fréquentes dans l’exercice de la profession. Ainsi, nous présentons dans la prochaine section les éléments relatifs aux blessures des artistes du cirque et les conséquences de celles-ci sur leur carrière.