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Les pratiques bilingues ont été observées par Karen Emmorey chez des entendants de parents

sourds : elle a proposé le terme de « code-blend » pour les productions simultanées en ASL et

en anglais ; la notion de code-switching gardant son sens originel d’alternance séquentielle

(Emmorey, Borinstein, & Thompson, 2005).

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Ella est une amie de Alix : elles se sont filmées ensemble dans une activité de travaux manuels avec des enfants entendants.

1.Code-blend (superposition des langues)

Nous garderons ce terme de « code-blend » pour des productions où les deux langues sont

produites tout au long d’une proposition ou d’un acte de parole. On distinguera plusieurs cas

de figure.

a)code blend redondant

Les deux langues fournissent le même message

code blend redondant monomodal

Dans ce type de code-blend, il y a des labialisations mais pas de son, il est très largement

utilisé par les personnes de notre recherche entre personnes sourdes.

Léa [BIEN SUR][MODE][EVOLUER][PERSONNE][PORTABLE][JAMAIS][VOIR] lab lab lab lab lab lab lab

On remarque que dans ce genre de pratiques le discours est porté par la LSF (« LSF-supported

speech ») et que les associations bilingues se font mot à mot et dans l’ordre des signes de la

LSF.

code blend redondant bimodal,

Il s’agit de superposer langue des signes et français oral. Contrairement au code blend

monomodal, le discours est ici supporté par le français (« French supported speech »),

puisque, selon nous, l’utilisation de la voix permet justement de penser que c’est le français

qui porte l’énoncé. Les signes n’apparaissent pas nécessairement en suivant l’ordre du

français. Cette pratique bilingue est beaucoup utilisée par les parents entendants et une de nos

sujets sourds, Eva, l’utilise avec son père.

Eva

Ah ! quand je vais promener le chien, Alix était venue .. XXX …Alix ... m’a appelé [QUAND][PROMENER] [CHIEN] [ALIX] [LA] [XXX] [MAPPELER]

b)code blend complémentaire

Il s’agit de production bilingue bimodale où c’est l’ensemble des deux messages – celui en

français oral et celui en LSF – qui porte la totalité du sens. Les informations sont ainsi

complémentaires. On en trouve de nombreux exemple dont un particulièrement intéressant

chez Eva puisque le mot « sourd » n’est pas présent dans le message en français mais est

présent dans le message en LSF qui lui est associé.

Eva non non non … moi …seul … oui [NON] [MOI][SEUL] [SOURD][OUI]

On observe parfois l’émission de non verbal vocal durant la réalisation d’un signe dont le

contenu sémantique n’est pas présent dans le message vocal

Alix ça va mieux … tout … pffft sauf le niveau français [MIEUX] [TOUT][EVOLUTION] [SAUF][NIVEAU][FRANÇAIS]

Et bien sûr, mais il semble que le phénomène soit plus rare, c’est parfois le message en

français qui peut être porteur de plus d’informations que le message en LSF.

Eva moi je ne sais pas j’vais faire les courses avec ... papa

code blend discordant

Il s’agit là d’un phénomène repéré lorsque les éléments linguistiques produits dans les deux

langues ne sont pas sémantiquement équivalents. Ce sont en fait des erreurs de réalisation qui

affectent en général la production des signes et non du français.

Eva oui ...j’ai oublié ... j’ai regardé mais c’est bizarre .. y’en avait pas

[OUBLIER] [REGARDER] [MAIS] [ME-CONVAINCRE] [YA PAS] [INCOMP.]

Dans ce cas, on peut dire que l’on est en présence d’une sorte de lapsus en LSF

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[

BIZARRE

] et

[

CONVAINCRE

] étant exécutés avec les mêmes formes de mains.

2.Insertions ponctuelles

On parlera d’insertions ponctuelles des langues lorsque le message porté par une des langues

est beaucoup trop lacunaire dans l’autre pour qu’il puisse faire sens. Il s’agit souvent d’un

discours en français oral avec quelques signes, pratiques qui sont attestées chez Léa, Tim et

Eva dans leur famille entendante.

Lea après le bac il n’y a plus d’interprètes

[APRES] [IL NYA PLUS]

On remarque que dans certains énoncés un peu longs, les signes qui vont ponctuer le discours

en français sont souvent des connecteurs [

MAIS] [APRES

], ou des organisateurs discursifs

[PREMIEREMENT][DEUXIEMEMENT

] ; dans ce cas, il est d’ailleurs très difficile de trancher entre langue

des signe ou gestes, dans la mesure où ces gestes font partie de la gestualité entendante. Les

fonctions de ces insertions seront à étudier de manière plus quantifiée sur l’ensemble de notre

corpus.

Les insertions ponctuelles peuvent également consister en la production de labialisations et/ou

d’articulations de mots français éparses que nous n’avons pas observées dans la partie du

corpus étudiée.

3.Les code-switching

Il a été souvent observé (Emmorey, Borinstein, & Thompson, 2005; Petitto, Katerlos, Levy,

Gauna, Tetreault, & Ferraro, 2001) que les code switching étaient rares dans les productions

bilingues bimodales, il est vrai que dans la partie du corpus étudié nous n’en avons pas trouvé

au sens strict ou un locuteur passerait d’une langue à l’autre, dans des séquences du type :

français/LSF/français ou LSF/français/LSF.

Cependant, il nous apparaît que, dans le cadre du bilinguisme sourd, il vaudrait mieux

envisager les code-switching au niveau des énoncés c’est-à-dire des langues et des modalités

véhiculées. En effet on peut, dans les insertions ponctuelles lacunaires voir des code

switching entre une expression bilingue et une expression monolingue −comme dans

l’exemple donné plus haut, où Eva insère, dans une expression bilingue bimodale, un segment

dans la seule langue française : « je ne sais pas ».

Ainsi, à un plan théorique on pourrait avoir des code-switching descriptibles comme suit :

bilingue/monomodal /// bilingue/bimodal /// monolingue/monomodal /// etc.

Maintenant que nous avons envisagé tous les types d’énoncés que l’on peut rencontrer on peut

établir les répertoires communicatifs de trois des jeunes adultes sourds étudiés dans cette

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Bellugi et Klima, qui, à notre connaissance, sont les seuls à avoir travaillé sur les lapsus en LSF, les définissent comme étant des signes exécutés avec une inversion de paramètres. (Klima & Bellugi, 1978).

recherche : Tim, Léa et Eva qui sont ceux pour lesquels nous disposons de données

situationnelles diversifiées.