II. Regards croisés sur les outils de la rééducation
3. La LPC : ennemi de la LSF ou aide ponctuelle ?
a)un ennemi de la LSF
Nina, Pat et Alix se montrent donc catégoriques : s’appuyant sur le fait que la LPC n’est pas
une langue, tous trois usent de cet argument, avec un investissement affectif indéniable, pour
mettre en doute l’efficacité de ce code. Considérant la LSF comme l’une de leurs valeurs
identitaires, ces locuteurs décrivent la LPC comme un code inutile et sans importance,
incapable de rivaliser avec la LSF.
Alix : je n’aime pas le code (51) …je n’aime pas beaucoup le code, je me trompais toujours je ne
comprenais pas mais on peut lire sur les lèvres, on s’en fout du code, on s’en fout et les signes c’est
encore mieux (54)
49 Le développement du sigle LPC est passé récemment de Langage Parlé Complété à Langue française Parlée Complétée, qui rend la dénomination plus claire, puisqu’il s’agit d’un code manuel, exécuté autour des lèvres en même temps que la parole vocale, qui vise à rendre visible cette parole, spécialement en désambigüisant tous les sosies labiaux.
Pat : je n’aime pas (28) …je suis contre ! (30)…ce n’est pas ma langue, ma langue c’est la LSF, pas
la LPC …pour moi, ce n’est pas important (32)
Nina : la LPC, je ne l’ai jamais utilisée mais je pense que la LPC n’est pas une vraie langue, c’est
juste pour aider …mais je ne l’ai jamais utilisé, je suis contre. La LSF est une langue car elle possède une grammaire, des structures …le français aussi mais la LPC n’en est pas une ! c’est complémentaire du français mais ce n’est pas une langue ! non ! (86)
L’inscription discursive de ces trois locuteurs est une inscription dans le champ du débat
idéologique, les extraits présentés s’analysent comme des réponses à une alternative
linguistique imposée au Sourds dans le cadre de l’oralisme. Les autres membres du groupe se
positionnent différemment : la LPC, outil pour un accès facilité aux langues orales, peut être
une aide que l’on peut accepter dans le cadre d’une pédagogie bilingue : en aucun cas il n’est
une aide à la communication.
b)une aide partielle pour l’acquisition des langues vocales
La position est donc tout en nuance comme l’atteste l’emploi récurrent de la conjonction de
coordination « mais » qui, semble-t-il, permet de concéder des avantages à la LPC, tout en
gardant ses distances.
Zoé : la LPC, j’ai grandi avec donc je ne peux pas vraiment être contre mais c’est vrai que ce n’est
pas fait pour la communication (104)
Gil : je pense que le code aide pour mieux écrire, pour moins écrire comme on signe … le code donne
précisément les structures des phrases mais moi je n’aime pas, je suis contre (26) oui ça aide je me souviens quand j’étais petit pour les dictées, il y avait une affiche pour le code et une codeuse, je regardais les deux et après j’écrivais et ça m’aidait, c’était mieux ! (28)
Léa : moi je n’aime pas car pour communiquer par exemple toutes les deux avec la LPC non ! je n’aime pas mais par contre je pense que ça aide pour les dictées et aussi pour l’anglais c’est bien la LPC, ça aide les sourds ! (122) …
La LPC fait ainsi l’objet de deux représentations sociales distinctes, lisibles dans les discours,
qui ont à voir avec la perception du bilinguisme que se font ces jeunes adultes. En effet, Pat et
Alix ne paraissent pas vraiment à l’aise avec la notion bilinguisme, comme en témoignent les
réponses qu’ils font à l’enquêtrice à ce sujet :
Alix : [enq] - toi tu es bilingue, tu es bilingue ?
- non
[enq] - c’est quoi bilingue pour toi ?
- moi je suis sourde je suis née sourde je préfère / j’ai l’habitude de signer je préfère j’utilise l’oral avec des personnes entendantes
[enq] - mais tu penses que tu es bilingue ?
- je sais pas encore (19-25)
Pat : [enq] - et est-ce que tu penses être bilingue ?
- oui !
[enq] - et quelles sont les langues que tu utilises alors ?
- la LSF, la langue des Sourds … pour la communauté sourde, c’est bien ! (45-48)
tandis que Nina définit, sans hésitation, son bilinguisme comme un bilinguisme LSF/français
écrit.
Nina : oui, je suis bilingue ; bilingue LSF/français écrit c’est tout ! Pas l’oral, non, l’oral je le laisse
de côté, non pas l’oral (52)
Nina est la seule du groupe à nous avoir dit avoir été scolarisé en « classe bilingue », or,
actuellement, les classes dites « bilingues » sont des classes qui excluent le français vocal, et
tentent une pédagogie qui associe directement la LSF au français écrit
50, auquel cas on
50
Suivant en cela à la fois les préceptes théoriques posés par Liddel et al. d’une part et par Bouvet d’autre part (Bouvet, 1989 [1982]). Cependant, un nombre important de recherches montrent que, même pour les Sourds,