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La pratique religieuse aujourd’hu

3. Vie et pratique religieuses dans le canton: permanences et changements

3.1. La pratique religieuse aujourd’hu

En Singine, on raconte que les prêtres, il y a cinquante ans encore, pouvaient compter sur les doigts des deux mains ceux qui n’étaient pas à la messe le dimanche! Inutile de dire que la situation a beaucoup changé. Les statistiques en matière de pratique religieuse doivent être traitées avec prudence. Si la tradition, aujourd’hui largement évanouie, de l’assistance obligatoire à la messe dominicale a marqué les mentalités catholiques, ce n’est plus la seule mesure de la foi et de l’attachement confessionnel.

Quant aux autres communautés religieuses, la pertinence de la présence au culte comme critère pose des problèmes supplémentaires: par exemple, chez les musulmans, il n’est pas attendu des femmes qu’elles participent à la prière communautaire du vendredi, même si certaines le font dans les sections qui leur sont réservées. De même, il y aurait nombre d’hommes qui préfèrent prier chez eux plutôt que dans des salles de prière (y compris des convertis qui préfèrent que leur démarche spirituelle ne soit pas connue).

Les attentes et critères en matière de pratique ne sont donc pas identiques d’un groupe à l’autre. Dans des groupes plus petits, les attentes demeurent parfois élevées: dans plusieurs Églises évangéliques, la notion de «chrétien non pratiquant» est une contradiction dans les termes, d’autant plus qu’il s’agit de groupes fondés sur l’adhésion volontaire et personnelle. Le pasteur d’une communauté évangélique nous a expliqué que, chez lui, si des gens ne viennent plus que de temps en temps, il ne les considère plus comme membres (cela ne signifie pas que tout le monde est présent chaque dimanche). Il faut garder à l’esprit ces distinctions en lisant les statistiques d‘appartenance: selon les groupes, la pratique peut se situer à moins de 10% comme elle peut avoisiner les 100%, avec toute une série d’échelons entre ces deux extrêmes.

Curieusement, les grandes Églises ne semblent pas avoir recueilli des statistiques précises sur la pratique religieuse à l’échelle du canton: en modulant une enquête selon des critères plus variés que la seule pratique dominicale, et en combinant cet indicateur avec d’autres approches, il serait pourtant d’un grand intérêt, pour les Églises catholique romaine et évangélique réformée, d’en savoir plus.

Un dimanche matin, dans l’église catholique de Bulle (© 2011 J.-F. Mayer).

Du côté catholique, toutes les évaluations s’accordent pour estimer que la pratique dominicale régulière (pas nécessairement hebdomadaire) se situe probablement en dessous de 10% – entre 5% et 10% selon les paroisses41, indique une source bien informée.

«De dimanche en dimanche, la pratique a connu un effondrement», résume un prêtre catholique. L’église paroissiale ne joue plus le même rôle social: elle n’est plus le lieu où l’on va voir ses amis à la sortie de la messe pour se diriger vers le café du village.

Ce n’est pourtant pas un phénomène de désaffection pure et simple: les pics de participation lors de grandes fêtes, par exemple à Noël, l’illustrent bien. De même, les messes de trentième ou autres messes anniversaires commémorant des défunts peuvent remplir les églises paroissiales, notamment à la campagne, et les jeunes sont aussi présents. La chute de la pratique

ne signifie pas un désintérêt complet: un pasteur protestant a été frappé, en Gruyère, par «un respect de la chose sacrée ancré dans la population, même non pratiquante». En outre, tous ces non pratiquants (ou peu pratiquants) continuent de payer l’impôt ecclésiastique. S’il n’y a plus une pratique hebdomadaire régulière, peut-être reste-t-il une «pratique ponctuelle régulière», suggère un observateur. Seule une observation statistique rigoureuse et d’une certaine durée permettrait d’avoir une image plus précise.

En raison du moindre nombre de prêtres et de la chute de la pratique, des églises où la messe

41 Il y aurait des pointes locales jusqu’à 15% dans quelques zones rurales, a avancé l’un de nos interlocuteurs, mais faute de données précises à ce sujet (avec indication des lieux), ces évaluations doivent être considérées avec prudence. Dans sa lettre pastorale du 5e dimanche de Carême en 2003, Mgr Genoud parlait déjà de «5 à 10% de pratique religieuse dans notre diocèse».

Messe de l’Assomption à Murist

était célébrée chaque dimanche n’en ont plus qu’une par mois. Paradoxalement, selon un prêtre, les personnes engagées comprennent bien les raisons de cette adaptation: ce sont plutôt… les non pratiquants qui réagissent parfois négativement! Du fait de l’interaction entre les différents types d’engagement (associatifs, etc.) dans les villages, un dynamisme villageois irait parfois de pair avec un dynamisme paroissial. Autre facteur important: la personne d’un prêtre, qui attire ou éloigne.

«On me demande: ‹Il y a encore des gens qui viennent à l’église?› Je réponds: ‹Quand y êtes-vous venu vous-même pour la dernière fois?› Dimanche dernier, j’ai célébré deux messes: dans une paroisse, l’église était à moitié pleine, dans l’autre aux trois quarts.»

Un prêtre fribourgeois

Des visites successives dans des paroisses catholiques du canton un samedi soir ou un dimanche mettent en évidence la faible représentation des fidèles entre 20 et 50 ans (avec des différences selon les paroisses). Les familles sont peu nombreuses. «Depuis dix ou vingt ans, le groupe des 30–50 ans, on ne les voit presque plus à l’église», déclare un prêtre. Un de ses confrères ajoute qu’il faut aussi tenir compte du vieillissement de la société.

Le responsable d’une paroisse protestante nous dit avoir remarqué la disparition du culte réunissant toutes les générations, sauf à des occasions particulières: la majorité de ses fidèles sont des retraités. Cela n’est pas caractéristique de toutes les paroisses réformées du canton: nous avons assisté à des cultes ordinaires où les différentes classes d’âge étaient assez équitablement représentées.

Dans les paroisses réformées, le taux de participation au culte dominical est faible. Selon les paroisses (mais sans avoir fait le tour de toutes), nous avons entendu parler de 30 à 50 participants à un culte dominical ordinaire, avec une forte augmentation (double ou triple) lors de cultes de famille ou d’autres occasions. Tant du côté catholique que du côté réformé, prêtres et pasteurs notent que des messes ou cultes destinés aux familles enregistrent une participation nettement plus forte que les services religieux ordinaires.

Il existe dans la plupart des paroisses réformées des noyaux de fidèles engagés. Un pasteur nous disait estimer à 10% les fidèles gravitant autour de la paroisse, même sans participation très régulière. La majorité de ceux qui gardent leurs distances conservent pourtant leur appartenance réformée: peut-être à cause de la situation minoritaire, «il y a un besoin plus marqué de revendiquer son identité protestante».

Les prêtres et laïcs de toutes tendances que nous avons rencontrés s’accordent pour estimer que la chute de la pratique n’a pas encore atteint le fond. D’autant plus que «l’on pratique plutôt une foi qui n’engage pas, sans conséquences pour la vie»42. Mais il restera un noyau de convaincus, avec de nouvelles générations de croyants

engagés, bien que minoritaires. L’espoir de certains de nos interlocuteurs est de voir ce noyau grandir à nouveau autour de nouveaux modèles; la chute de la pratique aurait aussi un aspect positif, selon ce point

de vue: «On est passé d’une participation naturelle «Cela fait des années qu’on parle de ‹nouvelle

à la vie de l’Église assez passive (on obéissait) à évangélisation›, mais on ne voit rien.»

une Église de chrétiens plus engagés. On entend

toujours: ‹Les églises se vident›. C’est en partie vrai, Un prêtre fribourgeois

mais les gens participent plus aujourd’hui. Ceux qui restent apportent plus de ce qu’ils sont. On est passé à une époque où l’on est plus responsable.»

La disparition de la pratique classique peut aussi laisser place à d’autres modes de participation: «la nouvelle pratique n’est pas dominicale», remarque un prêtre, qui dit observer des jeunes qui pratiquent vraiment, mais pas le dimanche.

Des expériences sont mises en place afin de redynamiser. Ainsi, le diocèse a lancé à l’automne 2011 le projet L‘Évangile à la Maison (www.levangilealamaison.ch), qui encourage la formation de groupes se retrouvant pour étudier l’Évangile chez des particuliers, un peu sur le modèle des «groupes de maison» que l’on trouve

Kurt Stulz, «Wie sieht es in Deutschfreiburg mit dem Kirchgang aus?», Freiburger Volkskalender 2009, pp. 73–75 (p. 75). 42

Dans le temple réformé de Bulle, avant un culte un dimanche soir (© 2011 J.-F. Mayer).

depuis des années dans certains groupes évangéliques43. Reste à voir

si de telles initiatives attireront des personnes distantes de l’Église ou séduiront surtout des fidèles déjà engagés.Un prêtre nous parlait d’une «résistance du tissu catholique dans le canton». Malgré la baisse de la pratique religieuse, l’appartenance culturelle catholique reste forte: reste à savoir combien de temps elle peut survivre à cette chute de la pratique et de l’enracinement dans la structure ecclésiale44.

«Suivre le culte n’est pas la seule manière d’être chrétien», souligne un pasteur réformé. Ainsi, la paroisse réformée de Bulle peut compter sur 80 à 100 bénévoles pour différentes activités (notamment sociales), mais ceux-ci ne viennent pas tous au culte, et ne sont d’ailleurs pas tous réformés!

Partant du principe qu’il existe chez nombre de gens une attente, une foi, une spiritualité, un pasteur réformé pense que la réponse des Églises passe par une diversification de l’offre et une proximité, afin de rejoindre les gens «là où ils sont et où ils en sont». Des cours ciblés pour différentes catégories de personnes (familles, divorcés…) pourraient devenir de premiers canaux d’intégration. Le même interlocuteur se dit convaincu de voir monter une demande d’accompagnement spirituel.

Le problème de la pratique touche aussi les musulmans. Il leur faut faire des efforts pour garder le contact avec une population moins engagée: et, nous confiait un responsable musulman, s’il n’y avait pas des mosquées, beaucoup s’éloigneraient de la religion. Nos interlocuteurs musulmans évoquent un taux maximal de 20% de personnes gravitant plus ou moins régulièrement autour des mosquées, et donc «pratiquantes» régulières ou occasionnelles (la pratique hebdomadaire est beaucoup plus faible), ce qui paraît réaliste: cela recoupe des observations dans d’autres cantons. Il est difficile d’être plus précis, en l’absence de données statistiques et d’outils de mesure adéquats.

La pratique de certains groupes de migrants tend à être plus intense. Mais cela durera-t-il, s’interrogeait devant nous un évangélique africain installé depuis des années en Suisse? En effet, il disait voir les Africains tendre à devenir «comme les Européens», c’est-à-dire que leur foi se montre parfois moins vibrante… Notons enfin un phénomène émergent, tout récent, mais qui n’a été mentionné que par un seul interlocuteur, pasteur protestant: l’apparition d’un indifférentisme religieux chez des personnes âgées. Nous n’avons pas eu la possibilité d’approfondir ce sujet.