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Chapitre 4 : Présentation, discussion et analyse des résultats

4.2.5 La pratique enseignante du formateur indigène ou le sentiment

La participante et les participants à cette recherche ce sont des « formateurs d’enseignants » dans un contexte autochtone. Leurs pratiques renvoient avant tout aux actions qu’ils font lorsqu’ils sont en présence des élèves dans leurs classes. Toutefois, d’autres pratiques appartiennent aussi à leur quotidien : les pratiques de préparation de ses cours, les pratiques d’évaluation, les pratiques de travail en équipe avec ses collègues et les pratiques de communications avec les parents (Altet, 2003, p. 36). Elles renvoient à des actions habituelles, c’est-à-dire, diverses situations professionnelles qui se présentent comme des situations routinières, toujours susceptibles d’être traversées par des contraintes, des dilemmes, des difficultés ou des problèmes éthiques.

Dans les faits, comment ces professionnels décrivent-ils cette pratique et à quoi ressemble-t-elle? Chose certaine, chacune des personnes interrogées va d’une manière ou d’une autre insister à ce propos sur « le choc » qu’elle a pu vivre, lorsqu’elle s’est retrouvée en position de « formateurs d’enseignants » dans un contexte autochtone.

Pour

(E2)

Nous avons besoin de quelqu’un pour nous expliquer comment travailler avec les jeunes et les adultes, parce que si dans l’enseignement primaire nous voyons que remplir un formulaire pose problème, cette activité n’est pas comparée à ce qui se fait à l’école normale. Ici le travail est à temps plein et il faut mettre à disposition toute ma disponibilité et toutes mes capacités professionnelles.

(E3):

Le fait d’avoir changé de niveau, d’éducation préscolaire et de venir travailler à l’école normale était un changement très radical, très important, et cela impliquait beaucoup pour moi. J’ai dû revoir même ma façon de m’habiller, par exemple. Vous pensez peut-être que la question est mineure, mais je me souviens que dans l’éducation préscolaire, comment j’allais travailler avec mon jeans, ma veste, car c’étaient les conditions nécessaires pour travailler, être toujours disponible à jouer avec les enfants. Or, je suis aussi venu ici avec la même tenue, et tout à coup je constate qu’ici, à l’école normale, c’est différent la façon de s’habiller, de donner un cours, de communiquer avec des jeunes. Ce sont des gens déjà âgés de 18, 25 ans. Puis quand ils posent des questions par rapport au cinéma, au théâtre, par rapport aux livres… je me demande alors dans quel monde je vis. Je ne sais pas tout cela, et ça me force à redoubler mes efforts pour lire, pour aller voir, pour étudier... (...)

(E4):

(...) Je travaillais avec des élèves du primaire. Alors, par la suite, je suis allé travailler aux études normales ou supérieures; c’est un autre genre d’environnement. C’est traiter avec d’autres types de gens qui sont déjà matures; c’est avoir une attitude différente envers eux, c’est être un peu plus poli, je ne dis pas qu’avec les enfants on ne peut être poli, mais avec ces derniers il faut crier un peu plus, il est nécessaire d’indiquer à chaque fois un peu plus aux enfants, aux petits, ce qu’ils doivent faire. D’autre part, aux adultes si au début du semestre on leur dit, c’est de cette façon que nous allons travailler, avec ces caractéristiques…je travaille comme ça, ou j’aimerais que vous travailliez comme ça. Bref, au début il faut clarifier, la façon d’évaluer, la façon de nous conduire dans la classe. (...)

On le voit bien à travers les motivations personnelles que chaque personne évoque quand elle a décidé de devenir un formateur d’enseignants. Celles-ci - comme le montrent les extraits d’entrevues choisies - sont toujours reliées à sa condition d’autochtone, à ses conditions d’existence matérielle ou encore aux liens très concrets, familiaux, de proximité qu’elle entretient avec l’univers autochtone dont elle est d’une manière ou d’une autre, partie prenante.

Ces motivations personnelles peuvent expliquer les difficultés rencontrées par les formateurs d’enseignants, car ils sont d’abord des membres de la communauté, en lien avec elle, parfois même des « comuneros »,32 et c’est sur cette base qu’ils ont été amenés, d’une manière ou d’une autre, à entrer à l’école normale.

C’est là leur force, leur motivation de fond. Mais quand ils y entrent, ils y entrent sans parvenir à faire entrer leur communauté avec eux, ou plus précisément sans parvenir à faire entrer avec eux les savoirs et les pratiques de leur communauté qui pourraient avoir une portée éducative ou pédagogique, car la formation qu’ils ont en général reçue jusqu’alors, tout au moins une grande partie de celle-ci est une formation formelle (théorique et abstraite) qui vient de l’extérieur de leur communauté, formatée à travers, en dernière

32 Le terme « comunero » fait référence à une personne qui s’identifie avec sa communauté d’origine, et participe et

partage les mêmes droits et obligations propres au système de vie communautaire. Son statut social est défini selon sa participation dans la communauté et le partage des mêmes codes cultures tangibles et intangibles du collectif.

analyse, les valeurs des élites mexicaines, et qui se trouve d’une manière ou d’une autre en porte-à-faux, en opposition même, avec l’univers culturel dont ils proviennent.

C’est ce qui va les amener à vivre une double identité, les conduisant bien souvent à expérimenter une sorte de scission intérieure entre les valeurs, modes d’êtres spontanés, traditions provenant de leurs communautés, et les savoirs appris peu à peu dans les institutions éducatives publiques à travers lesquelles ils sont passés. Comme si en étant des formateurs d’enseignants et en se pliant au rôle que l’école leur fait jouer, ils tendaient à devenir « autres ».

D’où bien souvent la dispersion possible de leurs savoirs, la dimension abstraite et détachée (de leurs conditions de vie réelle) des connaissances dont ils peuvent faire état, ainsi que le sentiment d’impuissance qu’ils peuvent ressentir, provenant de cette impression de se sentir « scindé en deux », partagé finalement entre deux cultures aux valeurs et références antagoniques, et ne trouvant pour s’en sortir dans leurs pratiques d’enseignement que des stratégies pédagogiques individuelles ou des solutions empiriques et ponctuelles. Se trouvant ainsi bien souvent écartelés entre deux rôles totalement opposés l’un à l’autre : celui d’un côté d’« agent d’acculturation », et de l’autre de « revitalisateurs » des langues et cultures indigènes.