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Chapitre 4 : Présentation, discussion et analyse des résultats

4.2.3 La conception de la pratique enseignante du formateur d’enseignants

Ce que nous venons d’avancer dans l’analyse du parcours de vie du formateur d’enseignants et de sa formation initiale semble se retrouver dans un sens au niveau de la pratique enseignante elle-même. Ainsi les enseignants interrogés vont-ils osciller entre des approches prenant appui sur les pratiques indigènes traditionnelles (l’éducation familiale) et des approches plus techniques.

Pour (E1), il lui apparaissait clair que l’enseignant doit faire de sa classe l’extension de sa maison :

Je peux dire que la pratique de l’enseignement autochtone est celle qui se fait en fonction de la pensée de l’enfant dans son contexte, et avec sa langue, c’est le meilleur travail qu’un enseignant puisse faire dans sa pratique d’enseignement autochtone, car l’enfant considère l’enseignant comme son second père ou sa seconde mère, En fait, il les appelle même souvent père/mère, preuve que c’est comme ça que ça se passe, alors si l’enseignant vient le voir, en faisant de la classe une extension de sa maison, de la maison de l’enfant, à ce moment-là il fait un travail d’enseignant autochtone, car il s’occupe de l’enfant, il emmène sa maison à l’école.

La question de la pratique enseignante a été abordée aussi par (E2) qui semblait avoir conscience de l’importance de la maitrise des ressources pédagogiques :

Pour moi une bonne pratique d’enseignement, en tant qu’enseignant de l’école normale indigène, consisterait à avoir d’abord tous les éléments traitant d’un cours, la bibliographie, les ressources pédagogiques de soutien et bien d’autres pour après les mettre en pratique ou les travailler avec les jeunes.

Ceci ne veut pas dire non plus qu’ils ne disposent pas de connaissances avancées en termes de théories ou courants pédagogiques. Tout au contraire, mais ce qu’ils nous en disent, nous fait penser comme nous allons le voir ci-dessous, qu’ils ne parviennent pas toujours à en tirer les conséquences pédagogiques concernant leur propre pratique d’enseignants ainsi que la théorisation plus approfondie qu’ils pourraient en faire. En d’autres termes, ils préfèrent relativiser l’importance de la théorie, n’importe laquelle, en se réfugiant dans une sorte d’indétermination générale, ce qui en termes pratiques se traduit par l’adhésion à une théorie donnée, mais à partir d’un point de vue surtout individuel et subjectif.

En ce sens, (E1) abonde dans un sens plutôt relativiste. En fait, selon son expérience,

[…] parce que je ne peux pas vraiment faire beaucoup de différence entre une théorie qui est bonne, une autre qui ne l’est pas. Par exemple, le behaviorisme ou la méthode comportementale, qui est très naturellement dit être démodé, et soudain pour mettre en évidence un nouveau, le cognitivisme par exemple ; diaboliser un auteur comme Skinner pour louer un autre, par exemple, Ausbel. Je le vois plutôt comme des modes qui viennent aux écoles (....) Je le vois ainsi, et pour cette raison je crois que c’est plutôt une question de temps, je ne trouve pas, qu’il y a une meilleure méthode qu’une autre, c’est seulement une question de celui qui l’applique.

À ce propos, (E2) a partagé ses réflexions sur la façon dont il côtoie dans le cadre de ses activités d’enseignement les courants pédagogiques,

[…]je pense que tous (les nouveaux courants pédagogiques) sont corrects, peut-être parce que j’ai reçu la théorie constructiviste dans ma formation, et je ne suis pas dans une perspective de comportementalisme, bien que je vois que les garçons qui arrivent ici, arrivent avec une formation comportementaliste, et cela se reflète dans le fait que si le professeur ne leur explique pas les sujets, ils ne progressent pas par eux-mêmes.

Le rapport avec les courants pédagogiques a été aussi un objet de réflexion important pour (E4) pour qui le courant humaniste est à la base de sa pratique pédagogique.

Il s’agit aussi d’utiliser la communication et le lien avec les élèves et c’est ce que je pratique ici dans l’école normale. Je me place dans le courant humaniste de l’éducation, je me place ici dans la formation des enseignants; je dis aux collègues, même s’ils veulent me juger, mais je ne trouve aucun autre courant théorique qui me permette de fonder mon action et ma tâche dans la formation des jeunes ici à l’école normale; je ne trouve aucun sens dans le constructivisme, et dans l’autre courant, qui est de stimuler-répondre. Par contre, ici nous voyons que certains enseignants pratiquent encore le behaviorisme, et que pour moi, à ce niveau, il ne faut pas appliquer, ni même penser, alors je vois, et je lis les courants et je dis, je sais que je ne vais par m’en servir. Je me place plutôt dans le courant humaniste, et quand je commence avec un nouveau groupe, je dis aux jeunes : je me place dans ce courant pédagogique, et je n’aime pas qu’on me demande la permission à chaque fois que vous devez aller aux toilettes, ou à chaque fois que vous devez aller chez le directeur, car vous êtes déjà adultes. (...)

Ces manières de se situer vis-à-vis de la théorie peuvent être interprétées comme étant le signe d’un type de formation que ces enseignants autochtones ont reçue et qui les conduit à expérimenter une sorte de synthèse entre l’acquisition d’une formation abstraite et théorique et la possibilité de se l’approprier et de la reprendre pour soi en fonction du contexte culturel.

D’autant plus qu’il faut ne jamais oublier de situer ces perspectives dans le contexte de ces enseignants, celui d’un enseignement qui peine à trouver sa place, qui est toujours marqué par des tendances assimilationnistes et que les autorités académiques mexicaines tendent toujours à considérer comme un enseignement de « seconde zone ».

À ce sujet, il suffit de penser - à ce qui revient souvent dans les dires des personnes que nous avons interrogées sous forme d’une douleur intérieure et d’une frustration constante - et qui a trait à leur condition salariale. Dans ses propos en lien avec cette problématique (E2) souligne,

[…] nous sommes affectés par le salaire, parce que dans l’éducation de base il y a plusieurs programmes par lesquels nous pouvons être récompensés; cependant, ici à l’école normale, parce que nous stagnons, n’y a plus de reclassification ou de compensation des salaires.

Pour sa part, (E4) suggère que le mépris et la condescendance s’enracinent dans les politiques éducatives,

Nous avons l’inconvénient d’avoir subi le changement d’échelle salariale, c’est-à-dire que nous avons été retirés de la catégorie du salaire de l’éducation de base et nous avons été affectés à celle qui correspond aux écoles normales. Cependant, à ce niveau de l’enseignement supérieur, nous recevons les catégories salariales les plus basses par rapport aux enseignants qui font le même travail dans les autres écoles normales non autochtones (…)

Ici, il est possible d’identifier des facteurs systémiques et en particulier la logique d’un colonialisme interne (telle comme nous l’avons défini dans le chapitre deux - cadre conceptuel). Et cela malgré le fait que ces institutions endossent officiellement le discours de l’interculturalité.