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4. Partie lexicologique : coups de projecteur sur des phénomènes particuliers

4.4. Le cas particulier des termes en - ème

4.4.8. PRAGMATÈME

4.4.8.1.Histoire de PRAGMATÈME1

La phraséologie est l’"ensemble des tournures typiques d'une langue, soit par leur fréquence, soit par leur caractère idiomatique" (TLF s.v. phraséologie). L’une des problématiques centrales de cette discipline est la typologie des unités phraséologiques, classées et nommées selon des critères différents. En français par exemple, le grammairien Gaston Gross s’est particulièrement intéressé au figement des expressions, qu’il classe selon des degrés de figements plus ou moins importants, vérifiables à l’aide de tests syntaxiques (cf. Gross 1996). D’autres phraséologues ont également établi un classement des unités phraséologiques selon divers critères (cf. Pecman 2004), et l’un d’entre eux nous intéresse particulièrement dans le cadre de l’étude du lexème

PRAGMATÈME1 "cliché linguistique sémantiquement compositionnel qui est contraint par le type de situation dans laquelle le locuteur l’utilise". En 1993, Igor Mel’čuk introduit le terme pragmatème dans son article « La phraséologie et son rôle dans l’enseignement/apprentissage d’une langue étrangère » (Mel’čuk 1993), dont voici l’extrait :

« Nous connaissons quatre types majeurs de phrasèmes (avec beaucoup de sous-types, dont il ne sera pas question ici) : 1) Le phrasème PRAGMATIQUE, ou

PRAGMATÈME, dont la forme et le sens sont parfaitement transparents et "bien-formés" mais qui est figé par rapport à une situation donnée : c’est le cas de C’est pour toi !, cité auparavant » (Mel’čuk 1993 : 82).

Dans ses travaux, Igor Mel’čuk définit une nouvelle catégorie de phrasèmes, les pragmatèmes, qui permet d’établir une distinction entre les phrasèmes pragmatiques et les phrasèmes sémantiques (cf. Mel’čuk 1993 : 84).

4.4.8.2.Étymologie de PRAGMATÈME1

PRAGMATÈME1 "cliché linguistique sémantiquement compositionnel qui est contraint par le type de situation dans laquelle le locuteur l’utilise" est une

145 création d’Igor Mel’čuk, certainement pensée en français et en anglais. D’une part Igor Mel’čuk a diffusé ses idées autant en français qu’en anglais et il avait très certainement conscience de la parfaite intégration du lexème français et du lexème anglais. Aussi il est difficile d’affirmer que le lexème est une création française, cependant nous nous tenons à la chronologie des attestations relevées. La première attestation française est relevée en 1993 (Mel’čuk 1993 : 82) alors que nous avons relevé une attestation du lexème anglais seulement en 1995 (Mel’čuk 1995 : 177). En effet, l’article en anglais « Phrasemes in Language and Phraseology in Linguistics » (Mel’čuk 1995) introduit le terme

pragmatème et, également, le terme phrasème :

« Idioms are considered, as I already said, within a larger set of expressions : as a subclass of nonfree, or set <= fixed,frozen> expressions of all possible kinds, which I call phrasemes […] The need to know that in the United States food packages should have only Best before… printed on them makes this expression, as well as all the similar ones, a pragmateme » (Mel’čuk 1995b : 167-177).

Ainsi nous concluons que PRAGMATÈME1 est un pseudo-confixé formé du confixe pragma- "relatif à la communication", dégagé de fr. PRAGMATIQUE adj. "relatif à l'utilisation du langage en situation de communication" (dp. 1956, Bresson in TLF-Étym) à l’aide du suffixe -ème "(suffixe utilisé en linguistique pour former des noms de catégories, d’unités et de traits pertinents, sur une base qui dénote de quel ordre sont ces catégories, unités et traits)" (cf. Cottez 1988 s.v. -ème), par analogie avec GRAPHÈME, PHONÈME etc.

4.4.8.3.Histoire de PRAGMATÈME2

L’analyse du discours est une discipline récente. Sa reconnaissance officielle et son essor ont véritablement pris leur envol suite aux travaux publiés dans les années 1990. Dans un compte rendu de Marie-Anne Paveau des Éléments

d'analyse du discours (Sarfati 1997), on peut lire ce qui suit :

« L’analyse du discours a 30 ans [le compte rendu est publié en 1999]. Si son origine, son histoire, et les travaux qui lui ont peu à peu donné une existence sont connus, son identité et son autonomie en tant que discipline sont toujours en discussion. En 1992, l’AD ne figure pas, même à titre annexe ou comparatif, dans le bilan sur les ‘linguistiques contemporaines’ présenté par Fuchs et Le Goffic […] S’agit-il d’une impossibilité inhérente à l’AD de se constituer comme discipline dans le champ scientifique actuel, ou est-ce plutôt la configuration, en même temps que le discours du champ, qui interdit à l’AD tout confort disciplinaire ? » (Paveau 1999 : 130-131).

146 Comme nous venons de le voir, PRAGMATÈME1 est issu d’une terminologie établie par Igor Mel’čuk qui a développé un système notionnel propre à la Lexicologie Explicative et Combinatoire (Mel’čuk/Clas/Polguère 1995). Indépendamment de cette notion, une autre voit le jour dans les travaux de Georges-Élia Sarfati. Dans ses Éléments d'analyse du discours (Sarfati 1997), le terme pragmatème est présenté. Le lexème PRAGMATÈME2 "unité minimale de sens et d’interaction" entre alors dans le vocabulaire de l’analyse du discours, sachant que la terminologie n’est pas encore unifiée. Comme le souligne Eva Buchi :

« Il est à espérer que les chercheurs travaillant sur le développement et l'histoire des unités pragmatiques arriveront à se mettre d'accord rapidement sur une terminologie unifiée. En attendant, nous avons opté pour la terminologie qui nous paraissait la plus claire (caractère explicite), la plus cohérente (intégration dans un système plus large) et la plus partagée (utilisation dans des publications de référence). Ces critères nous ont amenée à retenir les termes suivants : 1. Pragmatème. – Le terme de pragmatème remonte à Sarfati (1997 : 27), qui le définit comme "unité minimale de sens et d'interaction". 2 Dans notre approche, le pragmatème (ou unité pragmatique) s'oppose tant au lexème (unité lexicale) qu'au grammème (unité grammaticale) par la particularité que son rôle se situe non pas sur le plan référentiel, mais sur le plan communicatif (cf. Dostie 2004 : 27). M.-B. Hansen (1998 : 73), qui préfère le terme de marqueur discursif (discourse marker), définit comme suit : ‘non-propositional linguistic item[s] whose primary function is connective, and whose scope is variable’ » (Buchi 2007 : 251-252).

Le lexème PRAGMATÈME2 "unité minimale de sens et d’interaction" est ainsi une unité minimale d’interaction, qui découle de la théorie des actes de langage (cf. Austin 1975). En cela fr. PRAGMATÈME2 se présente comme une création terminologique indépendante de fr. PRAGMATÈME1 puisque les deux lexèmes ont été créés indépendamment dans deux écoles de pensées différentes.

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4.4.8.4.Étymologie de PRAGMATÈME2

Bien que la première attestation de PRAGMATÈME2 "unité minimale de sens et d’interaction" apparaisse après PRAGMATÈME1 "cliché linguistique sémantiquement compositionnel qui est contraint par le type de situation dans laquelle le locuteur l’utilise", le lexème n’est pas issu du premier. En effet, ces deux lexèmes appartiennent à deux théories différentes, l’une émergeant de la Théorie Sens-Texte et la seconde émergeant de l’analyse du discours.

Ainsi fr. PRAGMATÈME2 "unité minimale de sens et d’interaction" n’est pas une innovation sémantique sur PRAGMATÈME1 mais un pseudo-confixé formé du confixe pragma- "relatif à la communication", dégagé de fr. PRAGMATIQUE adj. "relatif à l'utilisation du langage en situation de communication" (dp. 1956 ; cf. Bresson 2009 in TLF-Étym) à l’aide du suffixe -ème "(suffixe utilisé en linguistique pour former des noms de catégories, d’unités et de traits pertinents, sur une base qui dénote de quel ordre sont ces catégories, unités et traits)" (cf. Cottez 1980 s.v. -ème), par analogie avec GRAPHÈME, PHONÈME etc.