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4. Partie lexicologique : coups de projecteur sur des phénomènes particuliers

4.4. Le cas particulier des termes en - ème

4.4.6. LEXÈME

Deux lexèmes sont à rattacher au même vocable LEXÈME, à savoir LEXÈME1

"unité minimale de signification appartenant au lexique" et LEXÈME2 "unité lexicale prise dans une signification bien déterminée et munie de toutes les informations caractérisant le comportement de cette unité justement lorsqu’elle a cette signification".

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4.4.6.1.Histoire de LEXÈME1

La première attestation du français LEXÈME1 "unité minimale de signification appartenant au lexique" est relevée dans un article rédigé par Jean Cantineau dans les Cahiers Ferdinand de Saussure (Cantineau 1952 : 17 ; TLF s.v.

lexème). Cantineau y mentionne Gilbert Boris comme étant celui qui a proposé

lexème, cependant n’ayant pas réussi à retrouver l’attestation de sa plume, nous

tenons compte du texte de Cantineau :

« Définition2 : Tout élément formel ayant une valeur grammaticale sera appelé morphème ; les éléments formels à valeur lexicale seront appelés lexèmes. Je préfère ce dernier terme, proposé par le regretté Gilbert Boris, à celui de ‘sémantème’ qui éveille trop l’idée de signification » (Cantineau 1952 : 17).

4.4.6.2.Étymologie de LEXÈME1

On peut relever une attestation antérieure à l’attestation française chez Benjamin Lee Whorf, linguiste et anthropologue américain :

« C. F. Voegelin has accomplished the difficult and signal work of analyzing an immense number of baffling stem compounds of Shawnee into their component lexemes (stems) and other morphemes (formatives) » (Whorf 1940 : 160).

Antérieurement à cette attestation, une autre a pu être relevée chez Swadesh, cependant elle n’atteste pas le lexème ici étudié :

« The term ‘lexeme’ is used in this paper for a lexical unit, whether stem or suffix. Lexemes include all morphemes except inflectional elements. Lexemes, then, are morphemes of unitary, non-inflectional meaning. They are sometimes analyzable on an etymological plane without being any the less semantic units. Thus, English blackberry can be etymologically analyzed into black plus berry, but a blackberry is not simply any black berry. Blackberry is an etymologizable lexeme, while black berry is a syntactic construction made by combining the two lexemes, black and berry » (Swadesh 1939 : 77).

Le vocable anglais LEXEME est ainsi certainement né dans le cadre de la description ethnolinguistique, Benjamin Lee Whorf et Morris Swadesh étant tous deux des linguistes et anthropologues. Ils ont également en commun d’avoir eu des échanges avec Edward Sapir, le premier comme collaborateur

(cf. Encyclopaedia Universalis s.v. Whorf) et le second comme disciple de

141 ethnolinguistique, de même que la large diffusion de la conception de la relativité linguistique à travers « l’hypothèse Sapir-Whorf » a certainement permis une large diffusion de l’anglais lexeme.

Nous concluons ainsi que fr. LEXÈME "unité minimale de signification appartenant au lexique" est un emprunt à l’anglais LEXEME s. "unité minimale de signification appartenant au lexique", également conforté par l’OED2.

4.4.6.3.Histoire de LEXÈME2

Igor Mel'čuk, Alexandre Žolkovskij et, peu de temps après, Jurij Apresjan sont à l’origine de la Théorie Sens-Texte, cadre linguistique théorique né en 1965 à Moscou (Mel'čuk 1984 : xiv). Une terminologie propre à la Théorie Sens-Texte (cf. Mel’čuk 1974 ; Mel’čuk, Clas & Polguère 1995) voit ainsi le jour, de même qu’un dictionnaire d’un nouveau genre : le Dictionnaire explicatif et

combinatoire (DEC). Ainsi on peut lire dans la préface du DEC1 ce qui suit :

« La théorie sous-jacente à ce nouveau dictionnaire, qui brise délibérément avec la tradition, est de représenter le lexique de la langue sous forme de système cohérent et uniforme. Le modèle théorique de base, conçu dans le cadre d'une théorie générale du langage et appelé théorie Sens - Texte, s'appuie sur deux postulats […] Chaque entrée du dictionnaire en question se présente avec trois données fondamentales: des données sémantiques, des données syntaxiques et des données de combinatoire lexicale. Les auteurs font une distinction importante entre un lexème et un vocable, le lexème étant un mot pris dans une acception, et le regroupement de certains lexèmes ayant le même signifiant et des affinités sémantiques constituant une superunité appelée vocable » (DEC11984).

Typographiquement, la particularité d’un lexème est d’ « être identifiés par leur numéros lexicographiques […] Les indices affectés aux lexèmes représentent les valeurs flexionnelles à charge sémantique » (Mel’čuk 1997 : 10). Les lexèmes se distinguent ainsi des vocables qui, également écrits en petites capitales, n’ont aucun numéro attribué.

4.4.6.4.Étymologie de LEXÈME2

Afin de justifier l’étymologie de LEXÈME2 "unité lexicale prise dans une signification bien déterminée et munie de toutes les informations caractérisant

142 le comportement de cette unité justement lorsqu’elle a cette signification", nous nous sommes renseignée auprès d’Igor Mel’čuk48. Ce dernier nous a indiqué plusieurs références de textes fondateurs de la Théorie Sens-Texte et, parmi eux, l’article « Towards a functioning ‘meaning-Text’ model of language » paru dans la revue Linguistics en 1970 (Mel’čuk/Žolkovskij 1970). Voici un des passages dans lequel LEXÈME2 est relevé :

« Essentially, the paraphrasing system is an operational calculus of

SYNONYMY. Departing from the traditional approach to synonymy as a relation between separate lexemes, the MTM lays the main stress on the synonymy of whole sentences » (Mel’čuk, Žolkovskij 1970 : 45).

Si le concept de LEXÈME2 est sans doute né dans une pensée russe, tous les premiers textes que nous avons trouvés sont rédigés en anglais et en français. Aussi postulons-nous pour un emprunt à angl. LEXEME s. "unité lexicale prise dans une signification bien déterminée et munie de toutes les informations caractérisant le comportement de cette unité justement lorsqu’elle a cette signification", dans le cadre de l’élaboration de la terminologie de la Théorie Sens-Texte (dp. Mel’čuk/Žolkovskij 1970 : 44).