1.4 R´etroactions, Stabilit´e et Enjeux Climatiques de la THC
2.1.4 Pr´ediction de la mar´ee
Si la propagation de l’onde de mar´ee se trouvait en phase avec les variations du potentiel
de mar´ee, sa pr´ediction en serait simplifi´ee. N´eanmoins les mar´ees oc´eaniques sont loin
d’ˆetre en ´equilibre avec le potentiel de mar´ee. Dans un oc´ean de profondeur moyenne 4000
m, la c´el´erit´e de l’onde de mar´ee est inf´erieure `a la vitesse de parcours de la Lune ou
du Soleil sur le globe. A l’´equateur, la mar´ee devrait parcourir le tour de la terre en une
journ´ee, ce qui requiert une vitesse de 460m.s−1, or ceci n’est possible que dans un oc´ean
de 22 km de profondeur. De plus, la pr´esence de continents et de topographies complexes
vient entraver le parcours de l’onde de mar´ee. D`es lors comment proc´eder ?
Au regard des m´ecanismes responsables de la dynamique de la mar´ee, il est pertinent
de d´ecoupler le probl`eme de la pr´ediction selon que l’on se place en eaux peu profondes
ou profondes. Ainsi des approches sp´ecifiques ont ´et´e d´evelopp´ees tr`es tˆot (d`es la fin du
XVIIIi`emesi`ecle) pour la pr´ediction en zone coti`ere, dans les ports et les eaux peu profondes
o`u la mar´ee peuvent ˆetre mesur´ee par les mar´egraphes. Le d´eveloppement de la pr´ediction
de la mar´ee en eaux profondes est plus r´ecent (fin du XXi`emesi`ecle) car il s’est fait de pair
avec le d´eveloppement de l’altim´etrie satellite.
Eaux peu profondes - Zone cˆoti`ere
Deux m´ethodes sont g´en´eralement utilis´ees par les stations mar´egraphiques qui pr´edisent
la mar´ee dans ces zones. Elles utilisent les bases de donn´ees historiques des mar´egraphes.
⋆ M´ethode harmonique La m´ethode harmonique est la m´ethode traditionnelle encore
tr`es r´epandue. Elle n´ecessite ∼ 19 ans d’enregistrement de l’amplitude et de la phase de
chaque harmoniques de la mar´ee. Les fr´equences utilis´ees pour l’analyse sont sp´ecifi´ees `a
l’avance. Bien que simple, cette m´ethode pr´esente des inconv´enients.
1.Plus de 18.6 ann´ees sont n´ecessaires pour r´esoudre la modulation de la mar´ee.
2. Une pr´ecision de 10−3m sur l’amplitude du terme qui a la plus grosse contribution
n´ecessite de d´eterminer au moins 39 fr´equences (400 pour un pr´ecision de 10−4 m).
3. La variabilit´e de l’oc´ean li´ee `a des processus autres que la mar´ee introduit de fortes
erreurs sur le calcul de l’amplitude et de la phase des composantes les plus faibles.
4.Dans beaucoup de ports, la mar´ee est non-lin´eaire et un nombre plus important
d’har-moniques est n´ecessaire. Dans certains cas extrˆemes o`u les fonds sont tr`es faibles,
parti-culi`erement dans les estuaires de rivi`ere, les non-lin´earit´es g´en`erent un front d’onde presque
vertical, qui se d´eplace sous la forme d’un soliton : le mascaret.
⋆ M´ethode des r´eponses La m´ethode des r´eponses repose sur le calcul de la relation
qui couple le potentiel de mar´ee `a la mar´ee observ´ee en un lieu (Munk & Cartwright, 1966).
Pour chaque station, cette relation est donn´ee sous la forme d’une admittance spectrale
qui d´epend de la fr´equence. N´eanmoins, cette d´ependance est faible et peut ˆetre n´eglig´ee
en premi`ere approximation. L’admittance des principales harmoniques est donc utilis´ee
pour d´eterminer la r´eponse de fr´equences proches. La pr´evision est calcul´ee en multipliant
le potentiel de mar´ee par l’admittance.
1.La technique ne requiert que quelques mois de donn´ees.
2.Le potentiel de mar´ee est facilement calculable et la connaissance des fr´equences de la
mar´ee n’est pas un pr´erequis.
3. L’admittance s’´ecrit : Z(f) = G(f)/H(f) o`u G(f) et H(f) sont les transform´ees de
Fourier du potentiel de mar´ee et des donn´ees mar´egraphiques respectivement. f est la
fr´equence.
4.L’admittance doit ˆetre invers´ee pour passer de l’espace de Fourier (espace des fr´equences)
`
a l’espace temporel.
5.La m´ethode des r´eponses n’est valable que si la propagation des ondes est lin´eaire.
Eaux profondes - Plein oc´ean
La pr´ediction de la mar´ee en eaux profondes est r´ecente. Son d´eveloppement `a ´et´e
pendant longtemps limit´e par la quasi-impossibilit´e de d´eployer des mar´egraphes dans ces
fondamentales dans ce domaine, notamment grˆace `a la mission Franco-Am´ericaine
Topex-Pos´e¨ıdon (1992-2005). Ce satellite, pens´e entre autre pour observer les mar´ees, a permis de
mesurer un grand nombre d’harmoniques grˆace `a la pr´ecision de ses syst`emes altim´etriques
(Le Provost & Vincent, 1986 ; Le Provost, 2001 ; Lefebvre J-M, 2006 -communication
personnelle-). Les donn´ees satellites sont aujourd’hui utilis´ees pour d´eterminer les mar´ees
en eaux profondes avec une pr´ecision centim´etrique. Plusieurs approches sont utilis´ees
pour la pr´ediction des mar´ees en eaux profondes.
⋆ Mod`eles hydrodynamiques La th´eorie hydrodynamique permet un aper¸cu unique
des processus influen¸cant la mar´ee. N´eanmoins, la connaissance des processus de
dissipa-tion de l’´energie de mar´ee reste un facteur limitant la pr´ecision de cette m´ethode. Cette
m´ethode a permis de consid´erablement ´eclairer notre vision des mar´ees en eaux profondes.
1.La mar´ee dans un bassin oc´eanique perturbe le champ de gravit´e terrestre, et la masse
du renflement li´e `a la mar´ee attire les eaux des autres bassins oc´eaniques. La propri´et´e
d’auto-attraction des mar´ees ne doit pas ˆetre n´eglig´ee.
2. Le poids de l’eau dans le renflement est suffisamment important pour d´eformer le
plancher oc´eanique. La terre se d´eforme comme un corps ´elastique sur des milliers de
ki-lom`etres.
3.Les sous-bassins oc´eaniques poss`edent une fr´equence de r´esonance proche des fr´equences
de la mar´ee. Sch´ematiquement le renflement de la mar´ee correspond au front d’une onde
shallow-water dans un oc´ean en rotation, se propageant comme une mar´ee haute sur les
bords des sous-bassin. De ce fait les amplitudes de la mar´ee en eaux profondes peuvent
ˆetre plus importantes que celles pronostiqu´ees par le mod`ele de la “mar´ee d’´equilibre”.
4.L’´energie des mar´ees se dissipe (i) par frottement sur le fond, particuli`erement dans les
eaux peu profondes (e.g plateaux continentaux) et (ii) par le g´en´eration d’ondes internes
au-dessus des topographies accident´ees (e.gmonts sous-marins, dorsales m´edio-oc´eaniques,
talus continentaux, etc.).
5.L’onde de mar´ee est une onde shallow-water, sa vitesse (c) d´epend donc de la
profon-deur de l’oc´ean (H) i.e c = √
gH. La mar´ee se propage donc plus lentement au-dessus
des topographies accident´ees et des mers peu profondes. Dans les mod`eles num´eriques,
afin de respecter les crit`eres de stabilit´e li´es `a la dynamique de l’onde de mar´ee, il est
donc n´ecessaire que la distance entre deux points de grilles puisse ´evoluer en fonction de
la profondeur (Le Provost et al., 1994 ; Lef`evre et al., 2000 ; Carr`ere et Lyard, 2003). Le
maillage est tr´es resserr´e sur les plateaux continentaux et les dorsales (O(1−10 km)) et
plus large au-dessus des plaines abyssales (O(100 km)).
6. Les ondes internes de mar´ee produisent une faible signature `a la surface de la mer,
proche des fr´equences de la mar´ee, mais d´ephas´ee par rapport au potentiel (cf. section
suivante).
⋆ Altim´etrie et m´ethode des r´eponses Plusieurs ann´ees de donn´ees altim´etriques
issues de la mission Topex-Pos´e¨ıdon ont ´et´e combin´ees `a la m´ethode des r´eponses pour
calculer les mar´ees en eaux profondes sur la quasi-totalit´e du globe (i.e entre 66oS et
66oN (Ma et al., 1994). L’altim`etre mesure tous les 9.97 jours les hauteurs de la surface de
la mer en coordonn´ees g´eocentriques le long de la trace du satellite. Le signal de mar´ee est
alias´e car l’´echantillonnage temporel est inf´erieur `a la fr´equence de Nyquist-Bode-Shannon.
Cependant, le repliement du spectre dans les hautes fr´equences est pr´ecis´ement connu et
le signal de mar´ee peut ˆetre d´eduit. L’enregistrement des mar´ees est inf´erieur `a 8 ans, les
donn´ees altim´etriques sont donc combin´ees `a la m´ethode des r´eponses pour am´eliorer la
pr´evision. Les solutions les plus r´ecentes aboutissent `a des pr´ecisions de l’ordre de ±2.8
cm, en moyenne sur le globe.
⋆ Altim´etrie et mod`eles num´eriques Les donn´ees altim´etriques peuvent aussi ˆetre
directement combin´ees avec les mod`eles num´eriques de la mar´ee pour calculer les mar´ees
sur l’int´egralit´e du globe. Cette m´ethode est particuli`erement adapt´ee aux zones cˆoti`eres
ou qui pr´esentent des topographies accident´ees (i.e l`a o`u les traces de l’altim`etre sont
spatialement trop espac´ees pour ´echantillonner correctement le signal de mar´ee) car les
mod`eles de mar´ees utilisent des grilles ´el´ements finis raffin´ees dans ces zones. Les calculs
num´eriques aboutissent `a une pr´ecision centim´etrique sur l’oc´ean global (Le Provost et
al., 1994 ; Lef`evre et al. 2002 ; Lyard et al, 2006). Les cartes produites par cette m´ethode
exhibent les structures fondamentales des mar´ees en oc´ean profond (cf. figure 2.3 et 2.3
pour l’onde M2). Tr`es grossi`erement, l’onde de mar´ee tourne dans le sens inverse des
ai-guilles d’une montre dans les sous-bassins de l’h´emisph`ere nord, et dans le sens oppos´e dans
l’h´emisph`ere sud. Les points d’amplitude minimale sont appel´es les amphidromes. En r`egle
g´en´erale, les amplitudes les plus fortes sont situ´ees le long des cˆotes. Les cartes montrent
aussi l’importance de la taille des bassins oc´eaniques. Les mar´ees semi-diurne (T ≃12h)
sont relativement pr´edominantes dans tous les oc´eans. En revanche les mar´ees diurnes
(T ≃24h) sont faibles dans l’Atlantique et relativement importantes dans les oc´eans
Paci-fique et Indien. L’Atlantique est trop petit pour avoir une fr´equence de r´esonance proche
de 24h.
Figure 2.3– Cartes des amplitudes (haut) et des phases (bas) de l’ondeM
2(en m`etre et degr´e
respecti-vement). Ces cartes sont issues de l’atlasF ES2004 qui utilise une m´ethode combinant mod`ele
hydrody-namique et assimilation de donn´ees (Lyard et al., 2006).
Dans le document
Impact des marées sur la circulation générale océanique dans une perspective climatique
(Page 49-54)