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Prévention auprès des jeunes et formation des professionnels : des actions indissociables et indispensables au repérage des

situations de prostitution de mineurs

Le rôle de l’Amicale du Nid était déjà repéré depuis plusieurs années concernant les actions de prévention et de sensibilisation primaire 17. À Paris et dans les Hauts-de-Seine, par exemple, le groupe prévention intervient depuis 2007 dans le cadre de la prévention primaire auprès des classes de collèges avec l’agrément du rectorat de Paris. La prévention s’étend sur Internet avec la création du site Je n’suis pas à vendre ! qui vise à sensibiliser les jeunes sur la question de la prostitution, prévenir cette violence, et informer sur le fait qu’un accompagnement est possible 18. Sur demande des professionnels et des pouvoirs publics, ces actions ont été développées par les professionnels de l’Amicale du Nid qui s’attachaient ainsi à rendre visible et audible la problématique prostitutionnelle. Cependant, celle-ci semblait encore constituer une « niche » et une mobilisation institutionnelle plus systématique est apparue comme un objectif incontournable.

Ainsi qu’en témoigne en effet Claire Grangeaud, de l’Amicale du Nid de Montpellier, « les actions de prévention au collège étaient antérieures au repérage des problématiques prostitutionnelles par les professionnels et pouvaient déboucher sur leur révélation, mettant ainsi les professionnels en difficulté si les interventions n’étaient pas suffisamment préparées et suivies », ce qui a conduit à refuser ce type d’intervention en une seule séance et à favoriser des interventions avec préparation ou sur plusieurs jours, ainsi que l’établissement parisien le met en place dans les collèges. Dans le département des Bouches-du-Rhône où l’Amicale du Nid disposait il y a quelques années d’un financement par la région pour intervenir dans les lycées, les équipes pédagogiques n’étaient pas prêtes à aborder ce sujet, et il était particulièrement difficile de mettre en œuvre l’action face à un public mutique.

Il était constaté que, lorsque les professionnels prenaient contact avec l’Amicale du Nid, c’était principalement pour trouver une résolution immédiate à une situation de prostitution repérée qui produisait au mieux un sentiment d’étrangeté, mais le plus souvent de l’angoisse, et paralysait l’action des professionnels.

Pour répondre à des demandes des foyers de l’enfance et de la PJJ déjà confrontés à des jeunes en situation de risque ou de prostitution se sont développées ces dernières années des actions de prévention secondaire à destination de ce public. Elles se déroulent sur au moins trois séances, avec le même groupe de jeunes. Les différents établissements de l’Amicale du Nid constatent que ces demandes se multiplient et que les actions de prévention visent à présent essentiellement les jeunes les plus en risque.

Parallèlement à ces interventions de prévention auprès des jeunes, les établissements de l’Amicale du Nid ont été sollicités en vue de la sensibilisation et de la formation des professionnels. Ainsi, alors que des formations étaient organisées à Paris et dans les Hauts-de-Seine en direction des professionnels du soin, de l’action sociale et des enseignants dès 2007, des demandes de formation sur la problématique de la prostitution des jeunes ont été principalement formulées dans l’Hérault par les services de la PJJ à partir de 2014 et se sont étendues à d’autres services exerçant des missions de protection de l’enfance à partir de 2017. Il s’agit de travailler à la mise à distance des représentations et de proposer un cadre pour penser la prostitution. Des clefs de compréhension du processus prostitutionnel et des réponses « opérationnelles » sur le discours à tenir comme le comportement à adopter face aux jeunes sont aussi abordées. L’objectif est de favoriser ainsi un travail d’extraction hors du sens commun autorisant les équipes à mieux repérer ces situations au niveau local.

Une des difficultés dans la prise en compte des situations impliquant la prostitution des mineurs réside dans la diversité des conceptualisations, et des degrés de « gravité » dont chacun dote subjectivement ces situations. Les professionnels (de l’éducation nationale, de l’ASE et de la PJJ) émettent des jugements très hétérogènes et n’associent pas toujours leurs observations à la prostitution dans la mesure où elles ne font pas appel aux schémas communément admis de la prostitution de rue, comme par exemple ce qui concerne le « michetonnage », alors fréquemment évoqué par les équipes, qui implique, a minima, de « faire miroiter une relation sexuelle pour que le client paie » 19. Faute d’être identifiées pour ce qu’elles sont, et parce qu’elles revêtent l’apparence de « pratiques » délibérément choisies, ces situations font l’objet d’un glissement du registre du danger vers celui des choix relevant de la vie personnelle et intime du jeune.

D’autre part, les équipes font assez unanimement état du caractère périlleux, pour elles-mêmes, d’engager une discussion sur le registre de l’intimité physique avec les jeunes qu’elles accompagnent. Penser les problématiques prostitutionnelles comme appartenant au domaine de la sexualité des jeunes conduit à un autre écueil, qui consiste à associer la prostitution à l’émergence du désir et à ce qui est jugé par chacun comme un âge « acceptable » pour entrer dans une sexualité active. La découverte de la prostitution de jeunes âgés de 13 ou 14 ans qui se comportaient par ailleurs comme de « petits enfants » produit de la sidération sur les équipes. Dans la mesure où l’on ne perçoit que ce que l’on conçoit, ces conceptions entravent le repérage des situations qui font le plus souvent l’objet d’une découverte fortuite. Au fait que l’organisation quasi systématique de l’activité prostitutionnelle via les sites d’annonces sur Internet rend le phénomène difficilement visible s’ajoute la difficulté pour les professionnels de répondre à l’exigence de référence à des faits, ressentie en matière de prostitution comme une injonction à apporter une preuve. Même s’il s’agit davantage, dans le cadre d’un signalement en protection de l’enfance, de transmettre des indicateurs et des observations que des preuves, les professionnels ont pu exprimer qu’ils peinaient à s’affranchir de la notion d’incertitude, ce qui semblait constituer un frein au recours au signalement dans ces situations.

19  Gil Liliana. « Le pigeon michetonné, la michetonneuse plumée… » : l’accompagnement éducatif mis à l’épreuve par des adolescentes engagées dans un processus prostitutionnel. Mémoire professionnel, 2012. Disponible en ligne : https://

mouvementdunid.org/wp-content/uploads/2014/12/2012gillilianapigeonmichetonneaccompagnementadolescentes.pdf.

À partir du savoir expérientiel ainsi partagé entre professionnels de l’Amicale du Nid et professionnels de la protection de l’enfance comme de la PJJ, la prostitution des mineurs a commencé à être identifiée et conceptualisée par les professionnels du secteur social et médico-social. La connaissance, construite empiriquement, de ce public de jeunes victimes de prostitution, a pu émerger : « Les professionnels recourent à des grilles de lecture informelles relativement homogènes afin d’organiser le repérage de potentielles situations de prostitution parmi les mineurs qu’ils accompagnent. » 20 Les indices mobilisés par les professionnels, marqueurs physiques, marqueurs matériels, organisation spécifique de la sphère sociale, concordent et produisent une préoccupation commune au sein des équipes de professionnels rencontrés.

Ainsi, à Montpellier, il est constaté que, durant ces formations au cours desquelles les professionnels sont invités à partager leurs observations et témoignages, ils peuvent commencer par indiquer qu’ils ne connaissent pas de situation marquée par des pratiques prostitutionnelle pour évoluer en cours de formation et aboutir à en repérer plusieurs en fin de formation. À Paris aussi, formation et sensibilisation produisent leurs effets sur la capacité à repérer et à nommer la prostitution : « Les interventions ont permis […] d’engager un échange sur les inquiétudes ou les faits se rapportant à la prostitution, et de mobiliser leurs compétences professionnelles pour accueillir les réponses des jeunes sur le sujet. Parallèlement, les professionnels ont pu faire des liens entre les histoires de vie traumatiques des jeunes et les conduites prostitutionnelles, sortant ainsi d’une approche cristallisant la prostitution, et les autorisant à poursuivre un accompagnement social global. » 21

Un exemple de soutien aux professionnels de la protection de l’enfance au stade du repérage d’une situation de prostitution

Un service d’accueil d’urgence pour adolescent prend contact avec l’Amicale du Nid pour faire état de la situation de Mélanie*, âgée de 17 ans, majeure sous deux mois, qui s’est présentée dans leur établissement où elle a bénéficié d’un hébergement. La jeune fille est originaire de l’Est de la France, où elle vivait habituellement chez sa mère, et où s’exerçait une mesure d’AEMO. Elle est en fugue depuis quatre mois, et s’est très vite retrouvée sous la coupe d’un groupe de jeunes hommes, puis a été victime de viol et mise en prostitution. Mélanie a expliqué à l’équipe éducative qu’elle ne voulait pas retourner auprès de sa mère, celle-ci ne le souhaitant pas non plus, et s’est opposée au fait de déposer plainte, comme il le lui a été proposé par les éducateurs. Le service d’accueil d’urgence présente ces faits au service et formule une demande d’accès à un hébergement spécifique aux personnes en situation de prostitution. La jeune fille approchant de la majorité, la crainte du service est qu’elle se retrouve durablement en situation de rupture d’hébergement, et qu’elle soit à nouveau aux prises avec ses proxénètes et mise en prostitution, faute de moyens de subsistance alternatifs.

Par ailleurs, le service avait suivi la procédure habituelle lors de l’accueil d’urgence d’un mineur, en communiquant une information à l’adresse du parquet, demandant une ordonnance de placement provisoire sur leur établissement. L’information décrivait le contexte de fugue mais ne faisait pas état des faits de proxénétisme dont la mineure avait fait le récit.

III. Constituer un réseau protecteur : les partenariats déjà

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