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La présomption de conformité et la réception du droit international en droit canadien

CHAPITRE 2 : ÉVALUATION DE LA LSJPA À LA LUMIÈRE DU DROIT

1. La pertinence du droit international public à l’évaluation de la LSJPA

1.2. La présomption de conformité et la réception du droit international en droit canadien

Selon la Professeure Houle, l’adoption de cette approche se répercute en ce que : « […] toutes les traces étatiques indiquant une volonté de donner effet aux normes conventionnelles de droit international peuvent être prises en considération.354 » Or, en 1999, la Cour Suprême a

déclaré à la majorité que : « Les valeurs exprimées dans le droit international des droits de la personne peuvent, toutefois, être prises en compte dans l’approche contextuelle de l’interprétation des lois et en matière de contrôle judiciaire.355 » Dans ce mémoire, l’évaluation de la LSJPA à la lumière des normes de droit international des droits de l’enfant et de l’interdiction de discrimination raciale s’inscrit dans un cadre réflexif où la présomption de conformité s’applique aux normes de droit international concernées. Afin de justifier notre position selon laquelle la présomption de conformité s’applique aux normes de droit international que nous étudions, il sera argumenté que les droits internationaux de l’enfant sont pertinents à l’étude de la justice juvénile canadienne par le bref survol des diverses opinions de la doctrine sur la présomption de conformité.

Selon la Professeure Karen Knop, l’applicabilité des normes de droit international que le Canada a signées et ratifiées serait sur un même pied d’égalité que le droit comparé. Afin de justifier son opinion, elle soulève un point très important : le droit international serait dans la majorité des cas, le produit d’une société occidentale et blanche. Son universalisation se répercute en l’hégémonie d’un impérialisme indésirable356. Bien que nous croyons que le débat sur l’impérialisme des droits humains soit très légitimement soulevé, un tel argument n’est pas pertinent lorsque les droits de l’enfant sont concernés. Effectivement, la Convention des droits

354 Houle, supra note 352 à la p 302.

355 La Cour Suprême a clarifié des règlements d’immigration ambigus à la lumière de la Convention des droits de

l’enfant. Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817 (CSC) au para 70.

356 Knop soutient que la solution serait d’incorporer le droit international selon une approche comparative, où seules

les normes considérées souhaitables seraient incorporées. Elle fonde également son argument sur une critique de la hiérarchie des normes en droit international : Karen Knop, « Here and there: International law in domestic courts » (2000) 32:2 NU J Int Law Polit 501‑535 aux pp 515, 527‑528.

de l’enfant constitue le traité au plus haut taux de ratifications357. Ainsi, les droits contenus dans la CDE font l’unanimité à l’international. En outre, la Charte africaine des droits et du bien-

être de l’enfant de l’Union africaine (UA)358, la Convention américaine des droits de l’homme

de l’Organisation des États américains (OÉA)359, et les Règles européennes pour les délinquants

mineurs faisant l’objet de sanctions ou de mesures du Conseil de l’Europe360 reconnaissent la protection de l’enfant en conflit avec la loi et l’importance d’un système de justice séparé de celui pour adultes. Les droits du mineur faisant face à la justice pénale sont donc couverts par l’ensemble des institutions internationales régionales, au moyen de leurs traités et recommandations. Cohen-Jonathan avait d’ailleurs relevé que la ratification massive des traités portant, par exemple sur l’élimination de la discrimination raciale ou à l’égard des femmes, ou sur les droits de l’enfant, prouvait l’intention universelle de respecter positivement ces droits361. Nous ajouterons également que la Déclaration sur les droits des peuples autochtones a été écrite avec les populations autochtones dont plusieurs habitent le Canada, et que l’interdiction de discrimination raciale qui constitue une norme de jus cogens, vient protéger la diversité et se doit d’être universelle afin d’être efficace.

À l’inverse de Knop, la Professeure Gunn affirme que de considérer la « soft law » comme ayant une influence seulement facultative constitue une erreur362. Brenda Gunn prétend qu’une déclaration, en l’occurrence celle des Nations Unies sur les droits de peuples autochtones, possède une force juridique, de même qu’une force politique et morale363. Une

357 L’ensemble des États du monde a ratifié la CDE à l’exception des États-Unis.

358 UA, Charte africaine des droits et du bienêtre de l’enfant, Doc off CAB/LEG/153/Rev2, 7 novembre 1990,

art 17 (entrée en vigueur: 29 novembre 1999).

359 OÉA, Convention américaine relative aux droits de l’homme, (1969) 1144 RTNU 143, art 5.5 (entrée en vigueur:

18 juillet 1978).

360 Conseil des Ministres Conseil de l’Europe, Règles européennes pour les délinquants mineurs faisant l’objet de

sanctions ou de mesures, Textes adoptés CM/Rec(2008)11, ch Partie 1 A.5 (2008).

361 Gérard Cohen-Jonathan, « Les droits de l’homme, une valeur internationalisée » (2001) 1 Droits Fondam à la

p 160.

362 Brenda L Gunn, « Overcoming obstacles to implementing the UN Declaration on the rights of indigenous

peoples in Canada » (2013) 31:1 Windsor Yearb Access Justice 147‑174 à la p 156.

position opposée à celle du Professeur Stéphane Beaulac qui prétend que le droit international n’est pas obligatoire au Canada364. Sa conception s’explique par le modèle westphalien du droit

international qui repose sur la souveraineté des États365. L’absence de « […] mécanisme formel

d'énonciation ou d'exécution de la norme juridique, comme ceux qui existent au plan interne [...]366 » justifie son approche367. En outre, Beaulac discute du principe fondamental que selon le droit international, un État ne peut invoquer son droit interne afin de justifier un manquement, il prétend que ce principe représente la preuve que le système international est distinct du système juridique interne368. Il conclut que le droit international n’a qu’une force persuasive, mais non contraignante. Or, reconnaître ce principe tout en excusant un État de ne pas le respecter sous prétexte que son droit interne ne le lui permet pas, correspond à violer consciemment et délibérément le droit international. L’adhésion à un instrument de protection des droits humains devrait être accompagnée d’une volonté de respecter ledit instrument, conformément aux implications juridiques internationales applicables. Adopter deux positions contraires sur un même sujet équivaut à commettre une dissonance cognitive.

Selon notre interprétation, il s’agit d’une vision trop étroite du droit international et de ses effets que de se limiter à sa version stricto sensu. Les compartiments politiques et juridiques, exécutif et législatif, ne sont pas étanches. Le parti formant le cabinet des ministres est majoritaire à la Chambre des communes. D’ailleurs, le Professeur Dyzenhaus affirme qu’une conception de la démocratie se limitant à la suprématie du législatif ou du judiciaire n’est pas complète369 et qu’une intervention législative ne devrait pas être une condition sine qua non

364 Beaulac démontre que les cours canadiennes ne peuvent ultimement reconnaître la portée du droit international

en droit domestique puisqu’elles ne sont pas compétentes à traiter de droit international. Selon lui, le droit international ne pourrait lier le droit national puisqu’il s’agit d’un système juridique volontaire respectueux du principe de non-ingérence : Beaulac, supra note 352 à la p 238.

365 Stéphane Beaulac, « Arrêtons de dire que les tribunaux au Canada sont “liés” par le droit international » (2004)

38:2 Rev Jurid Thémis 359‑387 à la p 368.

366 Ibid à la p 370. 367 Ibid à la p 372.

368 Beaulac, supra note 352 à la p 235.

369 David Dyzenhaus, « Constituting the Rule of Law: Fundamental values in administrative law » (2001) 27

pour le respect du droit international370. Qui plus est, selon notre interprétation, il s’agit d’une dissonance cognitive de refuser de considérer un traité contraignant alors qu’il a été ratifié en connaissance des répercussions que sa ratification engendrerait selon le droit international public. Un État ayant ratifié une convention se voit lié conformément à la Convention de Vienne, ratifiée par le Canada depuis 1980371. Ainsi, lorsque l’État canadien ratifie ou accède à un traité, il déclare vouloir être lié par ce traité. Le fait qu’il s’agisse d’un système volontaire devrait d’autant plus solidifier l’obligation qu’entrainent les normes choisies, puisque le droit international offre des instruments non obligatoires. Il est de notre appréciation que l’approche démontrée par certains éminents professeurs manque une importante part de l’équation, soit le respect d’un système auquel le Canada est partie. La complexité du droit international repose grandement sur le paradoxe qui se crée lorsque des États souverains se lient par traité. Or, les Professeurs Brunnée et Toope développent une approche nuancée à la fois respectueuse du législateur et des engagements canadiens en droit international, à laquelle nous adhérons. Ils proposent une méthode d’interprétation qui laisse la nature des obligations internationales du Canada, telles que vues par les principes de droit international public, guider la réception en droit interne. Ainsi, puisque les normes ratifiées engagent la responsabilité du Canada en droit international, Brunnée et Toope considèrent que les tribunaux devraient être contraints d’interpréter les dispositions domestiques conformément à ces dispositions que le Canada est tenu d’observer372. Ils proposent l’application de la présomption de conformité lorsqu’il est question de normes ratifiées plutôt qu’une application robotique des normes obligatoires pour le Canada373. Or, le droit international des droits de l’enfant nous permettant de déterminer quelles sont les insuffisances du droit canadien ou de sa mise en œuvre est notamment composé de trois traités; le Pacte international relatif aux droits civils et politiques(PIDCP)374, la

370 Brunnée et Toope, supra note 348 à la p 34.

371 Convention de Vienne sur le droit des traités, supra note 310. 372 Brunnée et Toope, supra note 348 à la p 51.

373 Ibid à la p 52.

Convention pour l’élimination de toute forme de discrimination raciale (CIEDR) et la Convention relative aux droits de l’enfant (CDE). Ces trois traités ont été ratifiés par le

Canada375 et sont donc considérés ipso facto comme juridiquement contraignants. Or, pour

certains auteurs: « Si la loi a vu le jour après la convention et que l’interprète conclut qu’elle en découle, en raison, par exemple, d’une similarité entre les concepts utilisés dans la loi et dans le droit international, il est alors logiquement pertinent d’appliquer la présomption.376 » Ainsi, la CDE est nécessairement pertinente à l’évaluation de la LSJPA. La loi canadienne était effectivement une tentative par le législateur de se soumettre à ses obligations relatives à la Convention. Qui plus est, les droits de l’enfant sont pertinents constitutionnellement, reflétant l’esprit de la Charte canadienne des droits et libertés.

En ce sens, le Professeur Mark D. Walters prétend que l’incorporation des normes de droit international doit s’étudier au moyen de la constitution de Common Law, qui vise la protection de valeurs fondamentales377. Sa méthode d’interprétation laisse encore plus de latitude aux normes de droit international; les instruments de droit international des droits de la personne, qu’ils soient ratifiés ou non, constituent un ensemble appartenant au droit cosmopolite, lequel fait partie intégrante de la constitution de common law378. Ainsi, les droits de la personne, qu’ils soient spécifiquement protégés par la Charte ou non, trouvent application selon la méthode de Walters qui leur donne une valeur constitutionnelle. Les dispositions de droit interne allant donc à l’encontre d’instruments de droit de la personne pourraient être

375 Le Canada a ratifié le PIDCP en 1976 alors que la Convention pour l’élimination de toute forme de

discrimination raciale fut ratifiée en 1970, aucune réserve ne fut émise lors des ratifications : UNTC, État des

ratifications de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, 28

juillet 2016, en ligne : <https://treaties.un.org/Pages/ViewDetails.aspx?src=TREATY&mtdsg_no=IV- 2&chapter=4&clang=_fr>; UNTC, État des ratifications du Pacte international relatif aux droits civils et

politiques, 28 juillet 2016, en ligne : <https://treaties.un.org/Pages/ViewDetails.aspx?src=TREATY&mtdsg_no=IV-4&chapter=4&clang=_fr>.

376 Houle, supra note 352 aux pp 307‑308.

377 Mark D Walters, « The Common law constitution in Canada: Return of lex non scripta as fundamental law »

(2001) 51 Univ Tor Law J 91‑141; Voir aussi Houle, supra note 352 à la p 318.

contestées constitutionnellement379. Dyzenhaus abonde également dans la théorisation de la constitution de Common Law. Dans le même sens que l’argumentation de Walters, il prétend que les principes non écrits sous-entendent la présomption de conformité pour les normes de droit international de la personne étant en accord avec les valeurs canadiennes380. Selon cette approche, la CDE, le PIDCP et la CIEDR contraignent le droit canadien au même titre que les Règles de Beijing, de La Havane, de Tokyo, et des Directives de Viennes, des Principes directeurs de Riyad, et des Principes de base de 2002.

Par ailleurs, selon Weiser381, les mentions répétées par les cours canadiennes d’instruments de droit international tendent à démontrer que le droit international peut avoir force de loi au Canada. En ce qui concerne la CDE, elle est citée dans une vingtaine de décisions de la Cour suprême du Canada. La plus haute instance du Canada a justifié ses propos en mentionnant la CDE dans les décisions suivantes, en application de la LSJPA : R c. D.B., R c.

C.D., R. c. B.W.P. et R. c. R.C. puisque que la CDE est en fait incorporée à la LSJPA par

renvoi382. Notamment, dans R. c. D.B., la Cour suprême a reconnu comme principe de justice fondamentale, la présomption de culpabilité morale moins élevée pour les adolescents383. Or, l’essence des droits internationaux de l’enfant en conflit avec la loi repose sur cette prémisse que la justice juvénile doit être séparée de celle des adultes et spécialement adaptée aux mineurs. Ainsi, la justice juvénile telle que vue par le droit international public trouve application dans la Constitution à l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés en ce que l’article fut interprété par la Cour suprême comme englobant le principe de justice fondamentale de la présomption de culpabilité moins élevée pour les adolescents.

379 Ibid à la p 322. 380 Ibid à la p 319.

381 Weiser, supra note 311 à la p 119.

382 R c DB, supra note 153 au para 60,67; R c CD; R c CDK, supra note 140; R c BWP; R c BVN, [2006] 1 RCS

941 (CSC).

383 Cimon Senécal, L’incorporation des objectifs de dissuasion et de dénonciation en droit pénal canadien pour

adolescents: compatabilité et constitutionnalité, mémoire de maîtrise en droit, Université Laval, 2012 aux

Ainsi, pour de multiples raisons, les droits internationaux de l’enfant devraient s’appliquer en droit canadien, malgré les limites constitutionnelles et l’approche dualiste qui demande une transposition législative suivant ladite ratification afin d’être juridiquement contraignante. D’abord, les droits de l’enfant sont universellement reconnus sur la scène internationale, ce qui leur confère une force supplémentaire. Ensuite, la CDE, le PIDCP et la CIEDR, des traités ratifiés, renvoient aux protections des droits de la personne, prévues par la

Charte canadienne des droits et libertés. Également, la présomption de conformité de la LSJPA

avec les droits de l’enfant compris dans la CDE devrait s’appliquer. Finalement, la lecture de la « soft law » guide l’interprétation de ces traités. L’ensemble du droit international régissant la justice juvénile appartient donc à un droit cosmopolite, qui peut être vu comme partie intégrante de la constitution de Common Law.