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CHAPITRE 1 : HISTORIQUE AU CANADA DE LA JUSTICE JUVÉNILE ET

1. Justice juvénile au Canada

1.3. La Loi sur le système de justice pénale pour adolescents (LSJPA)

1.3.1. Le contexte idéologique de la LSJPA

Le contexte politique ayant vu naître la LSJPA est marqué par des paniques morales à l’égard des jeunes délinquants. Les « paniques morales », une notion conceptualisée par Stanley

98 Bala, Carrington et Roberts, supra note 91 à la p 133. 99 Denov, supra note 10 à la p 2.

Cohen101, désignent le phénomène par lequel une situation, une personne ou un groupe de personnes sera perçu dans l’imaginaire commun comme une menace à la société. Cette perception de menace se retrouvera amplifiée démesurément par les citoyens, médias ou politiciens et sera conséquemment sujette à des préoccupations populaires excédant sa réelle dangerosité102. L’adoption de la LJSPA s’identifie au populisme pénal, répondant à la peur citoyenne qui demandait des mesures plus dures envers les jeunes contrevenants103. Ces paniques morales s’expliquent d’abord par le phénomène de la criminalisation des jeunes. Ensuite, la solidification des droits humains catalyse une plus grande reconnaissance des droits civils et politiques, c’est-à-dire que les garanties procédurales et la justice auprès des victimes deviennent fondamentales104. De plus, l’individualisation observée au sein des sociétés occidentales serait également responsable de l’accentuation des besoins d’obtenir réparation pour la victime ainsi que pour l’État d’assurer la sécurité105. Ainsi, les paniques morales furent entretenues par des médias et des groupes de pression politisés106. Alors que statistiquement, le taux de criminalité chez les jeunes chutait107, la justice juvénile aurait été instrumentalisée par certains membres du corps politique, soit afin de détourner l’attention générale de l’économie défaillante108, soit pour augmenter leur cote de popularité. C’est ainsi que s’est développée une peur d’un problème inexistant, c’est-à-dire, l’amplification de la violence chez les jeunes109. En outre, le choix par les médias de reportages sensationnels a contribué à dresser un portrait

101 Stanley Cohen, Folk devils and moral panics: the creation of Mods and Rockers, Londres, Paladin, 1973. 102 Burke, supra note 16 à la p 400.

103 Le populisme pénal désigne l’action par les politiciens de miser sur les croyances populaires fondée sur une

désinformation quant au crime et d’adopter des politiques, souvent répressives, en ce sens, dans l’objectif de gagner des votes. Pour plus de détails, voir: Cyndi Banks, Youth, crime and justice, New York, Routledge, 2013 à la p 297; Burke, supra note 16 à la p 479.

104 Bailleau et Cartuyvels, supra note 67 à la p 16. 105 Ibid à la p 17.

106 Ibid à la p 18.

107 Kathryn Stevenson et al, Les jeunes et la criminalité, No 11-008, Ottawa, Statistique Canada, 1999 à la p 18. 108 Voir notamment Chan et Chunn, supra note 20 à la p 20.

109 Fetherston, supra note 41 à la p 90; Chantal Faucher, Bad boys and girls, yesterday and today: A Century of

print media perspectives on youthful offending, thèse de doctorat en philosophie, Simon Fraser University, 2007 à

alarmant inspiré de cas inhabituels et isolés, souvent particulièrement troublants110. Les crimes graves, surtout lorsqu’ils ont été commis par des mineurs, seront mis sous les projecteurs par les médias en raison de leur caractère exceptionnel111. Le Professeur Jean Trépanier explique

comment les perceptions se construisent de façon si erronée: « Le public se forme une image de la délinquance des jeunes à partir d’évènements atypiques, qui sont nettement plus inquiétants que ceux pour lesquels les jeunes sont habituellement amenés devant la justice.112 » Cette situation est d’autant plus aggravée par la multiplication des fenêtres de diffusion : « La croissance de la visibilité du phénomène est prise pour une croissance du phénomène lui- même.113 » La prolifération des espaces offerts aux médias, soit par les nombreuses chaînes diffusant des nouvelles sensationnalistes, ou par les multiples moyens par lesquels l’information est transmise, contribue ainsi à répandre cette impression que le crime juvénile augmente114. L’accent qui est mis sur la délinquance juvénile par les médias contribue à entretenir une peur des jeunes criminels, ce à quoi répondent les politiciens par des politiques plus rigides à leur endroit. En outre, Trépanier souligne que l’accessibilité aux chaînes de câblodistribution états- uniennes résulte en une américanisation des perspectives canadiennes qui se traduit par une plus grande intolérance à la délinquance juvénile115. Nicholas Bala et Saja Anand apportent également comme explication que l’hypersensibilité à la délinquance juvénile peut être générée par une peur de l’anticonformisme des adolescents116. En ce sens, certains sentiments xénophobes pourraient être à la source de cette peur comme en témoigne une publicité promue par la police de Toronto lors de la campagne électorale provinciale ontarienne de 1999 dans laquelle figuraient cinq jeunes apparemment d’origine latino-canadienne sous un titre faisant

110 Trépanier, supra note 40 à la p 26.

111 UNICEF, Innocenti Digest: Juvenile Justice, Florence, 1998 à la p 7. 112 Trépanier, supra note 40 à la p 26.

113 Ibid.

114 Bailleau et Cartuyvels, supra note 67 à la p 19. 115 Trépanier, supra note 40 aux pp 27‑28. 116 Bala et Anand, supra note 39 aux pp 16‑17.

appel à une approche plus punitive envers la violence des jeunes117. Cet exemple précis témoigne du phénomène de la racialisation du crime qui sera à l’étude à la deuxième section du présent chapitre. Par ailleurs, l’impunité constatée quant au bafouement des droits de l’enfant en contexte international de justice juvénile118 se trouve donc justifiée dans ce contexte où le crime juvénile est ciblé par les paniques morales. Le public étant en effet plutôt hostile envers les jeunes délinquants, les législateurs sont, par conséquent, peu enclins à augmenter les protections dont ils bénéficient ou à diminuer le degré de punition119.