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CHAPITRE 1 : HISTORIQUE AU CANADA DE LA JUSTICE JUVÉNILE ET

1. Justice juvénile au Canada

1.3. La Loi sur le système de justice pénale pour adolescents (LSJPA)

1.3.5. Assujettissement à une peine adulte

La LSJPA prévoit des conditions selon lesquelles un jeune en conflit avec la loi peut se voir assujetti à une peine pour adulte, telle que définie dans le Code criminel, plutôt qu’à une peine spécifique pour adolescents. Lors du temps de la LJD 1908 et de la LJC1984, les tribunaux pour mineurs pouvaient effectuer un renvoi de l’affaire aux tribunaux pour adultes, où le jeune était traité comme un adulte145. Sous la LSJPA, les tribunaux pour adultes ne sont plus

impliqués, le juge des mineurs sera celui qui impose la peine pour adultes suite à une demande d’assujettissement validée146. Depuis les amendements apportés par le projet de loi C-10, un jeune âgé de plus de quatorze ans ayant commis une infraction pour laquelle un adulte est passible d’une peine de prison de plus de deux ans pourrait se voir assujetti à une peine adulte147. Cette décision est à l’ultime discrétion du juge qui doit estimer si une peine spécifique sera suffisante pour tenir le jeune responsable de ses actes148. Selon le professeur Trépanier, « Une

telle peine peut être imposée lorsque le juge estime qu’une peine pour mineurs serait d’une durée insuffisante pour tenir l’adolescent responsable de ses actes délictueux149. »

Suite aux amendements à la LJC 1984 en 1995, il existait une présomption de renvoi aux tribunaux pour adultes pour tout jeune de seize ou dix-sept ans ayant commis un crime violent150. Sous le coup de la LSJPA, cette présomption de renvoi se transforme en une présomption d’assujettissement à une peine adulte dès quatorze ans, avec possibilité de déplacer la limite d’âge à quinze ou seize ans, pour tout jeune ayant commis une « infraction désignée » 151. Néanmoins, cette présomption d’assujettissement sera d’abord déclarée inconstitutionnelle pour son application au Québec par la Cour d’appel du Québec en 2003 dans le Renvoi relatif au

145 Marie-Pierre Jobin, La détermination de la peine dans le contexte de la Loi sur le système de justice pénale pour

les adolescents, mémoire de maîtrise en criminologie, Université de Montréal, 2010 à la p 23.

146 LSJPA, supra note 4, art 64, 69, 72‑74. 147 Ibid, art 64(1).

148 Trépanier, supra note 51 à la p 7. 149 Ibid.

150 Bala et Anand, supra note 39 à la p 14.

projet de loi C-7 sur le système de justice pénale pour adolescents152, puis en 2008 par la Cour suprême du Canada dans R. c. D.B.153. Cette dernière décision a confirmé celle de la Cour

d’appel de l’Ontario qui avait trouvé inconstitutionnelles les dispositions de présomption d’assujettissement154. Cependant, la Cour d’appel de la Colombie-Britannique avait raisonné autrement en déclarant lesdites dispositions valides constitutionnellement155. Depuis la décision de la Cour suprême R. c. D.B., la présomption d’assujettissement n’existe plus dans l’ensemble du Canada, la démonstration par prépondérance de preuve que le jeune devrait être assujetti à une peine adulte appartient au procureur poursuivant156.

Les amendements de 2012 ont réécrit la section sur l’assujettissement à une peine adulte. Les articles 61 à 63 furent abrogés de façon à harmoniser la Loi au jugement de la Cour suprême dans R. c. D.B.. Une alternative douce à la présomption d’assujettissement y est formulée en obligeant le procureur à aviser le tribunal qu’il ne demandera pas un assujettissement à une peine adulte lorsqu’il s’agit d’une affaire impliquant un jeune de plus de quatorze ans ayant commis une infraction grave avec violence157. Les Professeurs Nicholas Bala et Sanjeev Anand soulignent que cette disposition peut résulter en une pression ressentie par le procureur général, engendrée par la présence de la victime, sa famille, ou des médias, pour le pousser à demander un assujettissement à une peine adulte : « There may be subtle pressures to not give the required notice of not seeking an adult sentence, with its expected explanation […]158 ». Jean Trépanier qualifie la disposition de « solution de rechange »159 à la présomption d’assujettissement et rajoute:

152 Renvoi relatif au projet de loi C-7 sur le système de justice pénale pour adolescents, [2003] 175 CCC (3d) 321

[2003] JQ no 2850 (QC CA) aux paras 285‑293; Voir aussi Hamel, supra note 133 à la p 260.

153 R c DB, 2008 CSC 25 [2008] 2 RCS 3.

154 R v DB, [2006] 79 OR (3d) 698 [2006] O.J. no 1112 (ONCA) aux paras 69, 76‑78. 155 R v KDT, 2006 BCCA 60 [2006] B.C.J. no 253.

156 R c DB, supra note 153 aux paras 75, 92; Voir Hamel, supra note 133 à la p 263; Bala et Anand, supra note 39

à la p 662.

157 LSJPA, supra note 4, art 64(1.1). 158 Bala et Anand, supra note 39 à la p 665. 159 Trépanier, supra note 51 à la p 8.

Cette formule n’apparaît pas aussi percutante que le régime des présomptions, mais elle n’en vise pas moins à faire pression sur le ministère public pour qu’il se sente [dans] l’obligation de se justifier dans les cas où il ne requiert pas de peine pour adulte. Le message sous-jacent demeure le même : dans de tels cas, la peine pour adulte devrait être la norme.160

Une disposition permettant de fixer un âge minimum de quinze ou seize ans pour l’obligation par le procureur général d’aviser sa renonciation à une demande d’assujettissement est prévue à l’article 64(1.2)161. Seulement les provinces de Terre-Neuve-et-Labrador et du Québec se sont prévalues du décret en question pour une limite d’âge de seize ans162. En contrepartie, le projet de loi C-10 apporte certaines améliorations. Maintenant, le paragraphe 76(2) garantit qu’ : « Aucun adolescent âgé de moins de dix-huit ans ne peut purger toute ou une partie de sa peine dans un établissement correctionnel provincial pour adultes ou un pénitencier »163, une avancée du point de vue des droits de l’enfant. Les jeunes peuvent cependant encore se retrouver incarcérés avec des adultes lors d’une détention provisoire avant procès164.

La divulgation de quelconques renseignements permettant d’identifier un jeune impliqué dans le système de justice pénale pour adolescents est criminalisée en vertu de la LSJPA et passible d’emprisonnement165. Cependant, certaines dispositions permettent la suspension de cette proscription. L’assujettissement à une peine adulte en est une de celles-ci et mène à l’inapplication de l’interdiction de publication de renseignements sur l’adolescent prévue au paragraphe 110(1)166. Cette clause a reçu le même traitement judiciaire que l’assujettissement à

160 Ibid.

161 LSJPA, supra note 4, art 64(1.2). 162 Bala et Anand, supra note 39 à la p 665.

163 Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, supra note 9; Bala et Anand, supra note 39 à

la p 697.

164 Voir Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, supra note 9. 165 LSJPA, supra note 4, art 138(1).

une peine adulte à la Cour d’appel du Québec167, à la Cour d’appel de l’Ontario168 ainsi qu’à la Cour suprême relativement à la présomption et au fardeau de preuve169 :

En conséquence, comme c’est le cas lorsqu’une peine applicable aux adultes est infligée, il devrait incomber au ministère public de justifier la sévérité accrue, plutôt qu’à l’adolescent de justifier le maintien de la protection à laquelle il est, par ailleurs, présumé avoir droit.170

La levée du bâillon sur les informations identifiant le jeune était demandée à l’époque de la LJC par la droite militant pour une approche plus punitive de la justice juvénile171. Depuis les amendements apportés par le projet de loi C-10 à la LSJPA, une condamnation pour une « infraction avec violence » peut également mener à la divulgation d’information172 selon les articles 75 et 110(2)(b) qui réfèrent aux principes formulés aux articles 3 et 38 :

Le tribunal peut rendre une ordonnance levant l’interdiction de publication s’il est convaincu, compte tenu de l’importance des principes et objectifs énoncés aux articles 3 et 38, qu’il y a un risque important que l’adolescent commette à nouveau une infraction avec violence et que la levée de l’interdiction est nécessaire pour protéger le public contre ce risque.173

La définition d’ « infraction avec violence » a d’ailleurs été élargie, nous le rappelons, par les amendements de 2012174. La confidentialité sur les affaires impliquant des mineurs était considérée très importante dans le passé; son effritement constitue un virage historique dans la justice juvénile au Canada175.

167 Renvoi relatif au projet de loi C-7 sur le système de justice pénale pour adolescents, supra note 152 aux

paras 261, 285‑293.

168 R v DB, supra note 154 aux paras 76‑82. 169 Pinero, supra note 79 à la p 293. 170 R c DB, supra note 153 au para 87. 171 Bala et Anand, supra note 39 à la p 705. 172 Ibid à la p 471.

173 LSJPA, supra note 4, art 75(2).

174 Loi sur la sécurité des rues et des communautés, supra note 5, art 167(3). 175 Bala et Anand, supra note 39 à la p 468.