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Le modèle de vieillissement réussi de Rowe et Kahn (1987) propose de nuancer la conception binaire du vieillissement (i.e. normal vs pathologique) avancée jusqu’alors par la recherche et la clinique, et donc de distinguer au sein du vieillissement non pathologique ce qui est habituel ou normal (i.e., usual aging) de ce qui est réussi (i.e. successful aging, le maintien des capacités jusqu’à un âge avancé). Ce modèle cherche à rendre compte du caractère hétérogène des trajectoires individuelles au sein du vieillissement non pathologique, et souhaite ainsi souligner qu’au-delà d’un vieillissement normal, un vieillissement réussi est envisageable. Par « vieillissement réussi », Rowe et Kahn (1997) entendent la présence de trois facteurs : le maintien des capacités physiques et cognitives, l’absence de maladies ou de fragilités, et l’engagement actif dans la vie. Les auteurs soulignent par ailleurs l’importance des facteurs psychologiques et environnementaux (e.g., soutien social, alimentation, exercice physique, etc.) pour protéger sa santé des effets négatifs associés à l’avancée en âge. Sur le plan du vieillissement cognitif plus précisément, les auteurs sont en faveur d’une démarche préventive en postulant que les difficultés cognitives observées chez les plus âgés peuvent être en partie

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expliquées par des facteurs extérieurs à l’âge sur lesquels il est possible d’intervenir (Rowe & Kahn, 1987).

Dans cette continuité, un vaste champ de recherche a exploré la mesure dans laquelle des facteurs environnementaux tels que l’alimentation ou l’activité physique prédisaient un vieillissement cognitif de meilleure qualité. De manière générale, la littérature est inconstante, c’est-à-dire que certaines études montrent que des facteurs individuels spécifiques sont associés à un moindre déclin cognitif lié à l’âge, tandis que d’autres échouent à mettre en exergue un effet modérateur des caractéristiques individuelles sur le vieillissement cognitif. Plusieurs facteurs de modération ont été étudiés, notamment (1) l’engagement dans de multiples activités cognitives (e.g., Bosma et al., 2002 ; Carlson et al., 2011) ou dans des activités cognitives stimulantes (e.g., Pool et al., 2016) ; (2) un soutien social important (e.g., Seeman, Lusignolo, Albert & Berkman, 2001) ou l’engagement dans des activités sociales (e.g., Bosma et al., 2002) ; (3) l’activité physique (e.g., Bosma et al., 2002 ; Cadar et al., 2012 ; Yaffe et al., 2009) ; (4) la qualité du sommeil (e.g., Jelicic et al., 2002 ; Keage et al., 2012 ; Scullin & Bliwise, 2015) ; (5) une faible consommation d’alcool et de tabac (e.g., Ganguli, Vander Bilt, Saxton, Shen & Dodge, 2005 ; Kalmijn, van Boxtel, Verschuren, Jolles & Launer, 2002 ; Sabia et al., 2014 ; Yaffe et al., 2009) ; et (6) l’adoption d‘une alimentation riche en végétaux, vitamines B12 et Omega-3 (e.g., Cadar et al., 2012 ; Clarke 2007 ; Féart et al., 2009 ; Valls-Predet et al., 2015).

Néanmoins, l’hypothèse de l’exercice mental (i.e. The « Use it or lose it » hypothesis), qui postule que les personnes s’engageant dans des activités cognitives stimulantes montreraient des profils de vieillissement cognitif plus favorables, manque de soutien empirique à ce jour (e.g., Salthouse, Berish & Miles, 2002 ; Soubelet, 2009 ; voir Salthouse, 2006 pour une revue). Similairement, deux études longitudinales de Bielak et collaborateurs ont montré que si l’engagement dans des activités physiques, cognitives et sociales était associé à de meilleures performances dans différents domaines cognitifs, il ne permettait pas de moduler les effets de l’âge sur la cognition (Bielak, Anstey, Christensen, Windsor, 2012 ; Bielak, Cherbuin, Bunce & Anstey, 2014). Enfin, d’autres recherches ont investigué si l’éducation permettait de favoriser le développement des habiletés cognitives au cours du temps (i.e., hypothèse de la réserve cognitive). Toutefois, celles-ci ont montré que si un plus haut niveau éducatif était associé à de meilleures capacités intellectuelles à chaque âge, il ne prédisait pas pour autant les changements cognitifs au fil du temps (e.g., Christensen et al., 2001 ; Tucker-Drob, Johnson & Jones, 2009).

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Ces différents résultats soulignent qu’une association entre un facteur donné (par exemple, le niveau scolaire) et les performances cognitives à tous les âges de la vie ne permet pas d’affirmer que ce facteur modifie la trajectoire du vieillissement cognitif. Plus précisément, Salthouse et collaborateurs (e.g., Salthouse, 2006 ; Salthouse, Babcock, Skovronek, Mitchell & Paimon, 1990) expliquent que deux perspectives peuvent rendre compte du rôle d’un facteur donné dans la relation entre l’âge et la cognition. La première perspective est celle de la « différenciation préservée » qui renvoie au schéma selon lequel un facteur donné prédit une différence de performances au début de l’âge adulte qui se maintient tout au long de la vie sans que cela n’affecte les taux de changements cognitifs dans le temps (voir Figure 1A). Par exemple, les adultes de 25 ans avec un haut niveau scolaire peuvent avoir de meilleures performances cognitives que leurs homologues avec un plus faible niveau scolaire et cette différence sera préservée à 50 et à 90 ans. Dans ce cas précis, un haut niveau scolaire est associé à de meilleures performances cognitives mais il ne module pas les effets de l’âge sur la cognition. Sur le plan statistique, cela revient à montrer des corrélations positives entre le niveau scolaire et les performances cognitives à tous les âges mais une absence d’interaction entre l’âge et le niveau scolaire pour prédire les performances cognitives.

Figure 1. Hypothèses de la différenciation préservée (A) et de la préservation différentielle (B) des performances cognitives au fil de l’âge en fonction du niveau scolaire.

La seconde perspective est celle de la « préservation différentielle » qui renvoie au schéma selon lequel un facteur donné modère les changements cognitifs liés à l’âge (voir Figure 1B). Pour reprendre l’exemple précédent, les personnes avec un niveau scolaire plus élevé maintiendront de bonnes performances cognitives jusqu’à un âge avancé tandis que celles qui

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ont un faible niveau scolaire montreront un déclin plus prononcé de leurs performances cognitives. Ainsi, pour pouvoir se prononcer sur le rôle « protecteur » d’un facteur dans le contexte du vieillissement cognitif, les études  tant longitudinales que transversales  doivent pouvoir mettre en évidence que les écarts de performances observés en fonction du niveau scolaire sont plus grands à un âge avancé qu’à un âge plus précoce. Enfin, la distinction entre ces deux alternatives souligne la nécessité d’évaluer le fonctionnement à des âges différents lorsque l’on souhaite étudier le vieillissement cognitif. Par exemple, observer une différence de performances entre des individus de 80 ans ne nous renseigne pas sur la nature des changements cognitifs qui ont opéré au cours du temps, c’est-à-dire si cette différence reflète un phénomène de préservation ou le maintien d’une différence de performances déjà présente au début de l’âge adulte.