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Dans sa théorie de l’apprentissage social, Rotter (1954, 1966) introduit le concept de « locus de contrôle » qu’il définit comme une variable capitale pour expliquer les processus d’apprentissage au cours de la vie. Il suppose que l’atteinte d’un résultat est conditionnée par le lien que perçoivent les individus entre leurs propres actions et ce résultat. Ainsi, certains individus percevraient les résultats comme déterminés par leurs propres actions ou comportements (i.e. locus de contrôle interne) alors que d’autres les percevraient comme déterminés par des facteurs extérieurs (i.e. locus de contrôle externe). Le concept de contrôle a reçu énormément d’attention depuis son introduction par Rotter en 1966. Il apparait comme l’un des concepts les plus influents dans la recherche en psychologie depuis 50 ans (voir Reich & Infurna, 2016 pour une revue).

A l’origine, la théorie de Rotter (1966) suppose que ces deux modes d’attribution interne et externe affecteraient différemment la possibilité qu’un comportement survienne à l’avenir. En effet, si la personne perçoit un lien de causalité entre son comportement et un résultat alors la survenue d’un résultat positif ou négatif va renforcer ou réduire respectivement la probabilité que le comportement apparaisse dans une situation similaire. Par exemple, si un étudiant perçoit une continuité entre le travail fourni et la bonne note à un examen alors l’atteinte du résultat positif (e.g., la bonne note à l’examen) renforcera l’adoption du comportement (e.g., le travail

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fourni) lors des prochaines occasions. Inversement, si le résultat atteint est négatif (e.g., une mauvaise note à l’examen), le comportement (e.g., le travail fourni) aura moins de chance d’être adopté à l’avenir. Finalement, si l’étudiant pense que seule la chance détermine sa réussite à l’examen (e.g., « C’est joué d’avance », « Je ne peux rien y changer »), le comportement (e.g., le travail fourni) aura une plus faible probabilité de survenir à l’avenir, que l’étudiant obtienne une bonne ou mauvaise note à l’examen.

Si Rotter (1966) estime que le locus de contrôle peut varier selon les circonstances, il le caractérise davantage comme un trait de personnalité stable dans le temps que comme un facteur situationnel, et c’est dans cette perspective qu’il a développé l’échelle du locus de contrôle. Les réponses à l’échelle sont à choix forcé, c’est-à-dire que pour chaque item le sujet doit choisir l’affirmation, d’orientation interne ou externe, qui correspond le mieux à ce qu’il pense. L’échelle n’évalue pas l’interprétation que font les personnes de leurs propres expériences passées mais porte sur des perceptions de contrôle sur la vie en général (par exemple, « Les facteurs héréditaires jouent un rôle majeur dans la détermination de la personnalité »).

Plus tard, Levenson (1973) a souhaité nuancer la conception binaire interne-externe proposée par Rotter en distinguant au sein du locus de contrôle externe le cas où l’externalité était attribuée à la chance (e.g., « Je n’ai pas réussi cet examen parce que je n’ai jamais de chance ») du cas où l’externalité était attribuée à d’autres personnes perçues comme plus puissantes (e.g., « Je n’ai pas réussi cet examen parce que l’enseignant note sévèrement »). Cette approche multidimensionnelle du locus de contrôle a conduit au développement de l’échelle Internality, Powerful others, Chance (IPC) de Levenson (1981) qui se démarque notamment de l’échelle de Rotter (1966) du fait de l’absence de choix forcé dans les réponses et de la prise en compte des expériences personnelles du sujet (e.g., « Ma vie est déterminée par mes propres actions »).

Depuis les travaux de Rotter (1966) et Levenson (1973, 1981), de nombreux instruments ont été élaborés dans l’optique d’évaluer le locus de contrôle dans des domaines ou événements plus spécifiques tels que la vie professionnelle (e.g., Spector, 1988), la santé (e.g., Wallston, Wallston, & DeVellis, 1978), la réussite académique (e.g., Trice, 1985), la consommation d’alcool (e.g., Donovan & O’Leary, 1978), les douleurs chroniques (e.g., Martin, Holroyd & Penzien, 1990), ou l’alimentation (e.g., Paquet, Scoffier & d’Arripe-Longueville, 2016). En effet, si le sentiment de contrôle peut s’évaluer comme une caractéristique générale de la personnalité (e.g., Levenson, 1981 ; Pearlin & Schooler, 1978 ; Rotter, 1966), aujourd’hui il est davantage exploré comme un facteur situationnel que comme un facteur fixe de personnalité (i.e., les personnes internes vs les personnes externes). La littérature montre en effet que le

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sentiment de contrôle varie en fonction des situations et de l’âge (e.g., Lachman, Rosnick & Röcke, 2009), et qu’il peut s’améliorer au travers d’interventions (e.g., Lachman, Weaver, Bandura, Elliott & Lewkowicz, 1992).

I.2. Une multitude de termes pour parler du contrôle

Comme le rapporte Ellen Skinner (1996), l’importante attention qu’a reçu le concept de contrôle au fil des années s’est notamment traduite par la naissance de multiples théories du contrôle et, par conséquent, de multiples expressions employées pour parler du contrôle. En effet, dans sa revue de la littérature, Skinner (1996) dénombre une centaine de termes renvoyant au concept. Parmi eux, nous trouvons par exemple les expressions « locus de contrôle », « sentiment de contrôle », « contrôle primaire », « contrôle perçu », « croyances de contrôle », etc. S’ajoute à cette confusion la naissance d’expressions n’incluant pas le terme « contrôle » mais renvoyant à un contenu similaire (e.g., « maîtrise », « attributions », etc.).

Au-delà de la multiplicité des termes employés pour parler du contrôle, le concept initial ayant été réutilisé dans divers champs théoriques, sa définition s’est vue parfois détournée. Par exemple, si Rotter (1966) a initialement présenté le concept de contrôle perçu comme la perception par un individu que ses actions déterminent les résultats qu’il atteint, certains auteurs l’ont présenté comme un contrôle effectif sur l’environnement. C’est le cas du modèle de Heckhausen et collaborateurs (e.g., Haase, Heckhausen & Wrosch, 2013 ; Schulz & Heckhausen, 1996), dans lequel la notion de contrôle renvoie davantage à une stratégie (e.g., motivationnelle, émotionnelle) mise en place par l’individu pour contrôler son environnement (e.g., « Je m’investis dans la tâche », « Je fais des efforts pour surmonter les obstacles », etc.) et dépendante de perceptions de contrôle antérieures (e.g., Skinner, 1996).

Parce que la présente thèse s’intéresse à des « perceptions » subjectives de contrôle, nous choisissons d’aborder le concept de contrôle selon la définition générale qu’en donne Chipperfield, et qui est adoptée dans les travaux actuels sur le sentiment de contrôle dans le contexte du vieillissement cognitif, c’est-à-dire comme la croyance pour un individu qu’il peut influencer son environnement à travers ses actions et ses comportements (e.g., Chipperfield, Campbell & Perry, 2004 ; Chipperfield, Hamm, Perry & Ruthig, 2017).

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I.3. Contrôle perçu et concepts connexes

Au-delà de la confusion autour des termes employés pour désigner le contrôle perçu, la distinction entre le contrôle perçu et le sentiment d’auto-efficacité manque de clarté dans la littérature, les deux termes étant souvent utilisés de manière synonyme. Albert Bandura, qui a introduit le concept de sentiment d’auto-efficacité dans sa théorie de l’apprentissage social, le définit comme la perception pour un individu qu’il est capable de produire un résultat donné (e.g., Bandura, 1997). Ainsi, le sentiment d’auto-efficacité (e.g., « Je suis capable de retenir tous les mots de la liste ») et le sentiment de contrôle (e.g., « Pouvoir retenir les mots de la liste dépend des efforts que je consacrerai dans la tâche ») semblent similaires car chacun renvoie à un ensemble de croyances vis-à-vis de son propre fonctionnement cognitif. Certains auteurs les regroupent alors sous l’appellation « croyances métacognitives » (comparativement aux « connaissances métacognitives » qui ont trait au savoir sur son propre fonctionnement cognitif, voir Hertzog, 2002 ; Hertzog & Hultsch, 2000), ce qui tend à favoriser leur interchangeabilité dans les travaux. Il est donc courant de rencontrer dans la littérature des évaluations du sentiment de contrôle réalisées via des échelles de mesure du sentiment d’auto-efficacité, et inversement. Par ailleurs, d’après la théorie de Bandura (1997), il est naturellement attendu qu’un fort sentiment d’auto-efficacité façonne les perceptions de contrôle sur l’environnement. Par exemple, se sentir capable de réussir une épreuve de mathématiques est supposé accentuer la croyance selon laquelle la performance est contrôlable et non déterminée par le hasard.

Toutefois, bien que les deux concepts semblent être très liés, un sentiment d’auto- efficacité n’est pas systématiquement synonyme de perception de contrôle (e.g., Bandura, 2006 ; Lachman, Bandura, Weaver et Elliott, 1995). En effet, alors que le sentiment d’auto-efficacité renvoie à une perception de compétence (e.g., « Je suis douée pour me souvenir des noms des gens »), le concept de sentiment de contrôle réfère plutôt à la nature des facteurs qui sont responsables des résultats. Par exemple, un individu peut se sentir capable de réussir un test de mathématiques et, en même temps, croire que la relation entre ses capacités et la réussite est hors de son contrôle (e.g., « Je peux réussir, mais j'ai toujours eu de la chance ! »). Un étudiant peut se percevoir comme compétent en orthographe et attribuer cette compétence à des facteurs héréditaires (e.g., « Je suis bon en orthographe parce que mes parents le sont aussi »). Parce que la compétence et l’efficacité ne sont pas nécessairement perçues comme des causes contrôlables des performances, il est attendu que malgré un fort sentiment d'auto-efficacité, la tendance à expliquer les résultats par des facteurs incontrôlables peut entraîner une réduction des efforts dédiés à atteindre le but souhaité (e.g., Lachman et al., 1995). En outre, alors que le sentiment

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d’auto-efficacité a trait à la réalisation d'une tâche spécifique, le sentiment de contrôle concerne soit des événements inscrits dans des domaines de vie spécifiques (e.g., « Je suis incapable de contrôler ma douleur sans l'aide des autres ») soit la vie en général (e.g., « Parfois je sens que je n'ai pas assez de contrôle sur la direction que prend ma vie »).

Ainsi, les auteurs ayant développé des instruments pour évaluer le concept de contrôle sur la cognition ont distingué le sentiment d’auto-efficacité et le sentiment de contrôle. Par exemple, l’échelle Metamemory in Adulthood (MIA) de Dixon et Hultsch (1983) comprend les sous-échelles « capacité » (i.e. sentiment d’auto-efficacité sur la mémoire) et « locus » (i.e. locus de contrôle sur la mémoire). En outre, dans leur échelle Memory Controllability Inventory (MCI), Lachman et al. (1995) font la distinction entre une perception de « capacité actuelle » qui renvoie au concept de sentiment d’auto-efficacité sur la mémoire (e.g., « Je suis capable de me souvenir des choses quand il le faut ») et une perception de « déclin inévitable » qui renvoie au sentiment de contrôle sur la mémoire (e.g., « Peu importe ce que je fais, ma mémoire empirera en vieillissant »).

Plus généralement, si le contrôle perçu peut être considéré comme une propriété de la métacognition (e.g., Hertzog & Hultsch, 2000), il ne peut se limiter à cette seule définition puisque nous savons qu’il ne reflète pas seulement un ensemble de croyances vis-à-vis de sa propre cognition mais qu’il concerne également d’autres domaines de la vie personnelle pour lesquels un résultat peut être attendu (e.g., recherche d’emploi, performances sportives, relations sociales, gestion de la douleur, etc.). Ainsi, le contrôle perçu peut également être envisagé comme une dimension de la personnalité. Par exemple, plusieurs travaux montrent qu’un plus fort sentiment de contrôle s’associe à certains traits de personnalité du Big Five (e.g., Kaiseler, Polman & Nicholls, 2012 ; Prenda & Lachman, 2001 ; Röcke & Lachman, 2008) tels que l’agréabilité (e.g., « J’aime coopérer avec les autres »), la conscienciosité (e.g., « Je persévère jusqu’à ce que ma tâche soit finie »), l’extraversion (e.g., « Je suis plein d’énergie ») et l’ouverture à l’expérience (e.g., « Je m’intéresse à de nombreux sujets »). A l’inverse, de plus faibles croyances de contrôle s’associent au névrosisme (e.g., « Je suis beaucoup plus anxieux que la plupart des gens ») et à l’apitoiement sur soi-même (e.g., Prenda & Lachman, 2001 ; Stöber, 2003).

Pour conclure, les contours du concept de contrôle perçu sont encore mal définis, notamment en raison de la multitude de termes employés pour le désigner (e.g., croyances de contrôle, sentiment de maîtrise, locus de contrôle, etc.) et de son positionnement par rapport à d’autres concepts connexes (e.g., sentiment d’auto-efficacité). Néanmoins, l’intérêt pour le contrôle perçu est grandissant car il apparait comme une dimension psychologique complexe

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se situant au croisement des aspects métacognitifs (i.e., connaissances sur son propre fonctionnement cognitif) et conatifs (e.g., action, volonté, persévérance) du comportement humain.