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Comme nous l’avons souligné précédemment, Rotter (1966) présentait le locus de contrôle comme un facteur clé dans la régulation des comportements. Aujourd’hui encore, l’hypothèse principale formulée dans la littérature est que le fait de percevoir du contrôle sur sa vie motiverait les individus à maîtriser leur environnement pour atteindre leurs objectifs en dépit des difficultés rencontrées (e.g., Bandura, 1993, Lang & Heckhausen, 2001 ; Miller & Lachman, 1999). Percevoir son environnement comme contrôlable conduirait à mobiliser des ressources (e.g., efforts, temps), à mettre en place des stratégies efficaces et à adopter des comportements qui en retour favoriseraient l’atteinte de résultats désirés.

Par exemple dans le champ de la santé, si une personne atteinte d’une maladie chronique a le sentiment de pouvoir contrôler son état de santé, elle sera plus susceptible de mettre place des actions pour s’adapter à sa situation en allant plus souvent chez le médecin, en modifiant son régime alimentaire, ou en pratiquant une activité physique, ce qui aurait des conséquences positives sur sa santé et son bien-être. A l’inverse, si la personne croit que ses actions ne modifieront pas sa situation, elle sera moins susceptible de mettre en place des actions pour s’adapter, ce qui serait moins bénéfique pour sa santé (e.g., Bandura, 1990 ; Cotter & Lachman, 2010 ; Mirowsky & Ross, 1998 ; Rodin, 1986).

Dans cette perspective, un vaste champ de recherche s’est intéressé aux relations entre le contrôle perçu et les comportements en faveur de la santé. Il apparait de manière constante que le fait de percevoir du contrôle sur les événements est associé à l’adoption d’une alimentation saine (e.g., Backman, Haddad, Lee, Johnston & Hodgkin, 2002 ; Barker et al., 2009 ; Fila & Smith, 2006), une moindre consommation d’alcool, de tabac et de drogues (e.g., Adalbjamardottir & Rafnsson, 2001 ; Christensen et al., 1999 ; Schnoll et al., 2011), et la pratique d’activités physiques et cognitives (e.g., Bye & Pushkar, 2009 ; Infurna & Gerstorf, 2014 ; Jopp & Hertzog, 2007 ; Menec & Chipperfield, 1997).

De plus, des relations entre le sentiment de contrôle et des indicateurs de santé et de bien- être ont aussi été documentées. Par exemple, plusieurs travaux ont mis en évidence qu’un sentiment de contrôle élevé était associé à une meilleure santé cardio-vasculaire (e.g., Infurna & Gerstorf, 2014 ; voir Roepke & Grant, 2011 pour une revue). Une récente étude longitudinale

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d’Infurna, Mayer et Anstey (2017) a montré que l’augmentation du sentiment de contrôle sur 8 ans prédisait un moindre risque de maladies cardio-vasculaires à tous les âges de la vie adulte. En outre, Lachman et Weaver (1998) ont observé que le sentiment de maîtriser sa vie était négativement corrélé aux problèmes de santé (i.e. mesurés par les limitations fonctionnelles et la présence de maladies chroniques) et aux symptômes dépressifs au fil de l’âge adulte. Le sentiment de contrôle joue également un rôle dans l’efficacité des interventions visant à gérer la douleur chronique. Par exemple, Turner, Holtzman et Mancl (2007) ont montré qu’une intervention basée sur la relaxation et les stratégies « émotionnelles » pour gérer les douleurs orofaciales chroniques augmentait le sentiment de contrôle vis-à-vis de la douleur (i.e., « Je peux influencer l’intensité de la douleur que je ressens »), ce qui qui en retour prédisait une moindre intensité et un moindre retentissement de la douleur dans les tâches de la vie quotidienne. Quelques travaux ont également renseigné que les personnes avec de plus fortes perceptions de contrôle réagissaient moins négativement au stress d’un point de vue physiologique (e.g., Abelson, Khan, Liberzon, Erickson & Young, 2008 ; Neupert, Almeida & Charles, 2007 ; Kirschbaum et al., 1995) et avaient moins de troubles du sommeil (e.g., Morin, Blais & Savard, 2002 ; Vincent, Walsh & Lewycky, 2010).

Concernant le rôle du contrôle perçu dans l’évolution des indicateurs de santé et de bien- être, des études longitudinales ont montré que les personnes percevant peu de contrôle sur leur vie montraient des déclins plus marqués de leur santé fonctionnelle et de leurs affects positifs (e.g., Infurna & Mayer, 2015 ; Lachman & Agrigoroaei, 2010), ainsi qu’un plus grand nombre de maladies (e.g., Infurna, Gerstorf & Zarit, 2011). Enfin, des études récentes ont montré le rôle positif que pouvait jouer le sentiment de contrôle dans le recul de la mortalité et le maintien du bien-être durant les dernières années de vie (e.g., Gerstorf et al., 2014 ; Infurna & Okun, 2015 ; Infurna, Ram & Gerstorf, 2013 ; Duan-Porter, Hasting, Neelon & van Houtven, 2017 ; Turiano, Chapman, Agrigoroaei, Infurna & Lachman, 2014).

Parallèlement à la mise en évidence de ces relations entre le contrôle et ces indicateurs de santé et de bien-être, différents travaux se sont penchés sur la question des mécanismes explicatifs de ces relations. Menec et Chipperfield (1997) ont montré dans un échantillon de participants âgés de 60 à 95 ans que ceux qui percevaient leur santé comme étant sous leur propre contrôle pratiquaient davantage de loisirs et d’activités physiques, ce qui en retour favorisait leur sentiment d’être en bonne santé et leur satisfaction dans la vie. Bye et Pushkar (2009) ont montré que le sentiment de pouvoir contrôler sa vie était relié à davantage d’émotions positives chez des personnes partant à la retraite, et notamment parce qu’elles pratiquaient davantage d’activités cognitives stimulantes que les personnes avec un faible

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sentiment de contrôle. Enfin, une étude longitudinale menée par Infurna et Gerstorf (2014) a montré que le contrôle perçu prédisait une meilleure santé fonctionnelle et de moindres risques cardio-métaboliques chez les personnes âgées grâce au maintien de l’activité physique au cours du temps.

Par ailleurs, le sentiment de contrôle est couramment présenté comme un facteur permettant d’atténuer l’impact de ressources limitées sur le fonctionnement (e.g., Lachman, 2006 ; Robinson & Lachman, 2017). Par exemple, plusieurs travaux ont montré que le sentiment de contrôle modérait les effets négatifs d’un faible niveau socio-économique sur la santé. Lachman et Weaver (1998) ont mis en évidence que parmi les personnes avec un faible niveau socio-économique, celles qui ressentaient davantage de contrôle sur leur vie montraient moins de problèmes de santé que celles qui ressentaient peu de contrôle. Similairement, Zilioli, Imami et Slatcher (2017) ont montré par le biais d’analyses de médiation modérée que la relation négative entre un faible niveau socio-économique et des problèmes de santé s’expliquait par un niveau de stress plus élevé, mais que cette relation n’était vraie que chez les personnes avec un faible sentiment de contrôle. Turiano et al. (2014) ont également montré qu’un plus grand sentiment de contrôle s’associait à de moindres risques de mortalité 14 ans plus tard chez les individus avec un faible niveau socio-économique seulement. Ces différents résultats suggèrent donc que le sentiment de contrôle serait particulièrement bénéfique pour la santé des personnes les plus vulnérables, c’est-à-dire celles disposant de moins de ressources. Dans cette même perspective, une récente étude d’Elliott, Turiano, Infurna, Lachman et Chapman (2018) a mis en évidence que la relation positive entre un nombre élevé d’expériences traumatiques vécues tout au long de la vie et un risque élevé de mortalité était seulement significative chez les personnes percevant peu de contrôle sur leur vie.

Toutefois, il est important de noter que la direction de la causalité entre le contrôle perçu et ces indicateurs de santé et de bien-être est peu claire aujourd’hui. Si les études semblent être en faveur de l’hypothèse selon laquelle un fort sentiment de contrôle participerait au maintien d’une bonne santé physique et d’un sentiment de bien-être au fil de l’âge, d’autres études ont également montré que la santé, les activités et le bien-être prédisaient les niveaux et les changements du sentiment de contrôle sur le long terme (e.g., Infurna, Gerstorf, Ram, Schupp & Wagner, 2011 ; Infurna & Okun, 2015). Par exemple, une étude prospective d’Infurna et al. (2011) a montré qu’une meilleure satisfaction dans la vie, l’engagement dans des activités sociales et une meilleure santé auto-évaluée prédisaient un contrôle perçu plus élevé 25 ans plus tard. Plus récemment, Infurna et Okun (2015) ont montré dans une étude longitudinale qu’une

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mauvaise santé fonctionnelle, des symptômes dépressifs et un faible soutien social étaient associés à un plus grand déclin des perceptions de contrôle sur 16 ans.

Pour conclure, la littérature semble apporter de nombreux éléments en faveur d’une relation entre un fort sentiment de contrôle et un style de vie actif, une meilleure santé et un sentiment de bien-être au fil de l’âge adulte. Toutefois, le rôle du sentiment de contrôle dans l’évolution de ces « critères de vieillissement réussi » reste à être exploré avec plus d’attention. En effet, bien que le sentiment de contrôle soit aujourd’hui présenté comme le facteur clé d’un vieillissement de qualité (e.g., Robinson & Lachman, 2017), les études longitudinales traitant de cette question sont encore rares. Parallèlement aux travaux que nous venons de présenter, de nombreuses études explorent aujourd’hui si le fait de percevoir son environnement comme contrôlable s’associe à de meilleures habiletés cognitives au fil de l’âge adulte.

III. Contrôle perçu et fonctionnement cognitif