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PARTIE II : les comptabilités environnementales agricoles : analyse comparative

5. Présentation de la méthode IDEA

D’après notre typologie des comptabilités environnementales agricoles, la méthode IDEA (Indicateurs de durabilité des exploitations agricoles) s’est avérée une des plus élaborées : elle s’inscrit dans l’optique de durabilité forte, traite des trois aspects du développement durable, de divers enjeux environnementaux qui sont pris en compte tant à l’échelle locale (au niveau microéconomique) qu’à l’échelle macroéconomique. Cette méthode a été élaborée par un groupe de travail pluridisciplinaire sous la tutelle du ministère chargé de l’agriculture et de la pêche de la République Française ; elle aide à apprécier les forces et les faiblesses du système de production, et à identifier des voies d’amélioration vers plus de durabilité (IDEA, 2009 ; Vilain, 2008 ; Zahm et al., 2008). Basée sur l’auto- diagnostic et l’enquête directe, la méthode IDEA est relativement simple et facile à mettre en œuvre. C’est un outil de réflexion et d’apprentissage. Ses concepteurs (IDEA, 2009 ; Vilain, 2008) précisent que la méthode IDEA

« est d’abord un outil à vocation pédagogique qui cherche non seulement à apprécier la durabilité des systèmes agricoles, mais qui permet aussi, par un travail d’accompagnement, de comprendre le concept de durabilité en suscitant des débats et des questionnements à travers chaque indicateur et en suggérant des moyens simples et adaptés à chaque situation locale pour améliorer la durabilité et le fonctionnement global du système analysé » (IDEA (site Internet), 2009).

La première version de cette méthode a vu le jour en 1999 (Vilain, 1999). En 2003, elle a été rééditée, complétée par des indicateurs spécifiques à l’horticulture et au maraîchage. Sa troisième version datant de 2008, « propose des améliorations sur la formulation et la pondération de plusieurs indicateurs, ainsi qu’une simplification par rapport à la version antérieure puisque les items qui concernaient l’horticulture et le maraîchage ont été supprimés » (Vilain, 2008, p.12).

Cette méthode est basée sur l’approche systémique utilisée dans les sciences agronomiques depuis de nombreuses années en France (Sebillote, 1996).

Les concepteurs de la méthode IDEA définissent l’agriculture durable de la manière suivante (Vilain, 2008, p.18) :

« L’agriculture durable limite sa consommation en engrais, en pesticides, en aliments du bétail importés, en eau et en énergies fossiles. Elle cherche à valoriser son territoire en protégeant les rivières, les nappes phréatiques et les milieux naturels et en limitant les risques d'érosion qui entament chaque année le potentiel alimentaire des générations futures. Elle produit des aliments de qualité à partir de la valorisation écologiquement saine des ressources locales. Par ses pratiques, elle contribue à la qualité du paysage et du cadre de vie et renforce le lien social par ses échanges avec son territoire. Il s'agit d'un véritable développement au sens qualitatif du terme, qui s'accompagne pourtant d'une décroissance des flux physiques (moins

d'intrants, moins de pollution), pour une rentabilité économique souvent équivalente (moins de charges, plus de qualité), et une vivabilité très supérieure. Et parce qu'ils sont étroitement connectés à leur milieu et à leur territoire et qu'ils sont insérés dans un réseau local d'entraide, d'échange et de dialogue avec le reste du tissu rural, les systèmes agricoles durables produisent une alimentation de qualité qui est souvent valorisée dans des circuits de proximité ».

Les trois concepts clés de l’agriculture durable préconisée par la méthode IDEA sont inspirés de Landais (1998). Il s’agit de la viabilité, la vivabilité et la reproductibilité environnementale (Zahm et al., 2008, p.272) :

- La viabilité représente, en termes économiques, l’efficacité des systèmes de production et la sécurité des sources de revenus face à l’incertitude des marchés,

- La vivabilité se focalise sur la vie professionnelle et personnelle décente des agriculteurs,

- La reproductibilité environnementale des agro-écosystèmes peut être caractérisée par les indicateurs agri-environnementaux, traitant particulièrement des impacts des pratiques agricoles sur l’environnement.

La méthode IDEA a été développée en se basant sur les recommandations de Mitchell et al. (1995) et Girardin et al. (1999). Elle est structurée autour de 16 objectifs (figure 8) et se présente comme un système d’indicateurs chiffrés qui sont généralisés en plusieurs composantes (dix), et ensuite répartis en trois échelles de durabilité, à savoir : agro- écologique, socio-territoriale et économique.

Les objectifs de l’échelle de durabilité agroécologique se réfèrent aux principes agronomiques de l’agriculture intégrée (ou agroécologie) (Viaux, 1999), tandis que les objectifs de l’échelle de durabilité socio-territoriale renvoient à l’éthique et au développement humain114. Enfin, les objectifs de l’échelle de durabilité économique précisent des notions essentielles concernant la fonction entrepreneuriale de l’exploitation.

Dans leur définition des indicateurs, Zahm et al. (2008) se réfèrent à Gras et al. (1989) : « variables qui fournissent des informations sur d’autres variables qui sont moins faciles d’accès. Ils servent aussi de guide pour la prise de décisions »115. A chaque indicateur sont associés les barèmes de notation et les pondérations qui leur sont affectées.

Ces pondérations et notation ont été établies sur la base d’un consensus en partant des enjeux au niveau macro-économique (les échelles), puis des composantes, et enfin des indicateurs eux-mêmes (Zahm et al., 2008, p.279).

114 Développement humain - un des objectifs de durabilité de la méthode IDEA (DVH) - Notion prenant en compte l'épanouissement et la réalisation personnelle dans le métier d'agriculteur (Vilain, 2008, p. 45).

115

Notre traduction de “variables that provide information on other variables that are less easily accessible.

Figure 8 – Matrice des objectifs de la méthode IDEA (IDEA (site Internet), 2009)

Les trois échelles de durabilité varient entre 0 à 100 points (Zahm et al., 2005, p.6). Des notes maximales sont définies pour chaque indicateur afin de plafonner le nombre total d'unités de durabilité. « Le score d’une exploitation pour chacune des trois échelles de durabilité est le nombre cumulé d’unités élémentaires de durabilité obtenues (ou de points) pour divers indicateurs de l’échelle considérée. Plus la note est élevée, plus l’exploitation est considérée comme durable pour l’échelle considérée » (Zahm et al., 2005, p.6).

La note minimale est la note zéro. Mais cette note peut simplement signifier que l'exploitation n’est pas concernée par l'indicateur :

« Ainsi, les indicateurs diversité animale ou races menacées ne concerneront que les exploitations d'élevage, mais les indicateurs de l'échelle socio-territoriale ou économique concernent l'ensemble des exploitations. Pour les exploitations concernées, la note zéro ne signifie pas nécessairement des handicaps ou obstacles incontournables à la durabilité, mais montre que l'exploitation dispose de marges de progression » (Zahm et al., 2004, p.11).

En ce qui concerne la note finale de durabilité de l’exploitation, les auteurs considèrent que les performances globales de chaque échelle de durabilité sont indépendantes et ne peuvent pas s'additionner, ce qui témoigne de l’optique de la durabilité forte.

« différentes pratiques peuvent, sans gros problèmes théoriques, s'additionner, c'est-à-dire se compenser : une faible diversité animale peut être en effet partiellement compensée par une plus forte diversité des cultures annuelles et des cultures pérennes... Ajoutons cependant que l'addition des indicateurs présente une réelle signification agronomique quand une même valeur peut être obtenue de différentes façons possibles sur le terrain » (Vilain, 2008, p. 35).

L’échelle de durabilité agroécologique est déclinée en trois composantes (tableau 12) : diversité domestique, organisation de l’espace, et pratiques agricoles. La diversité domestique est représentée par quatre indicateurs (ou cinq dans la version plus ancienne de 2003 qui est la deuxième version) qui mesurent la diversité des espèces ou des cultures. D’autres aspects, comme par exemple, l’assolement et la rotation des cultures, la dimension des parcelles, la gestion des matières organiques sont traités par les indicateurs de l’organisation de l’espace. Les pratiques agricoles sont caractérisées par les indicateurs de fertilisation, les effluents organiques liquides, les pesticides, les traitements vétérinaires, la protection de la ressource des sols, la gestion de la ressource en eau et la dépendance énergétique.

Tableau 12 – Echelle de durabilité agroécologique de la méthode IDEA

Composante Indicateurs Maximum

possible Diversité

Domestique

Diversité des cultures annuelles et temporaires A1 14

Diversité des cultures pérennes A2 14

Diversité animale A3 14

Valorisation et conservation du patrimoine génetique A4 6 DIVERSITE DOMESTIQUE Sous-total: 33

Organisation de l’espace

Assolement A5 8

Dimension des parcelles A6 6

Gestion des matières organiques A7 5

Zones de régulation écologique A8 12

Contribution aux enjeux environnementaux du territoire A9 4

Valorisation de l'espace A10 5

Gestion des surfaces fourragères A11 3

ORGANISTAION DE L'ESPACE Sous-total: 33

Pratiques agricoles

Fertilisation A12 8

Effluents organiques liquides A13 3

Pesticides A14 13

Traitements vétérinaires A15 3

Protection de la ressource des sols A16 5

Gestion de la ressource en eau A17 4

Dépendance énergétique A18 10

PRATIQUES AGRICOLES Sous-total: 34

L'échelle socio-territoriale (tableau 13) caractérise l'intégration de la ferme dans son paysage et dans la société. Elle vise à évaluer la qualité de vie de l'agriculteur et le poids des services marchands et non marchands rendus au paysage et à la société (Zahm et al., 2008). Certains indicateurs, tels que “Intensité de travail” ou “Qualité de vie” sont évalués sur la base des déclarations des agriculteurs. D’autres concernent non seulement l’agriculteur, mais aussi sa famille.

Tableau 13 – Echelle de durabilité socio-territoriale de la méthode IDEA

Composante Indicateurs Maximum

possible Qualité des

produits et des territoires

Demarche de qualité B1 10

Valorisation du patrimoine bâti et du paysage B2 8

Gestion des déchets non organiques B3 5

Accessibilité de l’espace B4 5

Implication sociale B5 6

QUALITE DES PRODUITS ET DU TERRITOIRE Sous-total: 33

Emploi et services

Valorisation par filières courtes B6 7

Autonomie et valorisation des ressources locales B7 10

Services, pluriactivité B8 5

Contribution à l’emploi B9 6

Travail collectif B10 5

Pérennité probable B11 3

EMPLOI ET SERVICES Sous-total: 33

Ethique et développement humain

Contribution à l’équilibre alimentaire mondial B12 10

Bien-être animal B13 3

Formation B14 6

Intensité de travail B15 7

Qualité de vie B16 6

Isolement B17 3

Accueil, hygiène et sécurité B18 4

ETHIQUE ET DEVELOPPEMENT HUMAIN Sous-total: 34

Total: 100

L'échelle de durabilité économique est représentée par quatre composantes mesurées par six indicateurs (tableau 14) : viabilité économique, taux de spécialisation économique, autonomie financière, sensibilité aux aides, transmissibilité, et efficience du processus productif.

Depuis 2000, plus de 1500 exloitations agricoles ont testé la méthode IDEA.

Les auteurs soulignent qu’il n’y a pas de modèle unique de la durabilité des exploitations agricoles (Zahm et al., 2008, p.280). Par conséquent, les indicateurs doivent être adaptés à l'agriculture locale avant d’être utilisés. Nous préciserons les modes de calcul des indicateurs IDEA dans le chapitre suivant.

Tableau 14 – Echelle de durabilité économique de la méthode IDEA

Composante Indicateurs Maximum

possible

Viabilité Viabilité économique C1 20

Taux de spécialisation économique C2 10

VIABILITE Sous-total: 30

Indépendance Autonomie financière C3 15

Sensibilité aux aides C4 10

INDEPENDANCE Sous-total: 25

Transmissibilité Transmissibilité C5 20

TRANSMISSIBILITE Sous-total: 20

Efficience Efficience du processus productif C6 25

EFFICIENCE Sous-total: 25

Total: 100

En résumé, l’approche de durabilité forte semble caractériser la méthode française IDEA. Pourtant, des questions se posent : quel est l’impact de cette méthode au niveau monétaire? Fait-on une distribution des résultats si la durabilité écologique est moins bonne que d’autres? Compte tenu du manque de travaux sur la comptabilité environnementale agricole dans une optique de la durabilité forte en Russie, la méthode IDEA sera-t-elle applicable au contexte russe ? Quelles sont ses limites ?

Nous allons répondre à ces questions en décrivant plus finement la méthode IDEA appliquée dans le contexte français et russe, et en analysant de manière comparative les modes de gestion dans les entreprises agricoles russes et françaises et leurs conséquences sur la durabilité compte tenu du contexte socio-politique. Cela sera l’objet des chapitres qui suivent.

Cinquième chapitre : en pratique, existe-t-il une comptabilité

environnementale agricole du modèle fort de durabilité ?

Notre but est de caractériser la comptabilité agricole environnementale en France et en Russie, avec un focus particulier sur l’existence du modèle de durabilité forte qui nous semble le plus pertinent par rapport aux défis et enjeux du développement durable. Dans le chapitre précédent nous avons identifié, au niveau théorique, la méthode IDEA (Indicateurs de durabilité des exploitations agricoles) comme susceptible de refléter l’optique forte de durabilité. Nous allons nous intéresser de plus près à cette méthode pour voir si elle offre des bases suffisantes pour une comptabilité environnementale, et si oui, quelles sont les caractéristiques de cette comptabilité selon les critères de la classification de Richard (2012) que nous avons choisie dans le chapitre sur les théories mobilisées.

Nous commencerons par présenter les organisations étudiées, leur organisation comptable et les données disponibles pour chaque de nos études en France et en Russie. Ensuite, étant donné que dans les deux pays, la réglementation en vigueur dans le secteur agricole ne prévoit pas une comptabilisation spécifique des aspects environnementaux (Christophe, 1995, 2000 ; Zahm, 2004 ; Altukhova, 2008 ; Altukhova et Chirobokov, 2010)116, nous analyserons la comptabilité de l’exploitation dans son état actuel du point de vue environnemental, compte tenu des règles comptables dans le pays concerné. Enfin, nous en tirerons des conclusions sur le type de comptabilité environnementale tenue par ces organisations.

Mais, tout d’abord, nous allons présenter la méthodologie utilisée.

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