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Approches « purement » comptables environnementales agricoles

PARTIE II : les comptabilités environnementales agricoles : analyse comparative

2. Approches « purement » comptables environnementales agricoles

Parmi les approches « purement » comptables, on peut distinguer, en premier lieu, celles qui traitent des adaptations des plans comptables existants compte tenu de la réglementation en matière de l’exploitation et de la protection de l’environnement.

Par exemple, Chirobokov et Zotov (2004) ont proposé d’adapter le plan comptable général russe de façon à ce qu’il prévoie des comptes pour refléter les dépenses environnementales et les actifs de protection de l’environnement (actifs environnementaux).

Par ailleurs, dans son étude, Zotov (2006) a élaboré un modèle d’organisation de la comptabilité écologique en prenant pour base le modèle de Adizece (1988, 1999)92. Zotov a analysé l’influence de l’exploitation des ressources naturelles et du niveau de pollution sur les phases du cycle de vie d’entreprise, ainsi que les possibilités de prévention des pertes et les avantages de la comptabilité écologique (Zotov, 2006, p. 38-41). Il est à noter que cette approche est différente de l’analyse de cycle de vie des produits93 car il s’agit d’une entreprise et de ses ‘étapes’ de vie.

En outre, Zotov (2006) a élaboré une classification des charges liées à l’activié écologique (tableau 7).

Tableau 7 – La classification des charges environnementales

Catégorie des charges Exemples des charges environnementales

1. Les charges prémonitoires

Les frais d’investissement (d’acquisition, restauration, réparation et modernisation des immobilisations environnementales) Les charges liées à la dégradation de l’environnement

Les charges jointes (introduction des combustibles et du matériel écologiques, du recyclage, de nouvelles technologies, etc.) Les frais de recherche et développement

2. Les charges courantes

Les dépenses pour entretien et exploitation des immobilisations environnementales

Les charges selon les types de mesures environnementales (répartition des déchets, lutte contre pollution d’eau, d’air) Les charges pour les services des entreprises extérieures Les charges pour le contrôle et analyse économique Les frais de gestion

3. Les charges compensatoires

Les charges éventuelles (amendes, indemnisations)

Les charges suite à des circonstances exceptionnelles (catastrophes naturelles, les événements extrêmes de production) Source : Zotov (2006, p. 82).

On peut déduire de ce tableau que son auteur suit la vision Intérieur-Extérieur, car il prévoit, par exemple, les charges liées à la dégradation de l’environnement, il s’agit donc de l’impact d’une entreprise sur l’environnement. Mais il ne distingue pas ici le capital naturel ; la conception du capital est toujours traditionnelle (c’est-à-dire, celle du capital privé), ce qui est contradictoire avec sa vision.

92 Adizece I. Corporate Lifecycles : How and Why Corporations Grow and Die and What to Do about It. Englewood Cliffs. N.J.: Prentcie Hall, 1988; Adizece I. Managing Corporate Lifecycles. Paramus. N.J. : Prentice Hall, 1999.

93 Les analyses de cycle de vie constituent, selon Christophe (2000), une véritable comptabilité analytique environnementale permettant d’évaluer l'impact de la production de biens ou services sur l'environnement. Elle «consiste à regarder en amont ce que l'entreprise consomme comme ressources physiques et en aval ce que l'utilisation du produit fabriqué entraîne également comme consommation de ressources naturelles» (Christophe, 2000, p. 662).

Dans sa thèse, Zotov (2006) avance qu’on mesure le « niveau initial » de l’efficacité écologique d’une entreprise par le coût d’acquisition des immobilisations corporelles et incorporelles environnementales et qu’on les enregistre dans des comptes correspondants qu’il faut ouvrir dans le plan comptable. Il propose d’ouvrir des comptes d’actifs d’exploitation des ressources naturelles et d’actifs de protection d’environnement, aussi que le compte d’acquisition des droits d’exploitation des ressources naturelles et des droits des émissions. De cette façon, le groupement des investissements environnementaux permettrait de définir le résultat financier lié à l’activité écologique (Zotov, 2006, p. 59-60).

Cela est en ligne avec les propos de Bitchkova et Egorov (2001) qui suggèrent qu’on puisse distinguer de nouveaux actifs, notamment « les droits d’émission » (Bitchkova et Egorov, 2001, p. 21), et de leur opposer des passifs correspondants.

Ces idées reflètent une optique faible de durabilité puisque la substitution du capital financier aux ressources naturelles est admise, notamment sous forme des droits d’émission.

En prenant pour exemple l’horticulture, Volkova (2002, p. 122-125) prône une amélioration du système agricole avec une orientation vers l’adaptabilité et la « biologisation » (imitation des processus naturels dans la production). Ainsi, les entreprises voient apparaître de nouvelles dépenses qu’on peut regrouper de la façon suivante :

- les investissements : aménagement du territoire, des étangs, plantation des arbres (brise-vent), enherbement, etc...,

- les dépenses à caractère préventif : maintien du paysage agricole, coupe des bois, purification des étangs, etc...,

- les charges exceptionnelles (suite à l’incendie, à la dessication des étangs, leur eutrophisation, etc...).

Les dépenses pour le maintien du paysage agricole doivent être considérées comme des charges d’exploitation qu’on peut comptabiliser dans un compte spécifique « Dépenses pour les ressources foncières et l’écologie ».

Volkova (2002) suggère la création de fonds de réserves pour charges et paiements à venir, comme par exemple un fonds d’épuisement des ressources foncières et un fonds d’épuisement des ressources naturelles, ce qui contribuera à la solution des problèmes économiques et écologiques. Cette dernière proposition rejoint l’un des principes du modèle CARE de Richard (2012) concernant la conservation et l’amortissement du capital naturel.

A ce propos, Zahm (2004) conclut qu’il n’existe pas de méthodes ou recommandations pour mesurer les dépenses environnementales en agriculture (« le concept le plus approprié pour rendre compte de l’effort financier des exploitations agricoles » d’après lui).

Mais il existe des travaux qui essaient d’introduire de nouveaux concepts dans la comptabilité conventionnelle.

Par exemple, Houdet et al. (2009) traitent de la façon d’intégrer entièrement la biodiversité dans les stratégies business, en utilisant le langage des entreprises, celui des coûts et des bénéfices. Houdet (2008) propose d’introduire un nouveau système comptable (comptabilité écosystémique) qui prendra en compte les relations entre les entreprises et les systèmes vivants. Cette comptabilité a deux niveaux ou « composantes indissociables » (p.276- 287) : la comptabilité écosystémique de l’entreprise et la comptabilité écosystémique des relations entre entreprises.

Pour la première composante, il s’agit de mettre en place un outil plus intégratif pour mesurer les résultats, le coût complet des produits et services, ainsi qu’une partie du goodwill des entreprises, (1) en chiffrant les transactions monétaires associées à la biodiversité (dont celles associées aux droits d’accès, d’usage et de propriété), (2) en consolidant la comptabilité des flux non monétaires des intrants-sortants associés aux activités de l’entreprise (il s’agit généralement des ressources consommées comme « intrants », et des émissions, effluents et déchets comme « sortants »), et (3) en fournissant des explications de haute qualité sur la nature des interactions entre ses activités et la biodiversité. « Selon la nature de ses interactions avec le monde vivant, l’entreprise pourra ensuite définir les champs d’action possibles, en partenariat avec l’ensemble des acteurs économiques, pour faire co-évoluer ses activités avec la diversité du vivant » (p.280-283).

En ce qui concerne la comptabilité écosystémique des relations entre entreprises, il s’agit de :

« 1 - Généraliser la comptabilité écosystémique de l’entreprise à l’ensemble des organisations (Des propriétaires, gestionnaires et exploitants des espaces terrestres et maritimes au monde des actionnaires),

2 - Chiffrer les coûts de gestion et de restauration des écosystèmes imputables aux entreprises (Participation active des entreprises à la comptabilité des écosystèmes) » (Houdet, 2008b, p.276-287).

D’après Houdet (2008b, p.284-287), les entreprises pourraient participer collectivement à la co-construction de la comptabilité des écosystèmes marins et terrestres de la planète, qui « se fonde sur des choix collectifs et politiques de long terme relatifs à leur intégrité et santé, en référence notamment aux objectifs de la Convention sur la Diversité Biologique ».

De plus, Houdet (2008b, p.284-287) souligne l’importance de « la co-construction avec l’ensemble des parties prenantes des indicateurs de suivi et d’analyse des dynamiques écosystémiques qui nourriraient la comptabilité écosystémique de l’entreprise ».

En outre, parmi les approches existantes dans le domaine agricole, on trouve une application de la comptabilisation au coût complet (Full-cost accounting) en agriculture. En 2003, l’Institut international du développement durable (IIDD), fondé par Environment Canada, a entrepris un projet de recherche de cinq ans avec Agriculture et Agroalimentaire Canada (Agriculture and Agri-food Canada) pour étudier la question de la comptabilisation du coût complet et son application à l'élaboration de politiques dans le secteur agricole (IIDD, 2009). IIDD (2009) définit la comptabilisation au coût complet comme l’évaluation, en termes monétaires, des coûts ou des avantages associés aux changements dans l’environnement. On utilise également le terme « évaluation environnementale », les coûts et les avantages d’une telle analyse sont communément appelés externalités environnementales, définies comme les coûts ou les avantages qui ne sont pas reflétés dans les prix des biens et des services sur les marchés réguliers.

Dans leur projet Full Cost Accounting for Agriculture, reposant sur l’exemple d’un bassin versant de South Tobacco Creek, IISD, McCandless et al. (2008), ont calculé certaines valeurs d’usage directes et indirectes pour diverses pratiques de gestion bénéfiques (Beneficial management practices), en utilisant les prix de marché et des valeurs de consentement à payer (se basant sur l’estimation directe du surplus de producteur et de consommateur, la méthode de productivité, les prix hédoniques, ou sur la méthode des coûts de déplacement (travel cost method)), mais aussi et surtout sur les coûts évités.

Par ailleurs, Solomkina et al. (2005) proposent de comptabiliser les dommages environnementaux et d’utiliser à cet effet deux variantes pour leur évaluation, à savoir : les indicateurs écologiques naturels (pertes du sol, de l’humus, des éléments nutritifs, sous- production agricole) et monétaires (le coût des engrais pour compenser les pertes, le coût de la sous-production agricole à cause de la baisse du rendement des cultures sur les sols érodés,...).

De même, Zahm (2004) propose un cadre conceptuel basé sur une double approche : « dépenses environnementales / indicateurs agro-environnements complétée par la création d’un Centre d’Analyse des Activités liées à la Multifonctionnalité qui intègre la fonction protection de l’environnement ».

A cette fin, Zahm (2004) rappelle les principaux enjeux environnementaux susceptibles d’être pris en compte dans le périmètre des dépenses environnementales, et présente un essai de tableaux de dépenses environnementales en se basant sur le cadre de reporting des tableaux du C.N.C qu’il a adapté à l’activité agricole (tableau 8).

Tableau 8 – Dépenses environnementales de l’exploitation agricole (Zahm, 2004, p.102) Domaines d’activités Variation des provisions environnementales Dépenses d’exploitation

Investissements Total des dépenses Charges non provisionnées Dépenses capitalisées Préservation quantitative de la ressource en eau Préservation qualitative de la ressource en eau

Préservation de la fertilité des sols et aménagements

Protection contre les risques naturels (incendies, inondations)

Protection de l’air ambiant et économies d’énergie ou utilisation de sources d’énergies renouvelables Gestion des déchets et recyclage Amélioration du bien être des animaux d’élevage

Protection ou amélioration de la biodiversité animale ou végétale Protection ou amélioration du paysage

Autres services environnementaux récréatifs

Totaux

Source : tableau C.N.C adapté à l’activité agricole

Quant au deuxième volet de son approche, celui des indicateurs agri-environnementaux, Zahm (2004) propose de retenir les indicateurs les plus synthétiques de l’impact envionnemental parmi les méthodes qu’il a présentées.

Ainsi, en fonction de l’optique de conservation du capital naturel (et social) que sous- tendent les indicateurs de la méthode choisie, l’approche de Zahm (2004) peut s’inscrire dans une des trois optiques de développement durable.

Si on reprend notre typologie des philosophies de développement durable pour la confronter aux autres propositions qu’on vient de présenter, on pourra constater que les approches comptables de Chirobokov et Zotov (2004) et de Houdet et al. (2009) reflètent l’optique technogène de développement, tandis que les propos de Bitchkova et Egorov (2001), Solomkina et al. (2005), et de l’Institut international du développement durable (IISD, McCandless et al., 2008 ; IIDD, 2009) renvoient à la durabilité faible, puisqu’on ne trouve pas d’indication sur le respect des seuiles physiques environnementaux (et la conservation du capital naturel critique). Les idées de Volkova (2002) s’approchent du modèle CARE (Richard, 2012) et donc de l’optique forte de durabilité.

Enfin, il existe des recherches où les auteurs conçoivent la comptabilité agricole environnementale sous forme de système d’indicateurs. C’est l’objet de la section qui suit.

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