Chapitre 1. Le repositionnement institutionnel du Museon Arlaten : éléments de
1. Présentation des enjeux du projet de rénovation du Museon Arlaten
1.1 Le projet de conception des dispositifs numériques dans les documents de
communication
Dans ce chapitre, nous porterons d’abord notre attention sur la façon dont le projet de rénovation
est présenté au public, afin de signaler les thématiques mises en avant ainsi que les termes
employés par l’institution pour décrire l’introduction des dispositifs numériques. Pour cela nous
analysons deux types de documents : les textes et images issus d’un site internet dédié à la
rénovation du musée ainsi que la synthèse du projet scientifique et culturel (PSC) disponible
sur le site internet du Museon Arlaten. Ces documents sont disponibles en ligne et s’adressent
idéalement aux internautes qui souhaiteraient se renseigner à propos du futur musée. À travers
l’étude du corpus de documents collectés (annexe 6), nous établirons également un classement
thématique des différents aspects de la rénovation. Cela nous permet in fine d’analyser
l’imaginaire de la médiation qui sous-tend le projet. Il ressort de ces documents une conception
de la médiation qui met en avant le passage du musée d’un modèle obsolète à un modèle
innovant et réflexif à travers des dispositifs actuels.
1.1.1 Une rénovation complète
Les documents ci-dessous soulignent le caractère exhaustif et imposant d’une rénovation où la
grande majorité des éléments du musée seront revus : l’architecture, les collections, le discours
sur les objets et le parcours d’exposition. A la rénovation du musée s’ajoute également la
construction d’un centre d’étude, de restauration et de conservation des œuvres (CERCO). Le
calendrier du projet de rénovation disponible sur le site internetrend compte de l’ampleur de ce
181 Calendrier du projet de rénovation établi par le Museon Arlaten81
Le projet est alors présenté à la fois comme un déploiement du musée et comme un
repositionnement de son discours scientifique. La synthèse du PSC insiste à plusieurs endroits
sur l’aspect considérable de cette rénovation :
« Extension des surfaces du musée », « parcours muséographique repensé », « restauration complète du gros
œuvre », « repenser la distribution fonctionnelle des espaces et créer des circulations » Synthèse du PSC
En détaillant les tâches liées à cette rénovation, le musée souligne le fait qu’il réinterroge
également la façon de mettre en place des activités de médiation :
« Au-delà des seuls travaux sur le monument historique, un travail de fourmi s’organise en coulisses pour
préparer la réouverture : (…) produire les contenus des dispositifs multimédias qui ponctueront la visite, expérimenter des actions culturelles adaptées à des publics diversifiés, (…) poursuivre les recherches
ethnographiques et collecter le patrimoine provençal d’aujourd’hui… » Site internet dédié à la rénovation
1.1.2 Un musée de société contemporain
L’un des enjeux majeurs de cette rénovation est le changement de l’image institutionnelle du
musée : d’un écomusée militant le Museon Arlaten souhaite faire figure de musée de société
présentant les avancées de la discipline ethnographique. La catégorie « musée de société »
employée dans le PSC cherche alors à montrer comment le musée se distancie d’une simple
182
fonction de présentation du folklore local pour interroger des thématiques plus larges telles que
la construction des stéréotypes, l’identité régionale ou la mémoire des habitants.
« C’est donc “du musée d’Ethnographie du XIXe siècle au musée de société du début du XXIesiècle ” que se
présentent les enjeux du futur Museon Arlaten », « gérer l’héritage dont le Museon est dépositaire tout en développant des problématiques contemporaines » Synthèse du PSC
Pour parvenir à cet objectif visant à se démarquer des anciennes formes des musées
d’ethnographie (Drouguet, 2015), l’accueil dans le parcours de visite de problématiques
contemporaines devient pour l’institution un enjeu primordial. À ce titre, la dernière séquence
du musée qui aborde la période contemporaine est censée représenter cet élargissement
thématique du discours de l’exposition.
« Epilogue du parcours de visite, cette dernière partie ramène le visiteur dans le présent, au terme de son voyage
dans le temps des musées d’ethnographie. Elle est dotée d’une muséographie résolument contemporaine, qui
témoigne des dernières évolutions des musées d’ethnographie » Site internet dédié à la rénovation
Cette dernière séquence a deux objectifs : intégrer le patrimoine immatériel et le patrimoine
contemporain :
« Le Museon Arlaten, devenu musée départemental, se doit tout à la fois d’enrichir les collections existantes, (…) mais aussi de réunir (…) des collections matérielles et immatérielles », « Une sixième section sera consacrée aux expositions temporaires qui pourront en compléter ou élargir le propos » Synthèse du PSC « collecter le patrimoine provençal d’aujourd’hui… » Site internet dédié à la rénovation
Il s’agit d’un mouvement d’élargissement de la mémoire sociale vers les cultures peu mises en
valeur par l’ancien musée, telles que les cultures gitanes ou les mémoires des cheminots. Le
musée cherche à s’émanciper de l’image d’une Provence rurale catholique instaurée par Mistral
pour interroger les traditions passées.
Le discours de cette dernière séquence n’arrive pas en contradiction avec les autres salles du
musée, mais il est préparé en amont par plusieurs salles d’interprétation, des espaces permettant
d’interroger la muséographie des salles précédentes. Cette présence régulière de salles
d’interprétation venant rythmer le parcours de visite est censée développer chez le visiteur le
réflexe d’un recul critique sur la scénographie qui lui est présentée :
« Enfin, chaque partie s’ouvrira sur un espace d’interprétation, “boîte à outils” où le visiteur pourra prendre du recul par rapport à ce qu’il vient de voir et décryptera les mises en scène créées par les musées au cours du temps. » Site internet dédié à la rénovation
Ces salles d’interprétation étant essentiellement constituées de dispositifs numériques (vitrines
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les lieux du parcours où se forge un regard critique sur les stéréotypes sur la culture provençale.
Les dispositifs numériques sont donc de facto associés à une posture réflexive.
Enfin, les termes « modernes », « innovants » et « contemporains », très présents dans les
documents étudiés, rappellent les discours journalistiques portant sur le changement de
paradigme du musée et rendent compte de la volonté du Museon Arlaten de s’inscrire dans les
codes muséaux de son époque :
« un parcours interprétatif résolument moderne », « scénographies innovantes » Synthèse du PSC « une muséographie résolument contemporaine, qui témoigne des dernières évolutions des musées
d’ethnographie » Site internet dédié à la rénovation
1.1.3 L’intégration des technologies pour favoriser l’accessibilité
Dans les textes décrivant les futurs dispositifs numériques, l’accent est mis en priorité sur les
enjeux en termes d’accessibilité envers les différents types de publics. Des expressions telles
que : « accessible au plus grand nombre » et « compréhension pour tous » sous-entendent la
capacité de ces dispositifs, à travers les multiples médias qu’ils utilisent (son, vidéo, texte), à
s’adapter aux divers profils des visiteurs en fonction de leur âge, du contexte de visite et de leur
éventuelle situation de handicap :
« Des documents d’aide à la visite et des audio-visio-guidesseront proposés à l’accueil, et une dizaine de
dispositifs tactiles – maquettes et fac-similés de collections – viendront ponctuer le parcours, afin de rendre ces temps forts accessibles au plus grand nombre. » Site internet dédié à la rénovation
C’est donc moins la thématique de l’innovation des supports qui est mise en avant que les
possibilités en termes d’accessibilité et de diversité de l’expérience de visite. On observe par la
suite une tendance à énumérer la diversité des dispositifs technologiques afin de décrire les
avantages de leur utilisation tant sur un registre cognitif (« compréhension ») que sur un registre
sensoriel (« explorer », « plongeant le public dans un autre espace-temps »).
« Les différentes parties du parcours seront ponctuées d’outils technologiques mis au service de la
compréhension pour tous : projections et son immersif plongeant le public dans un autre espace-temps, cartels
numériques sur des tablettes tactiles, “navigateurs” développant la technologie de la réalité augmentée.... » « Des outils numériques permettront d’explorer l’histoire du bâtiment, tour à tour hôtel particulier, collège des Jésuites, collège municipal, puis musée. » Site internet dédié à la rénovation
Ces extraits de la communication institutionnelle du musée donnent à voir une volonté d’ancrer
l’institution dans l’actualité et soulignent en filigrane l’idée d’un retard à rattraper (Levoin,
184
2016) associé à un besoin impérieux de proposer un discours distancié sur l’ancien musée. Le
fait d’insister sur l’accessibilité des différents publics et l’arrivée du musée dans un nouveau
paradigme rappelle les caractéristiques des discours enchantés de la presse étudiés dans
l’enquête préalable.
1.2 L’anticipation de l’utilisation des dispositifs dans les visuels des prototypes
Le site internet dédié à la rénovation présente plusieurs images des prototypes
82des futurs
dispositifs. La publication sur ce site d’images de synthèseréalisés par l’agence d’architecture
en charge des travaux permet de distinguer deux types d’images : des visuels centrés sur les
dispositifs en eux-mêmes et des visuels centrés sur l’utilisation des dispositifs par les visiteurs.
Ces visuels donnent à voir un imaginaire intuitif, interactif et transparent des interfaces
écraniques tactiles. Nous décrirons quelques-unes de ces images de synthèse afin également de
présenter les principaux dispositifs auxquels nous ferons référence par la suite dans l’analyse
des entretiens.
82 Toutes les images de cette partie sont issues du site internet dédié à la rénovation :
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1.2.1 Le dispositif
Figure 6. Visuel vitrine-table de la salle du Félibrige. Crédit photo : Agence Tetrarc
La vitrine-table est une vitrine en verre pouvant contenir des objets et dont une partie accueille
un écran tactile (en bas à droite de la table). Le contenu de cet écran tactile vise non pas à décrire
des objets en particulier mais à présenter les thématiques qui sont en lien avec ces objets (par
exemple le Félibrige, les costumes).
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Figure 7. Visuel multi-cartel de la salle du costume du XVIII
esiècle. Crédit photo : Agence
Tetrarc
Les deux multi-cartels situés en bas à droite de l’image sont des tablettes tactiles qui
reproduisent sur leur écran une image de ce que le visiteur voit en face de lui dans la vitrine. En
touchant l’un des objets sur l’écran, le visiteur accède au cartel décrivant la nature et la fonction
de l’objet choisi. Ces dispositifs tirent leur nom de leur fonction de cartel s’appliquant à
plusieurs objets d’une même vitrine.
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Figure 8. Proposition de dispositif de réalité augmentée dans la cour du musée. Crédit photo :
Agence Tetrarc
Le navigateur de réalité augmentée situé dans la cour du musée est quant à lui un écran tactile
monté sur un pied et permettant de surimposer sur l’image de la cour des éléments appartenant
à l’architecture passée du lieu. L’objectif est de montrer aux visiteurs les différentes utilisations
sociales de ce bâtiment : avant de devenir un musée, cet emplacement de la ville d’Arles
accueillait un forum antique puis a été transformé en collège pour les Jésuites.
1.2.2 La représentation des visiteurs
Dans les trois visuels ci-dessous représentant la salle d’interprétation, on peut voir des visiteurs
d’âge et de sexe différents consultant les vitrines multitouchde la salle d’interprétation. Il s’agit
d’écrans tactiles verticaux venant proposer un recul critique sur la muséographie présentée dans
les séquences précédentes. On aperçoit également çà et là des objets présentés dans des vitrines
(costumes…).
Les vues d’architectes ont ici un rôle social similaire aux modes d’emploi et aux publicités. Ils
donnent à voir une orthopraxie à travers des représentations de visiteurs dans l’espace muséal
et prescrivent de bonnes pratiques d’utilisation (Renaud, 2007 ; German, 2016). Les utilisateurs
représentés sont principalement en train de manipuler des outils numériques dont l’écran est
188
tactile. On remarque que le principal mode d’appréhension de ces interfaces est le toucher. Peut
-être ces visiteurs lisent-ils, écoutent-ils ou visionnent-ils également des contenus ? Cependant
force est de constater que c’est l’engagement par le sens du toucher qui prime dans l’activité de
consultation.
Sur la première image, les disques lumineux bleus et verts autour des doigts de l’utilisatrice à
l’endroit du contact avec l’écran semblent indiquer une consultation dynamique des documents
proposés. Cette mise en situation de visiteurs fascinés par des imposants écrans suggère une
utilisation interactive des dispositifs et accentue le mythe de l’intuitivité (Jeanneret, 2011).
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Figure 10. Vitres multitouch de la salle interprétation 1/2. Crédit photo : Agence Tetrarc
Figure 11. Vitres multitouch de la salle interprétation 2/2. Crédit photo : Agence Tetrarc
Dans les deux premiers visuels, la tactilité des interfaces est clairement mise en évidence. Cette
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les deux mains, rappelle les analyses de Julia Bonaccorsi (2012) à propos de la fantasmagorie
des écrans dans le domaine publicitaire ainsi que les commentaires qu’en a fait Yves Jeanneret
(2014). Cette étude d’images publicitaires montre que les « représentations des gestes de
manipulation » (Jeanneret, 2014 : 236) laissent davantage de place à la matérialité de l’outil
technique. Ce ne sont plus les aspects « magique » ou « enchanteur » des technologies qui sont
privilégiés mais des images de mains manipulant des écrans tactiles.
« La mythologie sociale des gestes enchantés qui marquaient la société des réseaux s’efface au bénéfice d’une focalisation sur le geste décontextualisé, qui permet de placer les jouissances (du livre, de la musique,
des autres) dans l’écran lui-même. (…) C’est ainsi qu’on est passé en vingt ans, peu à peu, de ces scènes évanescentes où l’on voyait des êtres glisser de leur famille à leur bureau, puis à une soirée festive sans aucune manifestation de la technicité, au gros plan sur des doigts lisses posés sur des tablettes. » (Jeanneret, 2014 : 237)