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Chapitre 4 Les ornements

4.1 Revue de la littérature sur les ornements

4.1.2 Présentation de la manière d’ornementer à l’italienne

Lorsque vient le temps d’orner un adagio à l’italienne, l’interprète a un rôle assez important, car il doit improviser sur le thème fourni par le compositeur, un peu comme un interprète de jazz qui doit improviser sur un standard. Comme l’interprète jazz, celui de musique ne peut pas improviser comme bon lui semble. Il y a plusieurs règles importantes à considérer. Quantz consacre un chapitre à expliquer la manière d’ajouter des ornements dans un adagio. Le chapitre de Quantz sera mis en dialogue avec celui de Rachel Brown sur la manière d’ornementer à l’italienne.

Pour commencer, Quantz prévient ses lecteurs qu’il faut mettre en valeur les notes proposées par le compositeur dans la mélodie principale.

Il faut toujours prendre gardes dans les variations, que les notes principales sur lesquelles on fait les variations ne soit pas obscurcies. Lorsqu’on fait des variations sur des Noires, il faut le plus souvent, que la première note de celles qu’on ajoute, soit la même avec la simple; & on en use de même pour toutes le fortes, quelque [sic] soit leur valeur, plus ou moins qu’une Noire. On peut bien aussi une autre note de l’harmonie de la Basse; pourvu qu’on fasse entendre de nouveau aussitôt après, la note principale148.

L’ajout d’ornements doit être fait de manière très réfléchie. L’interprète est tenu de garder le squelette de mélodie. Afin de démontrer ce qu’il affirme, Quantz fournit des exemples de manière d’ornementer à l’italienne (voir figure 4.1).

Figure 4.1 Exemples de Quantz sur la manière d’ornementer à l’italienne.

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Dans la figure 4.1, on remarque que les notes tombant sur les temps forts sont toujours les notes de la mélodie. L’ajout d’agréments ne nuit pas à la compréhension de la mélodie et de la fonction harmonique des notes présentes dans la voix improvisée. On remarque que Quantz change le rythme, ajoute des trilles, des traits de gammes afin de rendre les trois do plus intéressants.

Non seulement l’interprète ne doit pas embrouiller les notes principales de la mélodie, mais il doit aussi considérer le caractère d’une mélodie quand il agrémente. « Il ne faut pas meler des variations gayes & hardies dans une mélodie triste & modeste, où il faudroit cherche à les rendre agréables par l’expression; ce qui pour lors ne seroit pas à rejetter149». L’interprète doit

se soucier de l’affect de la mélodie pour choisir l’ornement. Si on reprend l’exemple de la fig. 4.1, ajouter l’ornement de l’exemple a dans une mélodie triste n’a pas sa place. Cet ornement est brillant, et ne correspond pas à l’émotion triste traduite par la mélodie originale.

Timmers et Ashley ont étudié l’affect des ornements dans une publication sur la perception de l’émotion des différents ornements150. Ils ont demandé à un flûtiste et à un

violoniste d’ornementer trois fragments d’une sonate de Händel afin de communiquer les quatre émotions principales : la colère, la joie, la tristesse, et l’amour. Ils devaient choisir les ornements qu’ils devaient ajouter à la partition originale afin d’interpréter la mélodie dans une des quatre émotions. L’étude démontre qu’il y a souvent une corrélation entre le choix d’ornement et l’émotion perçue par les participants de l’étude. Le premier exemple d’ornement utilisé est un « Turn ». Les interprètes l’ont utilisé pour projeter un sentiment de joie. Après avoir compilé les résultats de l’étude, ils ont réalisé que la majorité des participants à l’enquête ont perçu correctement l’affect de cet ornement.

En bref, comme l’indique l’étude, certains ornements induisent une certaine émotion. Celle-ci doit alors traduire l’expression sous-entendue du compositeur dans la musique.

Non seulement il suffit de choisir les bons ornements dans le bon caractère, mais il faut aussi prendre en considération les reprises. Quantz suggère de jouer la mélodie sans ornement la première fois. « On ne doit faire des variations que lorsqu’on a déjà fait entendre le simple chant ; car sans cela l’oreille ne peut connoitre ni même sentir, si ce sont en effet des variations151

149 Quantz, Essai d’une méthode pour apprendre à jouer de la flûte traversière, p.122.

150 Juslin, Patrick N., John A. Sloboda (éd.), Handbook of music and emotion : theory, research, Applications,

Oxford, Oxford University press, 2010, p.467.

». Jouer l’air, sans la variation en premier, permet au public de comprendre la qualité de l’ornementation qui viendra après. Quantz avertit aussi les interprètes que l’ajout d’agréments n’est pas toujours nécessaire. Si la mélodie est déjà écrite de manière détaillée, la variation n’est pas obligatoire152. Cependant, il est difficile pour un interprète du XXIe siècle d’en juger.

Comment pouvons-nous distinguer une mélodie qui a besoin d’être ornementée d’une autre qui ne doit pas l’être? Quantz ne donne pas beaucoup d’information là-dessus.

Prenons en exemple les deux mouvements lents de la Sonate en sol mineur de Händel (la partition des deux mouvements de cette œuvre se trouve dans annexe 10). Comparé au troisième mouvement, le premier semble pouvoir être joué sans ornements, car il comporte une mélodie intéressante avec des variations rythmiques. Tandis que le troisième mouvement comporte des valeurs de notes beaucoup plus longues, ce qui rend la mélodie simple et suggère qu’on l’ornemente de cette manière. Sur ce type de mélodie Brown affirme que

Early eighteenth-century Italian melodies were often very plain to allow for the addition of brilliant melismatic passages, typically consisting of an odd number of notes (not divisible into beats), in a curvaceous shape, slurred throughout and with faster notes at the close, implying an accelerando153.

Afin de guider les interprètes sur la manière d’ornementer à l’italienne, Brown conseille aux flûtistes d’étudier les exemples fournis par Quantz dans son chapitre sur le sujet. Les sonates op. 5 de Corelli, publiées par Étienne Roger, sont aussi une bonne source d’information sur la manière d’ornementer à l’italienne. Selon Brown, l’édition de Roger fournirait les agréments joués par Corelli lorsqu’il aurait performé ses œuvres154.

En bref, l’ornementation à l’italienne laisse beaucoup de liberté à l’interprète, mais il doit respecter certaines directives afin d’ornementer de la bonne manière. Les recommandations de Quantz et l’étude de l’édition de l’op. 5 de Corelli peuvent aider un flûtiste du XXIe siècle à apprendre les rudiments de l’ornementation à l’italienne.

152 Quantz, Essai d’une méthode pour apprendre à jouer de la flûte traversière, p.122.

153 Rachel Brown, The early flute: a practical guide, Cambridge, Cambridge university press, 2003, p.99. 154 Ibid., p.99-100.

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