• Aucun résultat trouvé

1. Les situations d’appel

1.2 Présentation de la deuxième situation d’appel

A l’issu de cette expérience vécue pendant le semestre trois et des questions que celle-ci m’a suscelle-cité. Il s’avère qu’une seconde situation à laquelle j’ai été confronté durant le second stage du semestre trois m’interpelle, venant faire écho à la première. Celle-ci se passe pendant mon deuxième stage du semestre trois alors que je suis en stage dans un EHPAD2 de la région.

C’est une structure accueillant environs soixante résidents répartit à nombre égale sur deux étages. Le première étage est occupé par les résidents les plus autonomes et le deuxième étage où je suis affecté, les personnes les plus grabataires. L’équipe est composée de la manière suivante, une infirmière avec trois aides-soignantes par étage le matin et une infirmière avec trois aides-soignantes l’après-midi pour les deux étages. Il y a donc environ trente résidents pour une infirmière le matin et soixante résidents pour une infirmière l’après-midi. Selon les modalités de fonctionnement du service l’infirmière arrive à sept heures, cependant il n’y a pas de relève orale car le départ de l’équipe de nuit se fait à six heures et demie après l’arrivée des aides-soignantes. De ce fait, la première tâche de l’infirmière est de lire les transmissions écrites de la nuit ainsi que de vérifier et noter les retards de selle de chaque résident de l’étage.

L’infirmière note sur une feuille toutes les personnes qui ont besoin de laxatif et celle à qui il faut effectuer un lavement pendant la matinée.

L’infirmière agit selon un protocole établit dans le service en fonction du retard de selles, à savoir : « J1 sans selle : un verre d’eau fraiche et une compote de pruneau ; J2 sans selle : laxatif par voie orale ; J3 sans selle : suppositoire à la glycérine ; J4 sans selle : Microlax ; J5 sans selle : Normacol sondé ». Ce protocole est standard, il ne figure aucune autre indication à considérer selon la situation spécifique de la personne soignée. Cependant j’observe et je constate que certaines infirmières appliquent le protocole avec rigueur, d’autres donnent des laxatifs dès le premier jour de retard sans prendre en considération la singularité de la personne puis d’autres, distribuent et administrent en tenant compte des habitudes du résident.

Peut-on standardiser un tel protocole sachant que le transit intestinal demeure propre à chacun et qu’il est sous l’influence de nombreux paramètres ? Dans ce cas, pourquoi décider que tous ces résidents émettent des selles chaque jour ?

2 Etablissement d’hébergement pour personnes âgées dépendante

8

Je constate un respect aléatoire du protocole par les infirmières alors que celui-ci reste une prescription médicale. Y déroger n’est-il pas une façon de souligner les limites que peut avoir un protocole ne prenant pas en compte la singularité de chacun ?

Ce matin-là, je suis avec une infirmière intérimaire qui effectue des remplacements à l’EHPAD depuis quelques temps. En relevant la fiche de retard des selles, l’infirmière constate que Madame Tulipe a un retard de cinq jours et qu’il va falloir lui faire dans la matinée un Normacol sondé3. Elle me demande si j’ai déjà effectué ce soin au cours de mes stage précédents. Or n’ayant jamais pratiqué ce soin, elle me propose de le faire. En ce qui concerne Madame Tulipe c’est une résidente dite « en fin de vie », elle reste alitée toute la journée, ne communique plus, elle ne mange plus et elle est hydratée par voie parentérale. Du fait de cette alitement prolongé, Madame Tulipe est très raide, elle a adopté des positions « vicieuses ». En effet elle a une escarre située entre ses deux omoplates au niveau du rachis cervical, favorisé également par son état de dénutrition.

Lorsque vient le moment de pratiquer le soin, l’infirmière me demande de préparer le matériel nécessaire, une sonde d’environ quarante centimètre de longueur, une paire de gants, des compresses avec de la vaseline et le Normacol. Avant de rentrer dans la chambre elle me donne la marche à suivre afin que je pratique le soin. Je frappe à la porte et m’approche doucement de Madame Tulipe qui semble dormir. Je lui dis bonjour et lui prend la main afin qu’elle sente ma présence, elle ouvre les yeux légèrement et bien sûr ne me répond pas. Je lui explique que cela fait cinq jours qu’elle n’a pas eu de selle et que je dois lui faire un normacol à l’aide d’une sonde. Cependant je reste intrigué face à l’intérêt de ce soin qui demeure agressif compte tenue de l’état général de la résidente.

A ce moment-là, je me sens mal à l’aise car la résidente au vu de son état et étant dans l’incapacité de me répondre ne me donne pas son consentement. J’ai comme l’impression d’abuser de son état de vulnérabilité à l’idée d’introduire ce dispositif dans une partie intime de son corps sans qu’elle ne puisse donner son avis. Je me mets quelques secondes à sa place et imagine ce que je pourrais penser dans son état, si un jeune étudiant viendrais me dire : « Je viens pour vous faire un normacol à l’aide d’une sonde » et que je ne puisse pas lui répondre.

3 C’est un laxatif introduit dans l’ampoule rectale à l’aide d’une sonde

9

Dans tous soins il est de notre devoir de chercher à avoir le consentement du patient, or dans ce genre de situation comment pratiquer un soin sans l’approbation de celui-ci ? Est-ce que suivre un protocole à la lettre, peut parasiter la capacité du soignant à penser le soin jusqu’à oublier sa propre capacité de jugement ? De même, le choix de faire un sondage évacuateur est-il pertinent au regard de l’état de la patiente ? En revanche, connaissant les complications et le risque vital que peut entrainer plusieurs jours de constipation, peut-on laisser une personne subir un-t-elle sort sous prétexte qu’elle est en fin de vie ?

Ensuite, l’infirmière dit à Madame Tulipe qu’elle va la positionner en décubitus latéral afin que je puisse effectuer le sondage. Après le soin, nous repositionnons la patiente dans son lit avec une protection pour l’évacuation des selles. Avant de quitter la chambre, l’infirmière explique à Madame Tulipe qu’il faut attendre un peu pour que le laxatif fasse son effet et que les aides-soignants vont bientôt venir lui faire les soins d’hygiènes et de conforts.

Par la suite, nous continuons à prodiguer les soins ainsi que la réfection des pansements aux autre résidents de l’étage.

Au moment des transmissions en fin de matinée, les aides-soignantes informent l’infirmière et moi-même que le laxatif effectué à Madame Tulipe plutôt n’a donné qu’une petite quantité de selle dans la protection. Je me demande alors si dans le cas de Madame Tulipe, qui ne mange pas ou peu, qui est hydraté par voie parentérale et en fin de vie, au regard de la gêne occasionnée et du résultat obtenu, est-ce que ce soin a été pertinent ?

Comment distinguer la place qu’occupe un acte de soins entre la notion « du bien et du mal » ? Comment juger de sa légitimité en termes de bénéfice pour la personne et de son illégitimité en cas de préjudice ? N’est-ce pas à travers la nécessité de « penser le soin » ?

Les protocoles sont faits afin de limiter le risque d’erreurs dans certains cas. Concernant cette EHPAD, il est pratiqué car le médecin n’est présent qu’un seul après-midi par semaine au sein de la structure. Ayant lui-même son propre cabinet libéral, il ne peut pas voire tous les jours chaque résident. De ce fait le protocole permet aux infirmières d’effectuer certains actes de soins concernant leurs rôle prescrit. Cependant n’influe-t-il pas sur la posture réflexive et la prise de décision dans un contexte de soin bloquant toute possibilité d’initiative pour le soignant ? Les diverses raisons organisationnelles comme le nombre de résidents, le nombre

10

d’infirmières, peuvent elle mettre en péril la qualité du soin ? Comment ces contraintes sont-elles vécues par les soignants ?

De nombreux soins prodigués au patient ayant pour objectif de le soigner, reste pour la plupart des actes invasifs difficile à vivre pour la personne qui les reçois. Néanmoins pourquoi toujours penser que le soin doit être quelque chose d’agréable ? Mais est-il cependant possible de le rendre plus acceptable pour celui qui le reçoit ?

Du fait de sa fonction le soignant fait partie des rare personne ayant l’autorisation légale d’entrer dans l’intimité d’une personne tant d’un point de vue physique que psychique. Un tel pouvoir entraine de grandes responsabilités envers le patient, le soignant se doit d’être attentif à respecter certaines valeurs éthiques et morales. Chaque soin, même le plus anodin qu’il soit, ne doit-il pas être penser, adapter et évaluer par le soignant avant chaque pratique ? La chronicité des actes n’entraine-t-elle pas une certaine « habitude » chez le soignant, oubliant toute singularité chez le sujet et de ce fait conduisant à la banalisation du soin ?

11