• Aucun résultat trouvé

Toni Morrison, de son vrai nom, Chloe Ardelia Wofford, est née le 18 février 1931 à Lorain dans l’Ohio (États-Unis). Ses parents, George et Ramah Wofford, déménagent à Lorain après avoir vécu à Pittsburgh. Ce déménagement s’inscrit dans le contexte de ce qui est connu sous le nom de la Grande migration afro-américaine vers le Nord des États-Unis, dans les années 1920, dans l’espoir de trouver du travail, ainsi qu’une Amérique moins raciste. À Lorain (Ohio) où se déroule également The Bluest Eye, Morrison grandit dans un quartier qui n’est pas exclusivement noir, où elle se retrouve en première classe de primaire (first grade) à être la seule petite fille noire de sa classe et la seule à savoir lire. L’État de l’Ohio est un lieu récurrent dans les romans de T. Morrison, notamment dans Beloved, lorsque l’héroïne Sethe parvient à s’échapper des États esclavagistes en traversant le fleuve Ohio.

Dans les années 1930, T. Morrison vit avec ses grands-parents maternels et ses parents dans une atmosphère où le surnaturel se mêle à la réalité et où la culture de l’oralité prédomine9. Cette tradition afro-américaine est perceptible dans ses romans, où le langage joue un rôle primordial. Tolstoï, Dostoïevski, et Jane Austen figurent parmi ses écrivains préférés et elle estime véritablement avoir grandi avec deux cultures. Elle s’inscrit à l’université de Howard à Washington en 1949, la première de sa famille à faire des études supérieures. L’université de Howard, établie en 1867, est réservée aux Noirs.10 T. Morrison y étudie la littérature, change son prénom pour Toni, termine son cursus en 1953, et suit ensuite des études de master à l’université de Cornell, dont elle est diplômée en 1955. Elle rédige son mémoire de fin d’études sur Woolf et Faulkner, ce dernier ayant notamment travaillé sur le VNA dans la fiction, à travers le personnage de Dilsey dans son roman The Sound and the fury.

À la fin de ses études, Chloe Ardelia Wofford, de son vrai nom, retourne enseigner à l’université de Howard et elle épouse en 1958 Harold Morrison, un architecte jamaïcain dont elle gardera le nom. Ils ont deux enfants, le premier, Harold naît en 1961. C’est en 1963 qu’elle commence à réfléchir à son premier roman, qu’elle envisage d’abord comme une nouvelle, et décide de quitter l’université d’Howard.

9 GOULIMARIA, Pelagia, Toni Morrison, Routledge, 2015, p.15.

10 Ibid, p.17.

Elle part voyager avec sa famille, ses deux jeunes enfants et son mari l’année ou il décide ensuite de retourner vivre en Jamaïque. Morrison quitte donc l’université en 1963, elle se sépare de son mari la même année et retourne habiter dans sa ville natale de Lorain (Ohio) avec ses deux jeunes enfants. La vie d’écrivain de T. Morrison débute en 1964 à l’âge de 33 ans, lorsqu’elle rejoint un groupe d’écriture à Washington. La première version du roman que nous nous proposons d’étudier dans le cadre de ce mémoire voit donc le jour en 1964, sous forme de nouvelle.11

Après son départ de l’université d’Howard, l’auteure travaille pour la maison d’édition américaine Random House. Son premier roman sera achevé en cinq ans et publié en 1970.

The Bluest Eye est rejeté par de nombreuses maisons d’édition et sera finalement accepté par Holt, Rhinehart et Winston. Ce livre s’est très peu vendu aux États-Unis à sa sortie et T.

Morrison raconte elle-même dans un entretien avec la BBC12 que, le seul bénéfice qu’elle a retiré de la vente de ce livre, en 1970, a été la possibilité d’emmener sa famille en vacances à Aruba. T. Morrison gagne toutefois une certaine notoriété avec la parution de ce livre et devient critique pour le New York Times.

Elle publie son deuxième roman, Sula, en 1973, qui se déroule également dans l’Ohio et raconte l’histoire de deux femmes noires, Nel Wright et Sula Peace13. Néanmoins, c’est la publication de son troisième roman, Song of Solomon en 1977, qui fait de Toni Morrison l’un des écrivains contemporains les plus connus. Song of Solomon est le premier roman de Morrison centré autour d’un personnage masculin, Macon Mort (dans la traduction française) et débute le 18 février 1931, jour de la naissance du héros et de l’auteure. Le récit retrace l’histoire de la famille de ce Macon Mort14. Ce roman lui vaudra le National Book Critics’ circle award et elle apparaîtra ensuite sur la couverture de Newsweek, puis à de nombreuses reprises dans l’émission télévisée d’Oprah Winfrey, très regardée et appréciée des Américains.

11 Ibid, p.20.

12 BBC documentary, 2015, Toni Morrison remembers.

https://www.youtube.com/watch?v=pjmuzU1ec3o&t=571s

13 https://www.sparknotes.com/lit/sula/summary/

14 https://www.sparknotes.com/lit/solomon/summary/

Dès lors, tous ses livres sont des succès internationaux, tels que Tar Baby, publié quatre ans après Song of Solomon et qui narre une histoire d’amour entre Jadine et Son, deux Afro- Américains issus de classes sociales très différentes. 15

T. Morrison obtient ensuite le Prix Pulitzer en 1988, suite à la publication de son cinquième roman, Beloved, en 1987, qui sera plus tard adapté au cinéma. Beloved s’inspire de faits réels, de l’histoire vraie d’une esclave noire qui avait tué son bébé pour le protéger des horreurs de l’esclavage, Margaret Garner16. Morrison y ajoute une dimension surnaturelle avec le retour du bébé sous forme de fantôme, aspect surnaturel que l’on retrouve dans plusieurs de ses romans et dont elle n’a jamais approuvé la caractérisation de « réalisme magique », car elle l’a toujours associée aux auteurs latino-américains tels que Gabriel Garcia Marquez. 17 En exergue de ce roman, Beloved, l’on peut lire « aux soixante millions et plus »18, chiffre qui correspond au nombre minimum de morts dans le commerce triangulaire, tandis que le

« plus » désigne toutes les autres victimes de l’esclavage et du racisme.

Jazz, qui paraît en 1992, se déroule à Harlem dans les années 1920. Lauréate du Prix Nobel en 1993, T. Morrison, dans son discours de remerciement19, expose le rapport du langage à l’oppression à travers une métaphore filée d’un oiseau que l’on tient entre ses mains, l’oiseau représentant le langage, caractéristique qui nous intéresse particulièrement dans le cadre de ce mémoire. T. Morrison s’adresse au public en ces termes : « oppressive language does more than represent violence; it is violence; it does more than represent the limits of knowledge;

it limits knowledge. »20 dans son discours de remerciements. Cette citation illustre bien l’importance qu’accorde l’auteure au langage, dans ses romans ainsi que dans sa vie en général. À la suite de l’obtention de ce prix Nobel et grâce à la popularité de T. Morrison en tant qu’écrivain sur la scène internationale, plusieurs de ses romans sont alors traduits en français ainsi qu’en espagnol, notamment The Bluest Eye, dont les traductions française et espagnole paraissent en 1994.

15 https://www.sparknotes.com/lit/tarbaby/summary/

16 https://www.blackpast.org/african-american-history/margaret-garner-incident-1856/

17 DAVIS, Christina, MORRISON, Toni, Interview with Toni Morrison, Nouvelle série, No. 145 (1er TRIMESTRE 1988), Présence africaine, 1988, p.143.

18 MORRISON, Toni, traduction d’Hortense Chabrier et de Sylviane Rué, Beloved, Éditions 10/18, 2008, première page.

19 https://www.nobelprize.org/prizes/literature/1993/morrison/lecture/

20 Ibid.

T. Morrison publie ensuite Paradise21 en 1998 qui se déroule dans la ville de Ruby créée par des Afro-Américains pour recréer leur version de l’Éden, puis Love en 2003, qui raconte les relations entre plusieurs femmes et un homme décédé du nom de Bill Cosey22. A Mercy23 paraît en 2008 au moment de l’élection de Barack Obama, tandis que Home24 est publié en 2012 et raconte l’histoire d’un soldat dans l’Armée revenant aux États-Unis après la guerre de Corée.

Le dernier roman publié par T. Morrison date de 2015 et s’intitule God help the child,25 bien que l’auteure elle-même lui préfère le titre The wrath of the children. Il retrace l’histoire d’une jeune fille, Bride, à la peau jugée trop noire par ses parents. T. Morrison a également coécrit plusieurs romans pour enfants avec son fils Slade, mort d’un cancer en 2010.

Si la renommée de T. Morrison pour ses romans est internationale, l’auteure de The Bluest Eye a également mené une carrière exemplaire dans les domaines de l’édition et de l’enseignement. Elle a, en effet, travaillé chez Random House, d’abord à Syracuse, puis à New York où elle a contribué à la publication de nombreux auteurs noirs tels que Muhammad Ali ou Angela Davis.26 Elle a également enseigné dans plusieurs universités prestigieuses américaines telles que Yale ou Princeton. L’œuvre de T. Morrison dans son ensemble trouve un dénominateur commun important. L’auteure le déclare elle-même dans un entretien : donner une voix aux femmes noires américaines et les placer au cœur de la narration.

« Well, in the beginning I was just interested in finally placing black women center stage in the text, and not as the all-knowing, infallible black matriarch, but as a flawed here, triumphant there, mean, nice, complicated woman, and some of them win and some of them lose. »27

21 https://www.gradesaver.com/paradise/study-guide/summary

22 https://en.wikipedia.org/wiki/Love_(Morrison_novel)

23 https://en.wikipedia.org/wiki/A_Mercy

24https://en.wikipedia.org/wiki/Home_(Morrison_novel)

25 WALKER, Kara, Toni Morrison’s ‘God Help the Child’, The New York Times, 13 avril 2015, https://www.nytimes.com/2015/04/19/books/review/toni-morrisons-god-help-the-child.html

26 ALS, Hilton, Ghosts in the House, The New Yorker, 27 octobre 2003, https://www.newyorker.com/magazine/2003/10/27/ghosts-in-the-house

27 DAVIS, Christina, MORRISON, Toni, Interview with Toni Morrison, Nouvelle série, No. 145 (1er TRIMESTRE 1988), Présence africaine, 1988, p.142.

Il s’agit également de l’une des raisons pour lesquelles nous avons choisi ce roman de T.

Morrison, The Bluest Eye, car les femmes du roman sont loin d’être des modèles de vertu, et que l’auteure n’a pas cherché à placer ces femmes noires sur un piédestal, mais simplement à les dépeindre dans toute leur complexité.

T. Morrison, docteur honoris causa de l’université de Genève, se revendique également d’une écriture afro-américaine unique, destinée aux Afro-Américains, mettant l’accent sur le racisme internalisé : « It seems to me that black people patronizing black people is as unfortunate as being patronized by white people. »28 Dans le cadre de notre mémoire, nous allons nous intéresser plus précisément à ce racisme entre Afro-Américains, comment celui-ci se manifeste à travers le langage et dans quelle mesure la traduction joue un rôle dans cette expression du racisme, par le biais de l’autocensure, notamment.